Une interview de Christian Bourgeois

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Quelques semaines après son décès, Vincent Ferré a mis en ligne une interview de Christian Bourgeois sur le site modernitesmedievales.org.

Elle est disponible ici

Parmi les choses à lire, la manière dont Christian Bourgeois a édité Tolkien en 1966 :

"Un jour Bergier est venu me voir pour me proposer un texte, en m’avertissant que
j’étais le seul éditeur à qui il pouvait proposer un livre dans lequel il parlait d’auteurs
méconnus voire inconnus en France. Après avoir publié ces Admirations, j’ai proposé à
Bergier de diriger une collection dans ma maison ; la postface de l’édition originale annonce d’ailleurs son lancement. Mais il avait déjà un certain âge et n’avait plus envie de faire de l’édition ; je lui ai donc demandé quels auteurs me conseiller parmi ceux qu’évoquait Admirations. Il ne m’a pas parlé de Tolkien en premier : il a évoqué J. Buchan – que je connaissais déjà, j’avais lu Les 39 marches à sa parution en français - , de Howard (le cycle de Conan), d’Abraham Merritt et de Tolkien. J’ai donc essayé d’identifier les éditeurs et les ayant-droits. Mais les droits étaient déjà vendus, ou je n’ai pas eu de réponse… sauf pour Le Seigneur des Anneaux.
Pierre Belfond m’a dit que je l’avais battu de quelques heures. J’ai proposé à Allen &
Unwin la somme royale de 200 livres sterling par volume, et j’ai signé un contrat, de ces
heureux contrats de l’époque (vers 1970, Tolkien était encore vivant) où l’on signait des droits pour la durée de la propriété littéraire. J’ai alors recherché l’adresse de Francis Ledoux, que je ne connaissais pas mais dont je savais qu’il avait traduit ce Hobbit que je n’avais pas lu, et qui était à cette époque cantonné à la littérature pour enfants. J’ai fait la connaissance de Francis Ledoux et je lui ai confié la traduction du tome 1 du Seigneur des Anneaux. J’ai donc publié Tolkien sans l’avoir lu : c’est le cas d’un très grand nombre de titres que je publie, car il s’agit pour la plupart de traductions."

"Ce livre a joué un rôle crucial. J’étais un éditeur en crise avec son employeur et
actionnaire, Sven Nielsen, des Presses de la Cité. Il m’avait dit début 1972 qu’il voulait que
j’arrête les éditions Christian Bourgois et que je me replie sur 10/18. Il est difficile de publier des livres en cachette dans un grand groupe d’édition, mais j’ai quand même rusé et j’ai réussi à publier quelques titres dans le courant de 1972. Il me restait la possibilité de faire paraître un dernier titre, à l’automne, sans que je sache quand je recommencerais à republier des livres. J’ai hésité entre Le Seigneur des Anneaux et un livre d’Ernst Jünger, Approches, drogues et ivresse ; mais j’avais déjà publié plusieurs titres de Jünger, et un ami éditeur, Roland Laudenbach, des éditions de la Table Ronde, rêvait de republier un texte de lui. J’avais le choix entre ce dernier, qui n’a jamais été un grand écrivain populaire en France, mais qui bénéficiait d’une véritable notoriété - je savais donc que j’aurais une presse importante, et il y a toujours eu un noyau de quelques milliers de lecteurs - et cet inconnu… Et j’ai eu la bonne idée de publier Tolkien plutôt qu’un nouveau titre de Jünger.
Paraît le premier du Seigneur des Anneaux. Je reçois eu le prix du meilleur livre
étranger en 1973 ; j’ai donc dit à Nielsen qu’après avoir eu ce prix, je ne pouvais pas ne pas publier les tomes suivants. D’autant que des critiques avaient écrit des articles enthousiastes : enfin, Le Seigneur des Anneaux était publié en France ! Le principal défenseur de Tolkien était Jean-Louis Curtis, un agrégé d’anglais, qui avait écrit dans Le Figaro ; Christopher Franck avait fait paraître un article absolument enthousiaste dans Le Point ; il y avait eu un article dans Le Monde, et Jean-René Major m’a envoyé la dernière ligne de son article, qu’on lui avait coupée dans Le Magazine Littéraire ; c’était : « chapeau, M. Bourgois ». "
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