Alain Damasio et les Furtifs

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C'est une discussion que je voulais vraiment avoir avec toi, à Epinal, puis les circonstances en ont décidé autrement. Parce qu'il se produit depuis plusieurs années un phénomène tout à fait fascinant qui prolonge ta réflexion, c'est-à-dire celui de l'omniprésence des capteurs et des boucles de feedback/rétroaction que l'être humain est en train d'implanter dans sa réalité quotidienne : sa maison, son environnement, voire la nature dans sa partie considérée comme sauvage. Cette réalité quotidienne, au lieu d'être indépendante, devient "attentive à lui", et se retrouve non seulement en interaction avec lui, mais à son service. Ca va des caméras de surveillance couplées à des logiciels de reconnaissance et d'aide (pas seulement le côté parano de "je suis traqué partout", il y a des fonctions d'aide, par exemple dans les maisons de retraite où on détecte les chutes ou les crises demandant une intervention immédiate) aux dispositifs d'analyse dans tes toilettes, monitorant ta santé, aux étiquettes radio dans les supermarchés, etc. etc. La liste ne cesse de s'allonger.
L'individu ne se content plus de gérer le cocon, c'est la réalité qui le devient, de façon progressive, jusqu'à ce que l'idée même d'un univers indifférent s'estompe.
C'est pour cela que l'idée des "Furtifs" comme tu en parles me fascine - j'attends ce putain de bouquin avec une impatience que tu n'imagines pas - parce que c'est également le sens de ma démarche intellectuelle en ce moment. La recherche d'une furtivité rendue nécessaire par cette omniprésence des feedbacks. Je me demande vraiment ce que tu vas en faire - je sens que cela m'offrira quelques bonnes nuits blanches, comme La Horde... en son temps.
Mais bon, faudra qu'on en parle, et je te présenterai aussi quelques projets de recherche avancés sur lesquels je travaille, qui peuvent peut-être apporter de l'eau au moulin de tes réflexions.


Yo, Jean-Claude est dans la place ! Salut Jean-Claude !

Ce que tu dis s'inscrit complètement dans mes réflexions du moment et j'ai effectivement suivi ce développement, encore embryonnaire (mais pas tant que ça, de nombreux projets de recherches sont déjà lancés) de ce que les scientifiques appellent l'intelligence ambiante, à savoir un environnement entièrement anthropisé et sensitif, tissé de capteurs et de machines apte à percevoir (chaleur, déplacement, air, son, couleurs, poids, etc.) notre présence et à y répondre, à s'y adapter, pour le meilleur (le soutien, l'alerte, la climatisation, la gestion des flux de voitures, de piétons…) et le pire (la surveillance généralisée, la négation de tout déplacement libre non perçue).

Et je suis très heureux que tu soulèves ça et que ça te touche aussi : un technococon à la dimension d'une chambre, d'une maison, d'une rue, d'une ville entière, un technocon qui ne soit même plus construit autour des interfaces homme-machine proches (clavier, écran tactile, casque, etc) mais qui soit notre environnement même. Je crois que c'est une tendance de fond de l'évolution humaine, d'aménager son espace, sa clairière, et de filtrer l'extérieur sans cesse jusqu'à aboutir à un monde humain, trop humain (et donc inhumain car niant l'altérité du froid, de la surprise, de l'événement, de l'accident possible, de l'intattendu), servi sur mesure par les technologies.

C'est cool que tu bosses aussi là-dessus et sur la résistance possible à ce monde, par la furtivité. En même temps, je me dis que ce thème ne peut que prendre une importance croissante, vu les tendances qui nous travaillent et ce n'est pas un hasard si ce sont les auteurs de Sf qui "sentent" ça comme urgent, central. Déjà il y a eu Ayerdhal avec Transparences, comme il y avait eu Wagner (mystères de Paris), des thèmes autour du fait d'être perçu ou non — et ce n'est pas fini. Dans les furtifs, mon traitement de la furtivité sera très organique, mais adossée à un monde hypergéré, hypersentient, serti dans "l'intelligence ambiante" de nos futurs environnements.

Force à toi et à très vite aux Utopiales ?
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