Quand la civilisation s'effondre, la Nature reprend le dessus. Vous l'avez déjà vu dans beaucoup de textes et de films au fils des ans, mais jamais à travers les yeux de Rakel Haslund. L'éditeur de la traduction française (Robert Laffont) décrit l'autrice comme "la nouvelle voix enchanteresse de la science-fiction" et ils ont mille fois raison.
Entre survie, récit de la fin de l'humanité et retour à la simplicité dans la langue et dans le mode de vie, Après nous les oiseaux est un roman court, mais percutant destiné à devenir une référence du genre :
Quelque chose est arrivé. Le monde est en ruine. Il ne reste qu’une survivante. Assoiffée de grand air et de large, elle doit s’aventurer hors de ses repères. Dans l’oubli hypnotique du monde d’avant, elle marche, sans s’arrêter, jusqu’à apercevoir la mer. Bientôt elle sent son identité lui échapper. La nature a repris ses droits. Comment vivre désormais ?
Qu'est ce que c'est qu'être humain ? Si je devais réduire Après nous les oiseaux à une seule question, ce serait celle-ci. Le personnage principal de ce roman, une jeune fille tout juste adolescente, ne se souvient pas du "monde d'avant" comme on l'appellerait aujourd'hui. Elle ne se rappelle que vaguement du chaos d'une fuite avec Am, de l'obscurité de sous-terrains dans lesquels ils vivaient, et d'un incendie qui a ravagé son monde. Après cela, il n'y a plus eu que la petite île où elle vivait simplement avec Am dans une routine bien organisée de jardinage et bricolages en tout genre, de chasse et de cueillette. Jusqu'à la mort d’Am.
La jeune fille décide alors de partir. Pourquoi ? Elle ne sait pas vraiment. Le lecteur se dira qu'elle devrait rester dans cette maison dans laquelle elle a grandi et dans laquelle elle est en sécurité. Mais elle est comme appelée par quelque chose, par l'extérieur, par le monde qu'elle n'a jamais connu quand il appartenait aux humains et qu'elle ne connait pas moins maintenant. Elle n'a pas vraiment de but, elle ne cherche pas d'autres humains, elle avance, c'est tout. Elle qui n'a jamais été entourée que d'Am, des souris qu'elle chassait et des oiseaux, elle s'enfonce dans un pays détruit qui nous est à la fois familier et étranger.
"C'est bien d'avancer. Et quand on a commencé à avancer, il est impossible de savoir comment s'arrêter. Devant elle, quelque chose veut s'approcher, mais au moment où c'est suffisamment proche, quelque chose de nouveau émerge dans son champ de vision au loin et il faut alors avancer encore un peu."
En nous montrant plutôt qu'en décrivant, l'autrice nous trace le chemin de sa petite protagoniste dans un monde trop grand. Elle est engloutie dans les véhicules laissés à l'abandon sur les routes, elle est minuscule face à l'eau qui monte inexorablement et recouvre les terres, son parcours est lent sur sa petite barque. Et pourtant elle est là, elle existe, elle pense et elle espère :
"Pouvoir penser je c'est être éveillé."
Après ces premières lignes, vous vous dites sûrement que ce roman n'est qu'une nouvelle version revue et corrigée de La Route de Cormac McCarty. C'est évidemment un texte qui viendra à l'esprit de tout lecteur en découvrant Après nous les oiseaux. Un roman court qu'on ne peut pas lâcher, des personnages anonymes et pourtant si caractérisés, vivants, qu'ils sortent de la page pour nous emporter avec eux pendant quelques jours de survie. Mais une chose que je n'ai pas ressentie à la lecture de La route et qui fait tout le charme de Après nous les oiseaux est la Nature et ses couleurs qui saturent les mots de l'autrice.
Les mondes post-apocalyptiques sont généralement gris, froids, sales et ternes. Ici, la nature reprend ses droits et l'herbe est plus verte que jamais. Même si la jeune protagoniste est parfois confrontée à des difficultés, la nature ne lui est pas hostile. Elle vit, c'est tout. Elle est là et prend la place qui lui est due, comme notre jeune fille elle-même.
"C'est agréable de marcher dans l'herbe et encore plus agréable de s'allonger dans le puissant et doux parfum de bruyère? Le vent fouette le haut plumeux de brins d'herbe, ils bruissent. Elle ne parvient pas à voir le ciel à travers l'herbe, elle pousse dru par ici. Une fourmi orange rampe sur le pont vert au-dessus de ses yeux (...)."
Ne vous inquiétez pas, il n'y aura pas de spoilers dans cette chronique ! Seulement l'importance des sentiments que ce roman m'a provoqué.
La violence peut prendre plusieurs formes. Dans la plupart des romans catastrophes que vous lirez, on vous décrira des horreurs sanglantes, des souffrances inimaginables et des blessures purulentes. On vous montrera des morts tragiques et horribles. Pas ici.
Après nous les oiseaux n'est pas un roman violent au sens premier du terme. Ne vous attendez pas à une attaque inattendue d'un clan post-apo en quête de viande fraiche, vous ne trouverez pas ce genre de frisson ici. Au contraire, Rakel Haslund remet ici l'humain à sa place sur Terre. Comme tout organisme, il naît, apprend, vit, rit et pleure, et meurt. Chaque animal que croise la jeune fille est un allier comme une ennemi potentiel, mais jamais elle ne les considère comme moins qu'elle-même qui oublie des mots à force de ne pas parler et ne comprend pas certains usages humains qui nous paraissent pourtant si logiques pour nous qui les connaissons depuis toujours. Pourtant elle n'est pas bête, elle n'a simplement pas grandi et vécu dans le même monde que nous puisque celui-ci n'existe pas.
"Tout à coup, elle se rend compte qu'il doit en savoir plus qu'elle, il vole après tout. Il a vu la terre. Peut-être sait-il s'il y a d'autres personnes, et peut-être sait-il où mène le goudron."
Les oiseaux ont autant le droit que nous de peupler cette terre et de prendre toute la place. Après elle, il y aura peut-être eux, puis autre chose, quelqu'un d'autre. Un cycle de vie qui se répète sans cesse et questionne notre propre place dans le monde.
Après nous les oiseaux est un véritable coup de cœur qui doit être mis dans toutes les mains.