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Interview 2018 : Christophe Thill pour Le guide Lovecraft
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Interview 2018 : Christophe Thill pour Le guide Lovecraft

ActuSF : Bonjour. L’auteur H. P. Lovecraft est de plus en plus mis en avant dans les médias et les arts (BD, romans…). Qu’est-ce qui provoque cet engouement grandissant ?

Christophe Thill : Bonjour ! Oui, Lovecraft semble refaire surface ces derniers temps. On a beaucoup parlé du passage de la fameuse date des « 70 ans après la mort de l’auteur », en mars 2017, qui a certainement joué un rôle en apportant la garantie que son œuvre est dans le domaine public. En fait il n’y avait plus de copyright sur la quasi-totalité de ses nouvelles depuis déjà pas mal de temps. Et d’ailleurs, certains éditeurs comme Mnémos et Bragelonne n’avaient pas attendu cette date pour proposer de nouvelles traductions. Ce que je vois derrière tout ça, c’est surtout la persistance d’un lectorat fidèle qui n’attend que l’occasion propice pour relancer le buzz autour de son auteur préféré. Et l’occasion a sans doute été, justement, ces nouvelles publications. A partir de là, l’intérêt général se réveille, de nouveaux lecteurs arrivent, la machine redémarre… !

ActuSF : Parlons justement de ces nouvelles traductions entreprises par les éditions Mnémos, Bragelonne… Il devenait nécessaire de retraduire Lovecraft ?

Christophe Thill : La quasi-totalité de la fiction de Lovecraft a été traduite entre 1954 et 1975. Sur cette période, les traductions les plus récentes tiennent encore la route. Mais pour les plus anciennes, celles des années 50, c’est une autre paire de manches. On y trouve coupures, « améliorations » du texte, rendus discutable de certains mots ou expressions… C’était d’autant plus embêtant que les nouvelles concernées sont celles que l’on appelle souvent les « grands textes » : « L’appel de Cthulhu », les épopées scientifiques comme « Les Montagnes hallucinées », et bien entendu les histoires de Randolph Carter, particulièrement maltraitées dans le recueil Démons et Merveilles. Il y a différentes raisons à cela : la manière de travailler des traducteurs, qui a évolué (le respect du texte original n’était pas forcément un impératif absolu à l’époque), mais aussi des contraintes de volume qui pouvaient pousser à abréger le texte. Donc, oui, la nécessité était là : il fallait « toiletter » ces textes, leur donner des traductions à la fois plus respectueuses, plus fidèles et plus actuelles. Je crois qu’on peut saluer les équipes qui se sont lancées dans cette tâche !

ActuSF : À qui s’adresse d’abord votre Guide Lovecraft ?

Christophe Thill : Avant tout, aux néophytes qui souhaitent découvrir l’auteur. Pour eux, il était donc nécessaire de faire un tour d’horizon introductif, et aussi de battre en brèche par avance certaines des légendes sur lesquelles ils risquent fatalement de tomber à un moment ou un autre (à commencer, bien sûr, par celle du « reclus de Providence » !) Mais il fallait bien aussi s’adresser aux lecteurs qui connaissent déjà Lovecraft et son œuvre. Pour que ceux-là n’aient pas le sentiment de perdre leur temps avec du déjà vu, j’ai essayé d’approfondir certains points, voire de faire passer des idées pas forcément orthodoxes, des réflexions personnelles, qui introduisent un peu de nouveauté sur des sujets souvent discutés… du moins je l’espère !

..."il était donc nécessaire de faire un tour d’horizon introductif, et aussi de battre en brèche par avance certaines des légendes.."

ActuSF : Comment avez-vous constitué le sommaire de cet ouvrage ? Une partie autour de l’auteur, et une autre sur son œuvre ?

Christophe Thill : C’est un peu ça ! La partie biographique était incontournable, surtout que la vie de HPL n’est plus entourée de mystère comme elle l’est assez longtemps restée (en France en tous cas). Il m’a semblé nécessaire aussi de faire le ménage de quelques images stéréotypées voire caricaturales, d’autant que certaines qu’on croyait disparues depuis belle lurette (Lovecraft l’initié des mystères occultes, en contact avec de véritables Grands Anciens et ayant réellement lu le Nécronomicon) semblent faire preuve ces temps-ci d’un étonnant retour de vivacité. Je trace une image générale de son œuvre écrite et des subdivisions qu’on peut y effectuer (et aussi de celles dont on peut aujourd’hui se dispenser). Ensuite vient un passage en revue des vingt nouvelles à lire, prolongé par une liste de dix autres textes également intéressants à divers titres. Puis je fais un petit recensement des grands thèmes qui structurent l’œuvre lovecraftienne, et des éléments récurrents qui la parsèment. Enfin, il est question des autres auteurs dont le nom est attaché au « Mythe de Cthulhu », et des adaptations de Lovecraft sur divers médias. Et pour finir, un petit glossaire !

ActuSF : Vous avez donc dédié une partie au « mythe hors Lovecraft ». Que va-t-on y trouver ?

Christophe Thill : Forcément bien peu de choses par rapport à tout ce qui pourrait être dit, et qui pourrait remplir un livre entier de bonne taille ! (Ça a d’ailleurs été fait.) Je me suis efforcé de faire le tour du premier cercle lovecraftien, ces amis et correspondants de HPL avec la complicité desquels il a bâti, par petites touches et sans intention d’ensemble, ce qu’on appelle le « Mythe de Cthulhu ». Et puis ensuite, bien sûr, il est question de quelques-uns des auteurs qui sont venus ensuite, certains méritant d’être plus particulièrement mentionnés pour le rôle qu’ils ont joué au niveau éditorial (comme, bien entendu, August Derleth), d’autres plutôt pour la qualité de leurs écrits.

ActuSF : Comment avez-vous établi la liste des vingt nouvelles à lire ?

Christophe Thill : Je n’ai pas souhaité lister « les vingt meilleures nouvelles de Lovecraft ». D’abord parce que d’autres l’ont déjà fait (je conseille par exemple la lecture de la partie correspondante dans la monographie Au cœur du cauchemar, due à Bertrand Bonnet). Ensuite parce que j’ai préféré privilégier la diversité : donner une liste de textes illustrant la variété des domaines auxquels Lovecraft a touché, plutôt que de ne retenir que ce qu’il a fait de mieux. Dans cette optique, certains textes habituellement qualifiés de mineurs ont leur intérêt... même si la première chose que j’ai faite a été de faire la liste de toutes les histoires dont la présence ne s’imposait pas, et que je pouvais laisser aux complétistes, qui finiraient fatalement par les découvrir eux-mêmes !

On trouvera donc à la fois des nouvelles célèbres (quels que soient les critères qu’on applique, difficile de passer outre « L’Appel de Cthulhu » ou « La Couleur tombée du ciel »…), et d’autres moins voire beaucoup moins : mais le choix est fait de telle sorte que toutes apportent un éclairage pertinent sur tel ou tel aspect de Lovecraft et de son œuvre. Des commentaires viennent mettre en évidence les aspects en question, et il y a aussi des renvois vers d’autres histoires qui présentent des points communs ou forment un contraste intéressant.

"Je trace une image générale de son œuvre écrite"

ActuSF : Vous vous penchez également sur le langage à travers des articles comme « C’est lovecraftien » ou encore « Parlez-vous Lovecraft ? » Il y a vraiment un lexique propre à cet auteur ? Lié à son mythe de Cthulhu ?

Christophe Thill : On a beaucoup caricaturé Lovecraft sous les traits d’un auteur au vocabulaire et aux thèmes stéréotypés, répétitifs. C’est globalement plutôt faux (les textes de Derleth sur lesquels le nom de HPL avait été apposé pour des raisons commerciales sont en grande partie responsable de cette perception) mais il y a aussi un peu de vrai. Ainsi il y a effectivement un lexique lovecraftien assez reconnaissable, dans lequel on reconnaît des indices de sa vaste culture, avec notamment beaucoup d’emprunts au vocabulaire scientifique. Et puis il y a tous ces « grands (ou gros) mots » qui reviennent, comme « cyclopéen », « blasphématoire », etc. On a fait remarquer qu’ils ne sont pas tant utilisés pour leur sens propre que pour leur côté impressionnant, l’anglais étant moins consommateur de mots polysyllabiques que le français. En fait, ils sont moins là pour signifier un contenu que pour marquer le passage de quelque chose que Lovecraft aime, justement, à qualifier d’indicible ; quelque chose qui se situe au-delà des mots, que ceux-ci ne peuvent qu’indiquer, ou éventuellement, dans le meilleur des cas, suggérer.

ActuSF : Ce guide est en lien avec un autre projet sur le quel vous travaillez également : la traduction de la biographie de H. P. Lovecraft par S. T. Joshi. Vous pouvez nous en dire un mot s’il vous plait ?

Christophe Thill : C’est un gros livre, et donc un gros projet, qui est entre les mains d’une équipe de 9 traducteurs et traductrices dont j’assure la direction. Il y a pas mal de choses à coordonner, des choix communs à établir et à faire vivre, etc. C’est un projet très excitant, puisque cette bio rassemble à peu près tout ce qu’on peut aujourd’hui savoir de Lovecraft, que ce soit à travers ses propres écrits ou les témoignages de ses proches ! Je pense que pour tout amateur de HPL, c’est un ouvrage indispensable.

ActuSF : Quels sont vos autre projets en cours ?

Christophe Thill : Essentiellement, deux gros morceaux autour de Lovecraft ! Je dirige l’équipe de traducteurs qui travaille sur l’édition française de la biographie de référence de HPL, 2 gros volumes signés su grand spécialiste S. T. Joshi. Le résultat, Je suis Providence, est sorti au printemps 2019 chez ActuSF. Je suis aussi impliqué dans le projet d’intégrale Lovecraft, intégralement retraduite par David Camus, à paraître chez Mnémos ; j’ai été chargé de rédiger plusieurs articles et éléments d’appareil critique.

À part ça, je continue le travail chez Malpertuis, avec notamment la prochaine parution d’un recueil de nouvelles fantastiques signé Bruno Pochesci et, dans les tuyaux, deux beaux romans que des auteurs que nous apprécions beaucoup, Laurent Mantese et Pascal Malosse, nous ont proposés, chacun dans son style bien personnel.

Et puis, quelques projets musicaux, dont, toujours, les Deep Ones, ce collectif de lectures musicales de l’imaginaire.

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