silramil a écrit :
Appliqué à la théorie M, cela donnerait : les dispostifs des textes de SF tendent à établir des mondes alternatifs qui ne sont pas de simples artefacts littéraires, mais sont censés être concrets, matérialisés ; les lecteurs sont donc confrontés à des mondes qui font concurrence à l'état-civil de la réalité, en affirmant que cet état-civil n'est que l'un des innombrables possibles ; s'ils n'acceptent pas cette tension entre réalité et extrapolation, ils passent leur chemin, incapables de remplir les blancs pour imaginer d'autres réalités.
On remarquera qu'une des tentions les plus redoutables, les plus angoissantes et les plus fascinantes nait des textes sensé se passer dans le ... futur, parce que, si ce n'est pas notre monde tel qu'il est, nous savons que ce dernier est appelé à changer, et donc que le monde imaginaire décrit par l'auteur pourrait avoir, peut-être, un jour ou l'autre et d'une manière concrète, des interactions forte avec notre monde. Cela dit, je ne vois pas trop la place de la métaphysique dans cette tension, sauf à dire que la notion de futur est métaphysique. Mais bon, encore une fois, je ne vois pas trop l'intérêt de se polariser sur le concept de métaphysique, si embrouillé, pour si peu de gain.
Je reviens un moment sur ce fameux concept "sense of wonder", si apprécié, on dont on se rend compte d'une part, qu'il semble très subjectif, et que d'autre part, aussi bien, il est pluriel (le "sense of wonder" en lisant "Tous à Zanzibar" et le "sense of wonder" en lisant "Cugel l'astucieux" ne me semblent pas avoir tellement de choses en commun). J'ai l'impression qu'il y a une collection de "senses of wonder" en fait, peut-être pas si nombreux, mais en tout cas pas partagés du tout au même degré par les lecteurs, c'est le moins que l'on puisse dire, quand on discute entre amateurs (c'est un des intérêts des discussions et des critiques dans le milieu, d'ailleurs, et dont la teneur échappe souvent aux "mundanes"...)
La construction et le développement éditorial de la science-fiction semble avoir fait que ces "senses of wonder" se sont retrouvés à cohabiter et à interagir dans l'ensemble de la science-fiction, ce qui serait un phénomène passionnant à étudier. L'aspect sociologique du phénomène serait aussi très prégnant, à ce niveau, le groupe constitué par les amateurs, auteurs, éditeurs, illustrateurs (eh oui...) de SF ayant tendance à s'auto-influencer lui-même : le fameux "c'est de la SF parce que c'est dans une collection de SF". Ces "senses of wonder", et ces catégories de textes en fait parfois fort différentes, cohabiteraient parce que le monde de la SF y verrait un signe et en même temps un devoir (de sa part) de cohésion : "Oui c'est de la SF…bon, j'aime pas trop telle ou telle thématique, mais je ne vexe pas trop les copains non plus, je vais dire comme eux..." (sauf histoire de se disputer, mais ça, c'est une affaire interne au milieu, le monde extérieur ne comprend même pas de quoi parlent ces originaux...). C'est un phénomène très sympathique, à encourager, de mon point de vue, mais qui rend rigoureusement impossible une définition concise du genre. Déjà, il est évident que juste regarder un texte hors contexte peut ne pas suffire pour le désigner comme SF.
Le "monde extérieur" à la SF ne peut regarder ce phénomène qu'avec étonnement, et peut avoir du mal à l'accepter (déni ou rejet du genre dans son ensemble, dans le pire des cas, ou très grande difficulté, pour le critique même sérieux, à s'y retrouver, par manque d'entrainement).
A mon sens, il faut accepter les choses comme cela. Cela n'empêche pas de vanter les mérites de la SF au coup par coup en mettant en avant des textes dont on se dit qu'ils peuvent être appréciés par plus de monde, et pas seulement les connaisseurs, mais ce type d'entreprise indispensable (il faut bien recruter... et les éditeurs et auteurs sont contents quand ils vendent des livres...) ne peut pas passer par une théorisation réductrice de la SF, qui, une fois diffusée, sèmera en plus confusion et contre-sens, si son coeur est problématique. Cette affaire de métaphysique me semble pile poil dans la cible de la confusion...
Oncle Joe