Tous les oiseaux du ciel

Charlie Jane Anders - Tous les oiseaux du ciel

La sorcière et le geek

Patricia est une sorcière qui communique avec les oiseaux, Laurence est un génie de l'informatique qui crée une IA et fabrique des appareils qui manipulent les lois de la physique. Leurs talents particuliers leur créent des problèmes et ils grandissent comme souffre-douleur de leurs familles et de leurs camarades de classe.

Mais ce sont ces mêmes talents qui vont leur donner un destin exceptionnel. Lorsque les systèmes planétaires commencent à se détraquer et que les ouragans et tornades provoquent des morts et des destructions par milliers, la question se pose de la survie de l'humanité. Les amis geeks de Laurence élaborent une stratégie de survie qui s'avère encore plus dangereuse que le danger initial, les amis sorciers de Patricia font de même de leur côté, et chacun des deux groupes va empêcher l'autre de mettre son plan à exécution.

Que faire alors que les morts s'accumulent ? Patricia et Laurence vont s'apercevoir que leurs talents et leur complicité leur ouvrent une voie qui pourrait sauver la planète et l'humanité.

Des oiseaux et des ordinateurs

Ce joli roman commence comme un conte de fées enfantin, avec les aventures de Patricia, une petite fille qui communique avec des oiseaux au sein d'une sombre forêt, et de Laurence, un jeune garçon qui fabrique un bracelet pour voyager dans le temps... Roman puéril ? Certes non ! Après ce début un peu déstabilisant, on entre dans le cœur du roman, dans ce qui est un des points les plus durs, les plus forts et les plus réussis de cette histoire : l'adolescence de Patricia et Laurence, les deux personnages complémentaires du roman.

Survivre à l'adolescence, survivre à la fin du monde

Patricia et Laurence sont deux jeunes gens maltraités par leur entourage. Le lycée est la pire période : leurs parents, sœur, camarades de classe, équipes éducatives, tous s'y mettent pour faire de leur vie un enfer. Et cela réussit. On s'identifie à eux lorsqu'on a soi-même été le bouc-émissaire de ses camarades et de sa famille, et on souffre avec eux.

On les retrouve quelques années plus tard, dans la vingtaine, quand les choses se sont calmées - quand ils peuvent s'éloigner de leur famille et des personnes qui leur font du mal. Mais tandis que leurs problèmes personnels s'estompent, d'autres, plus globaux, se précisent : la planète est en danger, l'humanité risque l'extinction, et les solutions proposées sont encore pires que le problème qu'elles veulent résoudre...

Un duo exceptionnellement bien réussi

Patricia et Laurence se retrouvent, se fréquentent, se quittent, se trahissent, s'entraident, se sauvent la vie. Chacun de leur côté - la magie et la communion avec la nature pour Patricia, le génie informatique et la manipulation des lois physiques pour Laurence -, ils évoluent, découvrent leurs compétences exceptionnelles, se cherchent une famille en lien avec leurs dons particuliers, apprennent la complicité et la trahison.

Ce duo de personnages est aussi riche que complexe, et découvre tous les stades relationnels - méfiance, partenariat, trahison, entraide, amitié, amour, pas forcément dans cet ordre-là - de manière à la fois très humaine, naturelle et réaliste - clairement le gros point fort du roman. On a envie de poursuivre la lecture juste pour savoir comment leur relation va évoluer.

L'écriture aussi contribue à cette impression d'être plongé dans la vie des deux personnages : le style n'est pas forcément très recherché, mais il donne une foule de petits détails très naturels et réalistes sur les personnages, et cela crée une ambiance construite à petites touches qui finit par rendre accroc à l'histoire de Patricia et Laurence. On ajoute à cela de nombreux personnages secondaires très bien croqués, avec chacun ses particularités, et on obtient une histoire captivante dont on est déçu qu'elle se termine.

Des clichés par contre

Le scénario par contre est moins réussi. Il est basé sur des clichés : d'un côté, la fille sorcière proche de la nature et des animaux, qui œuvre discrètement pour aider les autres tout en restant méprisée par ceux-là même qu'elle aide ; de l'autre le garçon plus intelligent que tout le monde, génie de l'informatique qui joue à l'apprenti sorcier avec les lois de la physique. Autant les caractères et physiques des deux personnages sont bien dessinés, autant l'autrice aurait pu faire mieux là-dessus. C'est d'autant plus flagrant que parmi les personnages secondaires, beaucoup sont très éloignés des clichés de genre (filles aux cheveux courts et aux looks indescriptibles, Taylor dont on sait à peine si c'est un garçon ou une fille), et c'est très rafraîchissant.

Quant à la lutte de la sorcellerie et de l'informatique contre la fin de l'espèce humaine, chacun commettant des erreurs mortelles et chacun empêchant l'autre de commettre ces erreurs mortelles, elle a beau être bien racontée, elle reste assez prévisible. L'idée de réunir fantasy et science-fiction dans la même histoire est intéressante, mais les deux genres sont déployés de manière un peu caricaturale, et cela nuit à leur crédibilité. Or, quand on raconte une histoire de fin du monde avec des tentatives pour empêcher la disparition de l'humanité, il faut être crédible.

Mentions spéciales...

Enfin, mention spéciale à Ernesto et la vie excédentaire qu'il retient, à Toby et la Sibérie, à la description du monde de l'après-catastrophe, esquissée plus que développée, mais totalement crédible. Ce sont ces éléments secondaires qui contribuent à donner sa "patte" au roman et à dépasser les aspects moins réussis pour créer un univers qu'on a beaucoup de plaisir à visiter.