François Baranger est un auteur de littérature de l’Imaginaire (Dominium mundi, Freaks agency, Tepuy), à qui on doit ces dernières années les magistrales adaptations visuelles des grands textes de Lovecraft (Les Montagnes Hallucinées, l’Appel de Cthulhu et l’Abomination de Dunwiitch). Il revient ici en auteur, avec le premier tome d’une quadrilogie de dark fantasy, uchronie dans une ambiance premier Empire français alternatif.
On découvre le récit en 1815, date habituellement assez fatidique pour le Premier Empire d’après nos cours d’histoire. Ici, l’Empire est au contraire à un stade qui semble être son apogée : Napoléon a vaincu l’ensemble des pays d’Europe, y compris l’Angleterre occupée par les français, mais la Russie se dresse encore contre la France. Napoléon a réalisé toutes ses conquêtes non avec son génie militaire, mais grâce aux prouesses surnaturelles d’Elegast, mystérieux sorcier de l’Empire, qui a défait les ennemis de la France avec des sortilèges et autres processus magiques. En même temps que cette magie faisait son apparition, un phénomène non expliqué, les résurgences, ont commencé à frapper les terres de l’empire. Véritables bulles de magie noire vomissant son lot de créatures d’un autre monde, ces choses causent le malheur des populations. Malgré la puissance et la prospérité de l’empire, le mécontentement et la peur sont permanents dans la population.
L’auteur pose d’emblée une histoire avec une ambiance pesante et assez noire. Les personnages, les desseins des conspirateurs, le manque de compassion et d’empathie des personnages, souvent des militaires, font tout pour poser une atmosphère glauque. Même le climat s’en mêle régulièrement, avec de nombreuses scènes sous la pluie ou dans une froideur importante.
Le récit commence par plusieurs chapitres courts (le roman est choral, avec un nombre de protagonistes plutôt important), qui nous font découvrir les enjeux du livre : d’une part un groupe d’officiers de l’armée impériale et autres administrateurs bien décidés à limiter l’influence d’Elegast auprès de l’empereur (voire à l’éliminer), d’autre part la quête de réponses de 2 protagonistes bien singuliers, Ethelinde et Ludwig, et la traque des hommes d’Elegast pour les retrouver, et enfin les manigances secrètes et magiques des Russes pour contrer l’empereur.
Le récit se focalise sur deux personnages principaux, Ethelinde et Ludwig, que l’on va apprendre à connaitre tout au long du roman. Elle est une scientifique de l’art obscur, cherche à comprendre les choses. Elevée par son père disparu mystérieusement en Egypte pendant la campagne de Bonaparte, elle mène des recherches pour élucider ce mystère et venger la mort de son père. Ludwig est une force de la nature, personnage inquiétant car il a été marqué physiquement par une résurgence. Il est capable de produire des phénomènes magiques, et sauve Ethelinde des hommes d’Elegast au début du roman. A eux deux, ils vont mener des recherches sur leur passé, tout en essayant d’échapper à la garde Hermétique (l’armée particulière d’Elegast). La relation entre eux évolue nettement, et on sent bien qu’elle va aller plus loin dans les tomes suivants.
De nombreux autres protagonistes gravitent autour d’eux. L’auteur arrive à leur donner une cohérence et des caractéristiques intéressantes. Peu de personnages sont vraiment caricaturaux ou trop superficiels, hormis les Russes qui fomentent un projet magique monstrueux et sont présents en France par le biais de leur espionne Irina (qui colle parfois un peu plus à un James Bond qu’à de la fantasy).
Les membres de la garde hermétique agissent au nom d’Elegast, et on les craint d’emblée, car ils semblent exercer un contre-pouvoir impitoyable dans l’empire. Armés du meilleur matériel et agissant en toute impunité, j’ai fait le parallèle avec les SS de Himmler. Ravegeac, fidèle lieutenant de Elegast, est un personnage qui m’a beaucoup intéressé. Les conspirateurs de l’armée régulière sont aussi bien crédibles, cherchant à redonner à l’armée sa gloire passée.
L’histoire est prenante, on suit avec attention la traque et les complots dans cette France assez misérable malgré sa domination. Le style de François Baranger est direct, et les chapitres courts, ce qui facilite l’immersion et l’envie d’avancer dans la lecture. Le livre n’échappe pas à quelques facilités, et les surprises ne sont pas nombreuses, mais il ne s’agit que d’un premier tome. J’ai noté aussi un certain nombre de clins d’œil sympathiques à la culture pop.
Au final, c’est crédible, intelligent, avec des personnages attachants et des méchants diaboliques. Du classique en somme, mais qui se lit bien et propose quand même une toile de fond travaillée. Le livre ne se termine pas sur un cliffhanger, mais j’ai hâte de lire la suite de l’histoire.