2031 : une crise économique de grande ampleur a forcé le gouvernement des États-Unis à se relocaliser sur Mars. À présent, les grandes métropoles américaines, dont Chicago, se réorganisent autour de centres commerciaux géants où l'on abreuvent les habitants de programmes racoleurs aux messages subliminaux ultra-violents. Dans ce contexte délétère, l'arrivée dans les forces de police des Plexus Rangers de Reuben Flagg, ancienne star de télé-réalité, va mener la ville à la révolte et peut-être... à une seconde révolution.
Un créateur oublié
On ne lit plus trop en France Howard Chaykin, dessinateur américain qui a au final peu travaillé chez DC et surtout chez Marvel (ceci explique peut-être cela). Il a tout de même commencé au début des années 70, signant un premier roman de Killraven en compagnie du récemment disparu Neal Adams et a signé une adaptation du cycle des épées de Fritz Leiber. Son grand fait d’arme de la décennie est d’avoir signé l’adaptation en bande dessiné de Star Wars. American Flagg ! paraît en 1983 chez First Comics et va marquer son époque comme on va le voir. On le voit ensuite travailler sur The Shadow et Blackhawk chez DC ou sortir chez Marvel un Graphic Novel Wolverine/Nick Fury : Scorpio. Signalons aussi un graphic novel naviguant entre polar et érotique, Black Kiss. Il a aussi collaboré avec son ami Walt Simonson sur la série Hawk Girl, signé chez Marvel un Avengers : 1959 plutôt décevant… et c’est à peu près tout. On le regrette.
Une dystopie pleine d’ironie
Bienvenue en 2031 où le monde est soumis au Plex, organisation supranationale et capitaliste, née de la fusion entre les restes des États-Unis et de l’URSS ( !), basée sur Mars après la grande catastrophe de 1996 qui a vu la disparition de la Californie, la guerre atomique Israël/Iran et la destruction de l’Asie. On suit Reuben Flagg, un juif américain né sur Mars, héros d’un feuilleton à succès, Mark Thrust, dont il a été écarté. Flagg intègre le corps des Plexus Rangers et est affecté à Chicago. Plutôt bien de sa personne, Flagg couche avec pas mal de filles (y compris des nazies) souvent en bas résilles ou porte-jarretelles. Il découvre aussi une ville corrompue et une population maintenue sous la coupe du Plex. Il découvre aussi qu’un feuilleton, Bob Violence, est rempli d’images subliminales qui poussent à la violence. Alors il en empêche la diffusion, au grand dam de son chef, Hilton Krieger. Lorsque celui-ci décède, il lui lègue son chat, Raul, qui parle, et surtout sa chaîne pirate, QUSA. Flagg a pas mal de chantiers à ouvrir s’il veut que l’Amérique renaisse…
Du grand art
Les lignes ci-dessus ne sont qu’un aperçu des premiers numéros de la série. On est clairement devant une satire au vitriol de l’Amérique des années 80, celle de Reagan et des conservateurs américains. L’Amérique peinte ici est sinistre, livrée au capitalisme le plus extrême et en proie à une violence systémique. Signalons que la narration a souvent recours à des écrans télés en introduction, une technique plus tard récupérée par Frank Miller dans son Dark Knight Returns, qui mettent scène Reuben Flagg dans cette société largement déglinguée. Le découpage très dynamique et les couleurs de Leslie Zahler et Lynn Varley (future collaboratrice et femme de Miller) font de cet album un véritable bijou. On rit, on est aussi effrayé par la tournure prise par cet univers qui ressemble (un peu) au nôtre. Et puis il y a ces femmes en petite tenue, joliment dessinés et toujours prêtes à coucher avec Flagg. Notons qu’elles ne sont pas seulement des jouets érotiques mais aussi des personnages actifs de l’histoire. Lecteur, tu dois réparer l’injustice des temps et lire cet album. Howard Chaykin mérite sa place parmi les meilleurs créateurs de comics.
Sylvain Bonnet