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L'Orage qui vient

Louise Mey (Auteur)
Aux éditions : 
Date de parution : 09/09/22  -  Livre
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Rafaelle-Gandini-Miletto   - le 07/08/2022

L’Orage qui vient, thriller mordant

Avec L’Orage qui vient, Louise Mey nous invite dans un lieu digne de contes où la beauté se teinte de noirceur sous le ciel lourd. Dans ce hameau tranquille aux allures utopiques cerné de bois profonds, les loups ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

Ambiance électrique

Les éditions indépendantes et engagées La ville brûle, à l’origine maison d’essais de sciences à la fois dites exactes et humaines, propose désormais aussi un catalogue jeunesse et illustré de grande qualité.

L’Orage qui vient signe leur incursion très réussie dans le « roman ado », avec un récit d’adolescence plein de tension, de mystère et de sentiments, chargé d’électricité. Comme l’orage qu’on sent venir, il raconte la naissance d’une rage féministe aiguillonée d’amour, et nous agite pour qu’enfin cette tension se déverse, et que le déluge s’abatte.

Une ado pas comme les autres

Grâce à une narration au présent d’une grande fluidité non dénuée de poésie, on suit Mila, une adolescente de quinze ans qui vit au Hameau. Elle est particulière, ce n’est ni bien ni mal : c’est ce qu’elle est, et c’est si évident qu’on n’a même pas besoin de l’écrire.

« Elle n’a jamais été normale et ce n’est pas son problème, c’est le problème des gens « normaux » autour d’elle, car elle, elle est Mila, c’est tout, voilà. »

Post-apo joyeusement décroissant

Le Hameau, c’est un petit écrin de quelques familles, où tout le monde s’entraide.

À ce moment-là, il n’y a plus d’homme adulte, uniquement des femmes et des enfants : « ce n’est pas fait exprès mais c’est comme ça ».

On va à la grande ville une fois par saison pour troquer les Eaux aux précieuses propriétés que l’on compose au lavoir. Les habitantes du Hameau pourraient produire plus d’Eaux, les vendre plus cher, mais pour quoi ? Elles n’auraient plus le temps de faire pousser les légumes, carder la laine, tresser le chanvre, faire l’école et vivre ensemble.

C’est un monde post-apocalyptique, mais qui décrit plutôt une réponse utopique. Les habitantes ne sont pas pour autant dénuées de défauts - « ici on ne ment pas mais on sait bien cacher » est par exemple l’un des adages, mais l’intérêt général est compris comme l’intérêt de tous. On n’est pas pour autant dans le solarpunk, car le Hameau semble représenter plutôt une exception bien cachée...

Thriller rural surnaturel

Mais L’Orage qui vient est surtout un thriller, et la menace du monde extérieur plane…

Le jour où les marchandes reviennent de la grande ville avec un jeune homme inconnu, Natan, l’extérieur pénètre dans la routine des villageoises.

Il dit être envoyé par le grand-père de Mila. Certaines le croient, d’autres moins. En même temps, il faut refaire le hangar, ce n’est pas plus mal d’avoir une paire supplémentaire de bras.

Mais quelles sont les véritables intentions de Natan ? Une chose est sûre : Mila ne l’aime pas. Mais est-ce parce qu’il est un danger, ou simplement parce qu’il est un inconnu ?

Regard antisexiste

L’irruption de Natan est l’occasion pour Mila d’observer des manières qui lui semblent absurdes, incompréhensibles : des manières qui viennent davantage de notre monde.

Comme Lévi-Strauss, cité en ouverture avec une grande ironie, Mila se place en posture d’anthropologue pour examiner les drôles de coutumes d’un homme façonné par le patriarcat. Elle l’étudie :

« Natan n'a pas proposé d'essuyer les couverts. Cela fait longtemps déjà qu'il ne propose plus d'aider, des semaines peut-être ; qu'il se contente de s'asseoir et de couper du pain avec un long couteau, et de distribuer les tranches avec l'air de celui qui distribue les bontés. Ce pain qu'il n'a pas fait, qu'il n'a pas cuit, qu'il n'a même pas posé lui-même sur la table. Désormais, le repas fini, il se lève et laisse son assiette à sa place. »

Natan ne se plie pas aux règles du villages, se croit indispensable et supérieur. Il parle à Mila de ses menstruations dans le but de l’humilier. C’est un homme qui, parce qu’on le sert, se sent supérieur. Un homme qui demande :

« – Vous n’avez pas peur, seules dans ce hameau, sans personne ? »

Un homme pour qui sans hommes, il n’y a personne, en tout cas, « personne pour vous protéger ». Mila s’interroge : pour nous protéger… de qui ?

Un roman saturé d’émotions puissantes

Plus conte de loup que bit-lit, L’Orage qui vient est un roman immersif très émouvant qui nous embarque totalement dans les pas de son héroïne, nous agite, nous infurie parfois, puis nous délecte.

Un roman aussi plein d’amour, un amour puissant et protecteur, d’une fille pour sa mère, d’une aînée pour sa cadette, d’une ancienne pour son village, un amour qui sait aussi, quand il le faut, saisir la faux, sortir les dents. Après tout :

« Les hommes devraient se méfier davantage de celles qu’ils prennent pour des moutons. »
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