L'une s'immobilise devant les fenêtres de sa maison en banlieue avec le poids de la mort au creux du ventre ; l'autre cherche à traverser l'écran pour se transformer en image grâce à son avatar numérique. L'une a donné naissance à l'autre, qui tente maintenant de renaître à travers un corps virtuel, loin de la morosité du nid familial. Obsédée par l'idée de parfaire son image, une jeune femme se coupe du monde réel et de sa famille pour s'évader dans une réalité virtuelle, en quête d'absolu. Lorsque sa mère entre en phase terminale d'un cancer, elle se retrouve de nouveau confrontée au monde réel et à la dégénérescence des corps qu'elle voulait fuir à tout prix.
Une artiste difficile
On a connu Karoline Georges avec Sous béton (Folio SF, 2018), roman dur et difficile à appréhender même pour un lecteur exigeant. Les éditions Alto ont publié en 2017 De synthèse, qui a obtenu au Québec le prix Jacques Brossard de la science-fiction et du fantastique québécois. Quel est le sujet ici ? Raconter le rapport au corps d’une femme qui cherche à créer un avatar virtuel tout en racontant ses relations avec ses parents, au moment où sa mère tombe malade.
Une quête
Elle a grandi au Québec à côté de ses parents. Le père est brutal dans ses mots, alcoolique et plein de menaces. La mère vit face à la télévision, accumulant les fausses couches. Quant à elle, elle grandit seule finalement, dans la passion d’idoles telle Olivia Newton-John. Elle quitte le domicile familial tôt, devient mannequin à Paris. Là-bas, elle découvre la photographie et le virtuel. Elle décide de créer un avatar numérique, quasi parfait, Anouk. Elle vit coupée du monde mais a trouvé son équilibre. Quand sa mère tombe malade, son père l’appelle. Le diagnostic tombe comme un couperet : cancer. Elle accompagne alors sa mère, ce qui va transformer au final son œuvre.
Une réussite surprenante
De synthèse est un roman troublant, âpre, qui s’impose au final dans notre imaginaire (on repense au livre une fois fini). C’est une expérience, un voyage qui interroge notre relation au corps et à l’image, en ces temps où nous vivons masqués… nous ne pouvons que recommander cette expérience au lecteur exigeant et surtout curieux.
Sylvain Bonnet