A la fin du du XIXème siècle, il y eut Flammarion et les canaux martiens. A la fin du XXème siècle, il y eut la trilogie de Robinson. A la fin du XXIème, quand on commencera à coloniser la planète, les trois livres de Mars seront encore dans l’esprit des Crusoé conquérants qui lèveront les yeux vers la Terre. Une pensée émue pour Ray et Kim Stanley. Ce dernier aurait tellement aimé vivre sur Mars qu’il a, vingt ans durant, rivalisé de détails scientifiques et d’imagination anticipatrice pour faire vivre au lecteur un des devenirs possibles de la planète d'à côté.
Vous avez aimé Mars la rouge, Mars la verte, Mars la bleue et vous attendiez une autre couleur ? Ce « quatrième » tome de la trilogie martienne de Robinson, prix Locus 2000, réédité chez Pocket SF, est plutôt un recueil multicolore de nouvelles teintées des trois couleurs primaires. Des instantanés, des arrêts sur image aux différentes étapes de la conquête de Mars. Une mosaïque de portraits sur fond de Mars West hollywoodien.
Du blanc au violet
Au menu, donc, une trentaine de nouvelles réparties en plusieurs couleurs.
La première nouvelle, « Michel dans l’Antarctique », récit d’une épreuve de sélection des astronautes, est de couleur blanche. La couleur du continent terrestre préféré de Robinson, qui publia, entre la trilogie martienne et les Martiens, un excellent SOS Antarticta.
La couleur rouge est la dominante de nouvelles comme « Exploration du canyon fossile », grosse désillusion exobiologique, et surtout « Comment le sol nous parlait », une vision géologique panoramique surréelle.
La couleur verte, en arrière-plan de nombreuses nouvelles telles que « Le complot archéobactérien », «Ce qui compte », mais surtout « Mars la verte », probablement écrite avant le livre, la plus longue nouvelle du recueil (126 pages), à la dimension de l’Olympus Mons qu’il s’agit de gravir.
La couleur bleue avec « Le doux et le salé », un récit commentaire sur la salinisation inversée des océans et des fleuves, avec « Le sauvetage du barrage de Noctis » ou « Dimorphisme sexuel ».
La couleur gris-noir, souvent, comme mélange des trois précédentes, face à la perspective d’un échec de la colonisation, dans « Entretenir la flamme », où la seule issue personnelle est la fuite, dans « Une histoire d’amour martienne », où la planète, comme l’amour, hésite entre l’extinction et la flamme.
De petits retours sur Terre, comme dans « Michel en Provence » ou la dernière nouvelle, « Mars la violette », mélange des planètes bleue et rouge, où l’auteur, imbibé de Mars, envoie de la Terre son manuscrit enfin rédigé.
Petites touches de rouge sur le tableau : des poèmes pittoresques et des nouvelles très courtes (bandes-son, Odessa).
Mars la grise
Le recueil a des allures de fatras. Des textes rédigés à différentes époques. Des allusions directes à la trilogie. Des digressions. Des commentaires ou des hypothèses scientifiques. C’est un peu la force et la faiblesse de l’ouvrage. La force, parce qu’il s’agit de décrire des points de vue différent sur Mars, parce ce que la tonalité finale est donnée par la vision d’ensemble. Comme une œuvre impressionniste. Ou plutôt pointilliste, vue l’accumulation de références techniques ou de clins d’oeil à la trilogie. Mais aussi la faiblesse parce qu’on aurait aimé avoir plus de cohérence sur le fond. Plus d’équilibre entre les couleurs. A plusieurs égards, l’idée du recueil sur les Martiens semble postérieure à la rédaction de plusieurs des nouvelles.
Trois traits dominants assurent, tout de même, une cohérence globale des contenus (et justifient le titre) : l’évocation de tranches de vie, la description de l’environnement martien et une prédilection pour l'abstraction.
Les humains sont presque tous des scientifiques de haut niveau (échantillon restreint de l’humanité sur Terre) avec des problèmes de chercheurs frustrés sur le plan affectif. Plusieurs personnages de la trilogie (Michel, Coyote, Maya, etc.) sont, du reste, récurrents. Ils passent d’une nouvelle à l’autre, à des périodes différentes et via des angles différents. La plupart des histoires pourraient, sur le plan factuel ou émotionnel, se passer dans une fac ou dans un labo de la côte Ouest. Elles sont d’ailleurs sentimentalement assez peu palpitantes. Loin d’un « Autant en emporte le vent martien». Ce qui est plus original, c’est l’utilisation, dans certaines nouvelles, d’hypothèses plausibles (l’allongement spectaculaire de la durée de vie, les performances de la mémoire humaine, le terrorisme vert, l’existence d’une histoire de Mars sur plus d’un siècle) dans l’analyse du comportement des Martiens.
La description, en bosse ou en creux, de Mars est réussie. Deux trois nouvelles se laissent aller à de belles envolées lyriques sur l’exotisme des paysages. Mais les descriptions n’ont rien d’un dépliant touristique. Dans l’ensemble, les lieux sont soit confinés et les humains ont du mal à y vivre en harmonie et à y respirer, soit larges (vallées, canyons, volcans) et les humains sont écrasés par le poids de la planète et de leur mission colonisatrice.
Pour ce qui est des ratiocinations spéculatives, les personnages ruminent régulièrement, pour le compte de l’auteur, des bribes de théorie scientifique sur l’exobiologie, la marsologie, l’astrophysique ou encore sur le droit constitutionnel. C’est étrange quand le thème principal est censé être un amour perdu ou une passion inassouvie, mais c’est souvent la partie la plus intéressante de l’histoire.
Au total, si le corpus scientifique d’arrière-plan est solide et crédible, les nouvelles ont un peu le goût artificiel et poussiéreux de la planète. Des idées intéressantes et originales (le point de vue des bactéries, par exemple). Un vrai effort sur la forme (diversité des modes d’expression, hétérogénéité des nouvelles), un souci constant de l’auteur de rester près des préoccupations humaines universelles de tous les jours, mais à la façon des Sims 2 ou de Second Life. Avec souvent luxe détails, mais des personnages auxquels il manque tout simplement de la vie et des situations de vie intéressantes.
La plupart des textes ne sont pas très joyeux. Et c’est finalement l’impression générale que l’on retire des Martiens. Ils ne sont pas heureux. Ils sont solitaires et blasés. Ils vivent longtemps mais le temps qui passe, le vieillissement est une de leurs grandes angoisses. Ils ont du mal à communiquer. Ils ont du mal à s’aimer. Ils ont du mal à vieillir ensemble. La seule chose qui les lie et qui les retienne à la vie, c’est le projet martien. S’il ne finit pas, lui-même, par capoter.
Alors, les familiers de l’univers de Robinson y verront une balade triste, mais récréative et commémorative. Pour ceux qui le découvrent, c’est une bonne promenade apéritive en perspective qui ne doit pas rassasier : la trilogie est un ton au-dessus.
Vous avez aimé Mars la rouge, Mars la verte, Mars la bleue et vous attendiez une autre couleur ? Ce « quatrième » tome de la trilogie martienne de Robinson, prix Locus 2000, réédité chez Pocket SF, est plutôt un recueil multicolore de nouvelles teintées des trois couleurs primaires. Des instantanés, des arrêts sur image aux différentes étapes de la conquête de Mars. Une mosaïque de portraits sur fond de Mars West hollywoodien.
Du blanc au violet
Au menu, donc, une trentaine de nouvelles réparties en plusieurs couleurs.
La première nouvelle, « Michel dans l’Antarctique », récit d’une épreuve de sélection des astronautes, est de couleur blanche. La couleur du continent terrestre préféré de Robinson, qui publia, entre la trilogie martienne et les Martiens, un excellent SOS Antarticta.
La couleur rouge est la dominante de nouvelles comme « Exploration du canyon fossile », grosse désillusion exobiologique, et surtout « Comment le sol nous parlait », une vision géologique panoramique surréelle.
La couleur verte, en arrière-plan de nombreuses nouvelles telles que « Le complot archéobactérien », «Ce qui compte », mais surtout « Mars la verte », probablement écrite avant le livre, la plus longue nouvelle du recueil (126 pages), à la dimension de l’Olympus Mons qu’il s’agit de gravir.
La couleur bleue avec « Le doux et le salé », un récit commentaire sur la salinisation inversée des océans et des fleuves, avec « Le sauvetage du barrage de Noctis » ou « Dimorphisme sexuel ».
La couleur gris-noir, souvent, comme mélange des trois précédentes, face à la perspective d’un échec de la colonisation, dans « Entretenir la flamme », où la seule issue personnelle est la fuite, dans « Une histoire d’amour martienne », où la planète, comme l’amour, hésite entre l’extinction et la flamme.
De petits retours sur Terre, comme dans « Michel en Provence » ou la dernière nouvelle, « Mars la violette », mélange des planètes bleue et rouge, où l’auteur, imbibé de Mars, envoie de la Terre son manuscrit enfin rédigé.
Petites touches de rouge sur le tableau : des poèmes pittoresques et des nouvelles très courtes (bandes-son, Odessa).
Mars la grise
Le recueil a des allures de fatras. Des textes rédigés à différentes époques. Des allusions directes à la trilogie. Des digressions. Des commentaires ou des hypothèses scientifiques. C’est un peu la force et la faiblesse de l’ouvrage. La force, parce qu’il s’agit de décrire des points de vue différent sur Mars, parce ce que la tonalité finale est donnée par la vision d’ensemble. Comme une œuvre impressionniste. Ou plutôt pointilliste, vue l’accumulation de références techniques ou de clins d’oeil à la trilogie. Mais aussi la faiblesse parce qu’on aurait aimé avoir plus de cohérence sur le fond. Plus d’équilibre entre les couleurs. A plusieurs égards, l’idée du recueil sur les Martiens semble postérieure à la rédaction de plusieurs des nouvelles.
Trois traits dominants assurent, tout de même, une cohérence globale des contenus (et justifient le titre) : l’évocation de tranches de vie, la description de l’environnement martien et une prédilection pour l'abstraction.
Les humains sont presque tous des scientifiques de haut niveau (échantillon restreint de l’humanité sur Terre) avec des problèmes de chercheurs frustrés sur le plan affectif. Plusieurs personnages de la trilogie (Michel, Coyote, Maya, etc.) sont, du reste, récurrents. Ils passent d’une nouvelle à l’autre, à des périodes différentes et via des angles différents. La plupart des histoires pourraient, sur le plan factuel ou émotionnel, se passer dans une fac ou dans un labo de la côte Ouest. Elles sont d’ailleurs sentimentalement assez peu palpitantes. Loin d’un « Autant en emporte le vent martien». Ce qui est plus original, c’est l’utilisation, dans certaines nouvelles, d’hypothèses plausibles (l’allongement spectaculaire de la durée de vie, les performances de la mémoire humaine, le terrorisme vert, l’existence d’une histoire de Mars sur plus d’un siècle) dans l’analyse du comportement des Martiens.
La description, en bosse ou en creux, de Mars est réussie. Deux trois nouvelles se laissent aller à de belles envolées lyriques sur l’exotisme des paysages. Mais les descriptions n’ont rien d’un dépliant touristique. Dans l’ensemble, les lieux sont soit confinés et les humains ont du mal à y vivre en harmonie et à y respirer, soit larges (vallées, canyons, volcans) et les humains sont écrasés par le poids de la planète et de leur mission colonisatrice.
Pour ce qui est des ratiocinations spéculatives, les personnages ruminent régulièrement, pour le compte de l’auteur, des bribes de théorie scientifique sur l’exobiologie, la marsologie, l’astrophysique ou encore sur le droit constitutionnel. C’est étrange quand le thème principal est censé être un amour perdu ou une passion inassouvie, mais c’est souvent la partie la plus intéressante de l’histoire.
Au total, si le corpus scientifique d’arrière-plan est solide et crédible, les nouvelles ont un peu le goût artificiel et poussiéreux de la planète. Des idées intéressantes et originales (le point de vue des bactéries, par exemple). Un vrai effort sur la forme (diversité des modes d’expression, hétérogénéité des nouvelles), un souci constant de l’auteur de rester près des préoccupations humaines universelles de tous les jours, mais à la façon des Sims 2 ou de Second Life. Avec souvent luxe détails, mais des personnages auxquels il manque tout simplement de la vie et des situations de vie intéressantes.
La plupart des textes ne sont pas très joyeux. Et c’est finalement l’impression générale que l’on retire des Martiens. Ils ne sont pas heureux. Ils sont solitaires et blasés. Ils vivent longtemps mais le temps qui passe, le vieillissement est une de leurs grandes angoisses. Ils ont du mal à communiquer. Ils ont du mal à s’aimer. Ils ont du mal à vieillir ensemble. La seule chose qui les lie et qui les retienne à la vie, c’est le projet martien. S’il ne finit pas, lui-même, par capoter.
Alors, les familiers de l’univers de Robinson y verront une balade triste, mais récréative et commémorative. Pour ceux qui le découvrent, c’est une bonne promenade apéritive en perspective qui ne doit pas rassasier : la trilogie est un ton au-dessus.