La fabrique des lendemains

Rich Larson - La fabrique des lendemains, un recueil qui recèle de vraies beautés.

Un jeune auteur qui monte

Auteur d’Ymir (Le Bélial,) et de la novella Barbares (Le Bélial, 2023), Rich Larson est vu comme un jeune prodige du genre.  Son recueil La fabrique des lendemains a reçu le grand prix de l’imaginaire du meilleur recueil de nouvelles en 2021 et a connu du succès qui lui a permis d’être réédité en livre de poche. Il y a tout, disons-le tout de suite, dans ce recueil.

Une inspiration classique

Larson donne souvent des récits très ancrés dans l’imaginaire de la science-fiction. Il en va ainsi de Circuits où une IA nommée « Mu » continue d’effectuer le même trajet en train chaque jour alors que ses passagers sont morts depuis des dizaines d’années suite à l’explosion d’une bombe génétique. Elle va finir par tenter de se libérer. Efficace, ce récit en rappelle d’autres (on songe même à Andrevon pour l’absurdité). Don juan 2.0 nous montre un homme, Jack, qui utilise un logiciel pour draguer et séduire les femmes. Pour oublier aussi son ex Violet. Il rencontre Alice Fenderi, une superbe créature… mais celle-ci lui avoue qu’elle est en fait un androïde. Que faire ? C’est amusant, on songe à Silverberg ou Sheckley. Il y a aussi des récits plus anecdotiques comme Chute de données ou L’homme vert s’en va, qui ne laissent aucun souvenir au lecteur. Veille de contagion à la Maison Noctambule est un conte dystopique où les puissants se sont séparés du reste de l’humanité il y a des siècles après avoir répandu sur Terre un puissant virus pathogène. Eux ont modifié leur ADN, bien à l’abri dans des bunkers souterrains. C’est à la fois une critique sociale et une façon d’envisager comment tourne une post-humanité produite par notre monde néolibéral. Larson s’intéresse aussi aux extraterrestres avec Innombrables lueurs scintillantes où une civilisation de méduses communique via des signes et des phéromones, tout en subissant le… terrorisme.

Variations sur le corps

Rich Larson se montre passionné par le corps humain et ses possibles mutations. Ainsi dans Indolore, on découvre la vie d’un être génétiquement modifié, dont le corps se régénère à chaque blessure. Très seul, inapte au contact humain et au sexe, « mars » ne trouvera un ami qu’en retrouvant une partie de lui-même qui s’est auto-regénérée, un autre lui… Carnivores nous présente des hybrides de Neandertal et d’humain recréés en laboratoire qui ont gagné des droits. Finch est l’un d’eux et excelle dans la sécurité. Ce qui ne l’empêche pas d’être manipulé lors de son embauche par une entreprise de restauration : il découvre qu’elle commercialise de la viande d’hybrides… On retrouve le personnage dans Une soirée en compagnie de Severyn Grimes. Cette thématique peut l’amener aussi vers les animaux, par exemple dans De viande, de sel et d’étincelles où deux flics sont chargés d’enquêter sur la mort d’un dénommé Nelson Huang. Or l’un des deux policiers, Ku, est en fait une femelle chimpanzé améliorée génétiquement par Huang (au mépris des lois). L’enquête de Ku va la mener vers une IA qui veut… être tuée de sa main. Ce corps est soumis à des phénomènes étranges comme dans En cas de désastre sur la lune : Laurie et Sol sont deux astronautes, qui au contact de quelque chose de mystérieux, voient se succéder de plus en plus de Laurie. Soyons clairs, cela évoque de loin le cycle de Molly Southbourne de Tade Thompson, où une femme se duplique à chaque fois qu’elle perd du sang.

Et l’humain dans tout ça ?

Toutes ces variations sur le corps amènent aussi Larson comment survit notre humanité, notre capacité à l’empathie et à l’amour, surtout quand on est modifié. Ainsi, Corrigé est une histoire tragique : Depuis que Wyatt a été « corrigé », ses deux meilleurs amis (Dray et le narrateur) ne le reconnaissent plus. En particulier, le narrateur souffre de constater que Wyatt, avec qui il avait noué une liaison homosexuelle, est devenu strictement hétérosexuel, suggérant au narrateur de se faire à son tour « corriger ». Il y a de la souffrance chez cet ami, qui a perdu beaucoup avec ce changement, et que Larson peint avec beaucoup de retenue. Avec La Digue, on découvre Javier et Chelo, un couple solide en apparence… Chelo découvre que Javier lui aurait donné à son insu du Cupidon, une drogue, pour mieux la séduire au début de leur relation. Il a ainsi faussé les règles du jeu, même s’il est amoureux d’elle depuis le lycée. L’explication a lieu au bord d’une digue, Javier lui indiquant être prêt à sauter si elle le lui demande. Dans Six mois d’océan, Cassie, après avoir loué son corps pendant six mois, retrouve l’homme qu’elle aime, Noel. Mais pendant ces six mois, Noel a rencontré quelqu’un d’autre. Enfin, signalons une nouvelle très émouvante, Faire du manège : Ostap et Alyce vivent une histoire d'amour depuis plusieurs mois. Scientifique, Alyce est tuée dans une expérience quantique mais son esprit survit… jusqu’à ce que les corps soient retrouvés. Alors, ils dansent ensemble une dernière fois, jusqu’à sa complète disparition. Aucune mièvrerie, juste de l’émotion. Une belle conclusion pour un recueil inégal mais qui recèle de vraies beautés.

Rich Larson est donc désormais un auteur qu’on suit.

Sylvain Bonnet