Forum : Un avis sur Silent Hill

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Avertissement : le texte suivant ne prétend pas couvrir le sujet traité de manière érudite, ni même journalistique. Un simple billet d'humeur. Avec le style difficile qu'on me connaît. Écrit il y a 1 an, il souffre parfois d'une mauvaise maîtrise conceptuelle et multiplie le jargon à l'excès. Tout le monde est prévenu.
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Silent Hill et un nouveau paradigme socio-culturel


Comme tout obsessionnel, j'ai tendance à creuser mes idées au moindre prétexte, et sans crainte de tomber dans l'exotisme.

Ce soir, cette nuit, j'ai visionné, sur le conseil d'un ami, l'étrange film d'épouvante signé en 2006 par Christophe Gans : Silent Hill. Ce film est une adaptation libre des thèmes développés dans les jeux du même nom créés par Akira Yamaoka pour Konami.
Je dois préciser que j'en ignorais jusqu'à l'existence. Ce qui n'est pas rédhibitoire, loin de là, et il faut en remercier le talent rare d'adaptateur de C.Gans. On sait que ce dernier s'était déjà attaqué à l'adaptation du manga Crying Freeman il y a quelques années de cela. Mais peut-on encore parler d'adaptation dans le cas présent ?

Ici, le héros viriloïde a laissé place à une mère éplorée, les 4 niveaux spatio-temporels qui structuraient le jeu sont dans le film autant de dimensions entremêlées d'un même récit... Pourtant d'Akira Yamaoka, lui-même, au plus anonyme (et exigeant) fan, tous s'accordent à louer cette oeuvre subtilement fidèle et dans le même temps iconoclaste. Fidèle parce que rien de l'esthétique initiale n'a été perdu : même climat oppressant, même immersion dans un onirisme fantastique qui bascule très vite dans la terreur nocturne d'un paysage dantesque.

Et que d'invention dans le même temps ! Entre le paysage infernal qui tient de Bosch, Maverick ou Giger, la chorégraphie glaçante de monstres plus dérangeants qu'effrayants (et partant plus efficaces sans doute), quel déploiement baroque ! Et surtout comment ne pas être fasciné par le jeu de clair-obscur, pur-impur , limite-discontinuité qui structure les différentes dimensions de cet acteur omniprésent qu'est l'espace urbain (la ville condamnée du monde "réel", les limbes fantômatiques de la ville morte, les flash-backs du passé,les ténèbres infernaux et cauchemardesques).

Car, à n'en pas douter Christopher Gans a réussi à créer une oeuvre à la fois puissamment fidèle à l'esprit du jeu (dont on sait les dettes à l'égard des grands maîtres du cinéma d'épouvante) et en même temps rythmée par une dynamique toute personnelle. L'esthétique étrange du jeu est ainsi subtilement détournée pour servir un motif mythologique simple qui donne au film sa cohérence : la descente aux enfers d'une mère éplorée, une blonde Cérès à la recherche de sa Proserpine.À la différence près que la fable se termine bien plus tristement, un peu à la manière d'Orphée. L'expérience solitaire et masturbatoire du gamer se trouve ainsi sublimée par une forte immersion psychologique qui n'enlève rien à l'atmosphère de tension constante et de terreur psychologique du jeu. Pour reprendre une phrase du producteur exécutif du film : "Silent Hill est une histoire sur la mort et le destin.(...) ce film parle de la crainte de la solitude, de la peur du noir, de notre refus d'assumer notre part de ténèbres et certaines de nos responsabilités".

Films de genre des 70's, mangas, jeux vidéos, écriture d'un script et d'une esthétique cinématographique : Silent Hill est une création emblématique de l'hypermédialité qui s'empare de nos cultures urbaines éclectiques et "multimédias". Il ne s'agit plus d'une simple adaptation d'un écrit vers l'image, ou d'une image statique à une image animée (comme les pitoyables blockbusters de Marvel). Christophe Gans, comme Quentin Tarantino et d'autres cinéastes récents (notamment asiatiques) est significatif d'une réhabilitation intellectuelle des cultures populaires qui tranche avec le classicisme esthétique du cinéma d'auteur d'il y a encore 30 ans (je pense par exemple à l'âge d'or italien : Fellini-Visconti-Pasolini-Rossellini).Il ne s'agit plus de choisir entre le décorum et le réalisme, entre le baroque et le dépouillement.

Plus qu'un choix esthétique, le moment culturel que nous vivons se situe au croisement entre la logique destructurante de cultures individuelles dispersées et l'unification virtuelle d'un regard vidéosphérique en voie d'universalisation. Isolement, rupture des héritages,bricolage généralisé de la "culture des individus" et parallèlement reconfiguration planétaire d'un rapport nouveau à l'image. Silent Hill comme le Dunivers et certains ensembles flous de la culture de masse sont emblématiques de ce nouveau paradigme référentiel et identitaire.
Askaris
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