Transhumain a écrit: |
Dans "So Phare Away" (Galaxies), "Annah à travers la harpe" (Ceux qui nous veulent du bien) et "Sam va mieux" (Le Jardin schizologique), les enfants, qu'ils soient morts, vivants, ou imaginaires, sont des personnages centraux. Comment expliques-tu cet intérêt croissant pour l'enfance ? L'expérience de la paternité a-t-elle modifié ta perception du monde ? "Annah à travers la harpe" est sans conteste le plus ouvertement symboliste de tes textes. Est-ce une voie esthétique que tu envisages sérieusement pour tes oeuvres à venir ? Peux-tu dire quelques mots à propos de "Sam va mieux" ? Peut-on le décrire, sans trop en dévoiler, comme l'histoire d'un personnage qui, pour ne pas disparaître, se construit sa propre horde, est habité par elle, devient sa propre horde, crée du lien avec le vent et les sons, et, comme Sov, trouve son extrême-Amont grâce au vent ? Le parallèle était-il conscient ? |
Salut Transhu !
Sur la horde excluant les faibles, je trouve cette interprétation réductrice parce qu'elle oublie que la horde est un récit, à savoir un focus absolu sur un certain nombre de personnages dont on choisit de montrer le destin. Eux, et pas les autres. Le tome 2 de la Horde, par exemple, si je l'écris un jour, passera beaucoup de temps sur Aberlaas, les racleurs, le système social, les "faibles" comme tu dis. C'est une pure question de focus. D'ailleurs la horde parle des racleurs d'Alticcio et de leur exploitation.
Tout comme la zone ne parle pas des non-voltés, ne suit aucun destin de non-volté, est-ce à dire que le livre exclut tout ce qui n'est pas volte ? Ça me rappelle un texte de Bradbury où il explique qu'il reçoit des lettres d'hispaniques lui demandant pourquoi il n'y a pas d'hispaniques dans ses personnages ou de noirs se plaignant qu'ils ne sont pas représentés. Un livre n'est pas un panel marketing et montrer le lien n'est pas montrer TOUS les liens : ici, je me concentre sur ceux d'une horde. Ça ne veut pas dire que Sov, Pietro ou Aoi n'ont pas de liens avec les fréoles, les abrités, Aberlaas, etc. Simplement, le récit est centré sur l'essentiel : leurs rapports entre eux.
Sur l'émergence de la figure de l'enfant, oui, c'est la conséquence de la paternité mais c'est aussi parce que je trouve dans cette expérience, et ma fille Aliocha, une incarnation des forces de vie en totale expansion que je cherche à trouver pour mon œuvre. L'enfant totipotent, potentiel pur, gorgé d'une croissance interne tellement puissante dans un corps si petit, si neuf, troué d'une joie de vivre brute, inquestionnée, c'est absolument fascinant et c'est sous mes yeux chaque jour ! Donc oui, la figure de l'enfant va prendre une place très forte pour moi parce qu'elle présente le vif à l'état le plus évident, et sous toutes ses formes : émotives, cérébrale (apprentissage), ouverture, assimilation ultrarapide de l'altérité, perception élargie, poussée physique, acquisition magique du langage… "S'enfanter" chaque jour : et si c'était ça le combat ?
Sur "Sam va mieux", c'est une nouvelle sur la résilience et la survie en situation d'extrême solitude. C'est l'autogénération du lien et de l'altérité qui sauve, comme moteur de survie. Et c'est aussi une tentative de montrer que le lien peut se créer hors l'humain, par le rapport aux éléments, aux objets, aux animaux, à l'espace, aux sons. Tout parle, tout est possibilité de lien, tout peut être rencontré si l'on veut bien percevoir. Le rappel de la horde est anecdotique pour moi, c'est un écho que j'aurais voulu éviter mais puisque je continue à travailler sur l'écoulement et la phonétique, il est inévitable que je revienne aux flux d'air, au vent signifiant. Ça doit être aussi que je vieillis déjà !