Actusf : Les Seigneurs de Bohen est votre dernier roman paru aux éditions Critic, de quoi cela parle-t-il ? Que se cache t-il derrière cette belle couverture marine ?
Estelle Faye : Un an qui voit la chute d'un Empire, d'un printemps à un printemps. Un Empire qui ressemble à l'Europe de l'Est au tournant Moyen-âge/Renaissance, avec les premières armes à poudre, le début de l'imprimerie... mais aussi un monde de fantasy complètement démesuré, avec du surnaturel et de la magie inspirés des régions et de la période historique qui servent de base au roman... Un monde où des Golems reposent au fond des fleuves, où des oiseaux de feu brûlent au fond des bois de bouleaux, et où des nomades métamorphes parcourent la steppe... Cet Empire tient depuis dix siècles, croit encore qu'il va durer dix siècles. Sa chute va être précipitée par des héros que personne n'attendait, et qui eux-mêmes ne s'imaginaient pas avoir une telle influence sur leur monde.
Pour revenir à la couverture, à l'Ouest, l'Empire est bordé par un vaste océan, que personne ne peut traverser, à cause des Vaisseaux Noirs, des vaisseaux maudits qui rôdent non loin des côtes, et dont les équipages ne sont pas entièrement humains. Cet océan, cet immense horizon en apparence inaccessible, symbolise la liberté à laquelle aspire Bohen.
Lantane, la frêle magicienne en robe rouge qui s'oppose à des forces bien plus grandes qu'elle, est assez représentative des héros du roman, des humbles qui tiennent bon face à des adversités qui semblent insurmontables, des petites gens qui ne se laissent pas écraser.
Actusf : Dans ce roman, véritable épopée, vous abordez des thématiques fortes, telles l'océan, la magie, l'acceptation des différences, l'homosexualité, la balance du pouvoir, etc. Cela semble être des sujets qui vous tiennent à cœur, pourquoi ?
Estelle Faye : En tant que lectrice comme en tant qu'autrice, ce qui me parle, ce sont des mondes auxquels je peux croire, des mondes humainement possibles, où on croise des gens de toutes les origines, de toutes les orientations sexuelles, de toutes les classes sociales... Des livres qui refusent les clichés et les cases dans lesquelles on enferme encore trop souvent les personnages féminins et les personnages homosexuels, notamment en fantasy et en dark fantasy.
Dans ma vie en général, j'ai la chance d'avoir dans mon entourage des personnes engagées, et depuis longtemps, pour améliorer les choses. J'ai grandi en apprenant l'Histoire des humbles, celle des Terre-Neuvas, des ouvriers du livre, de la Commune de Paris et des grandes grèves des porcelainiers de Limoges, autant que l'Histoire des rois et des empereurs. Les puissants ne sont pas les seuls à avoir un impact sur le monde. Aujourd'hui encore, dans une époque qui cède trop souvent au défaitisme, je vois au quotidien des gens pas spécialement privilégiés, ni bien nés, se battre et changer la vie des autres, sans attendre de récompense en retour, simplement parce qu'ils n'envisagent pas de se recroqueviller sur eux-mêmes. Ces exemples m'inspirent forcément.
Les révolutions me parlent plus que les pages people des magazines. La liberté me fait davantage rêver que les dynasties aristocratiques, et c'est ce rêve aussi qui porte mes romans.
" Pendant l'écriture des Seigneurs de Bohen, cela devenait parfois un véritable exercice d'équilibriste, car les actions de chaque personnage influent sur la vie de tous les autres, donc dès que je changeais un fil de l'intrigue, tous les autres étaient bouleversés."
Actusf : Comment construisez vous votre intrigue ? Des inspirations en particulier d'autres récits ou auteurs ?
Estelle Faye : Mes romans commencent souvent par quelques images, quelques impressions. Ensuite je prends des pages et des pages de notes, pour construire l'univers, les personnages... Je laisse l'histoire maturer, les personnages vivre par eux-mêmes, j'explore différentes hypothèses, je ne fixe rien pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. Je rêve mes histoires longtemps avant de les écrire.
Je me documente beaucoup, pour sortir des clichés et donner toujours plus de crédibilité et de dimensions à mes récits.
Puis je fais des cartes et des frises chronologiques, je calcule tous les temps de transport des personnages. Et j'établis un plan où j'entrecroise les différents fils de l'intrigue.
Enfin je me mets à la rédaction. Là, encore une fois, j'essaye de suivre au mieux ce que les personnages et l'histoire demandent, quitte à bousculer tous mes plans soigneusement préparés. Pendant l'écriture des Seigneurs de Bohen, cela devenait parfois un véritable exercice d'équilibriste, car les actions de chaque personnage influent sur la vie de tous les autres, donc dès que je changeais un fil de l'intrigue, tous les autres étaient bouleversés.
Pour le reste, il y a bien sûr des auteurs qui ont beaucoup compté dans mon parcours littéraire, Francis Berthelot par exemple. Cependant, quand je travaille sur un livre, je vais surtout puiser mon inspiration dans des films, dans ma documentation, dans mes voyages, et dans mon expérience aussi.
"Sainte Etoile n'étant pas le plus équilibré de mes personnages, je me demande parfois quelle idée mon entourage a de moi..."
Actusf : Véritable roman choral, le lecteur suit le destin de nombreux personnages. Y-en-t-il un ou une dont vous vous sentez plus proche ?
Estelle Faye : Pour certains de mes proches, je ressemble assez à Maëve, avec son goût pour les vieux vêtements de marin, sa passion pour l'océan, l'horizon, les voyages... Je pourrais très bien faire le même choix qu'elle à la fin, même s'il n'est sans doute pas le plus consensuel.
Pour d'autres, je serais plutôt Sainte Etoile. La voix de Morde sous son crâne symboliserait toutes les histoires qui tournent dans ma tête. Sainte Etoile n'étant pas le plus équilibré de mes personnages, je me demande parfois quelle idée mon entourage a de moi...
Le débat est ouvert, je me garderai de trancher.
Actusf : Les Seigneurs de Bohen viennent d'être nominés au GPI, une réaction ?
Estelle Faye : Cela fait plaisir, forcément. D'une manière générale, ce roman a reçu un très bon accueil dès sa sortie, avec juste assez de polémique pour que je me sente vivante. Comme il s'agit de mon plus épais roman à ce jour, et le premier en fantasy adulte, l'un des genres littéraires qui me tient le plus à coeur, cet accueil me touche beaucoup. Et il m'encourage à continuer sur ma lancée.
Actusf : Quels sont vos projets en cours et à venir ?
Estelle Faye : Pour l'essentiel, mon année 2018 est consacrée à l'écriture d'un deuxième livre dans l'univers de Bohen, où j'interroge ce qu'est devenu le monde quinze ans après la Révolution. Tout ne s'est pas miraculeusement arrangé d'un coup de baguette magique, après la chute de l'Empire. On retrouve un monde plus libre par certains aspects, plus chaotique et plus sombre par d'autres...
A l’origine, je n'avais pas prévu d'écrire un deuxième livre sur Bohen, cette idée est venue, ou plutôt s'est imposée, après la sortie du premier roman.
Cela me permet d'ajouter encore une dimension au monde, de pousser plus loin les questions déjà abordées dans la première époque. Ce sera encore un épais volume, ce qui ne surprendra pas les lecteurs, je pense. Et j'adore arpenter à nouveau cet univers.
Par ailleurs, au printemps sortiront mon premier Space Opera (chez Scrineo, dans la collection dirigée par Stéphanie Nicot), et mon premier roman pour petite jeunesse, de la fantasy à partir de huit ans chez Nathan.
Actusf : Où pourra-t-on vous rencontrer dans les mois à venir ?
Estelle Faye : Je serai mi mars au Salon Livre Paris (je n'ai pas encore mes horaires de dédicace), et fin mai aux Imaginales. Entre les deux je devrais aller dans quelques autres festivals au printemps, mais rien d'officiel pour l'instant.
Je mettrai les dates au fur et à mesure sur mon site :www.estellefaye.fr