Erion a écrit :L'approche par les marges me paraît très intéressante, et c'est souvent la plus pertinente, mais pour ça, il faut utiliser des oeuvres "problématiques"
OK. C'est plus ou moins impliqué dans l'idée de marge, de toute façon.
Le statut de Borgès n'est PAS problématique. Jules Verne n'est pas dans la Pléiade, Borgès si (et malgré la veuve). Historiquement, on peut pas dire que les éditeurs français de littérature générale se soient précipités sur Borgès, mais toujours est-il que désormais, son oeuvre est reconnue, connue et que sa classification comme étant de la "grande" littérature ne fait pas débat, et ne pose pas problème.
C'est plutôt l'intégration de Borgès dans la SF qui pose problème, où intuitivement, ce n'est pas totalement évident et je ne suis pas certain que n'importe quel fan de SF déclare spontanément Borgès parmi ses auteurs préférés.
Pardon mais je ne comprends pas la logique de ce paragraphe.
J'essaie de définir la SF, pas la littérature générale. Je m'intéresse donc aux marges de la SF, où se trouve précisément Borgès. Je fais exactement ce que tu dis au début : m'intéresser à une œuvre problématique (pour la SF) dans l'espoir d'apprendre quelque chose (sur la SF). Le fait que Borgès ne soit pas problématique pour le mainstream n'a, me semble-t-il, rien à voir.
Je passe sur Verne qui est évidemment primordial (ce qui n'est pas tout à fait la même chose que central) et ne concerne pas l'exploration des marges.
Quelle est l'influence de Borgès sur la SF mondiale, sur le coeur du genre ? Est-ce comparable à l'influence de Verne ou de Gibson. Si Borgès est juste une oeuvre isolée dans son approche et que ses conséquences sur le genre sont nulles ou minimes, son impact sur la définition de la SF l'est tout autant.
C'est une façon intéressante de poser la question. Transposons dans un autre domaine. J'essaie de définir ce que sont les arts plastiques. A priori, il y a un tel corpus d'œuvres que la définition ne devrait poser aucun problème : ce sont des dessins, des peintures, des sculptures dotés de telle ou telle qualité, attribution, caractéristique, et produisant tel effet, etc.
Mais en jetant un coup d'œil aux marges, je découvre un artiste particulier : Marcel Duchamp. Ce gars-là a fait un geste très étrange : il a exposé un urinoir sans le modifier en rien, sans lui ajouter quoi que ce soit. D'une certaine manière, il a dit par ce geste : les arts plastiques, c'est ce que je désigne comme tel. Ce n'est pas dans l'objet, c'est dans l'attention qu'on lui porte et les conditions où on l'expose.
Quelle est l'influence de Duchamp sur le domaine ? Force est de reconnaître que près de huit décennies après son geste, les arts plastiques, pour la plupart des gens, ce sont encore des peintures et des sculptures. Mais il y a aussi ceux qui connaissent Duchamp et qui savent que ce n'est pas aussi simple. Que c'est même très compliqué. Et que c'est pour ça, éventuellement, que c'est intéressant. Que si on veut précisément définir les arts plastiques, il faudra tenir compte de Duchamp.
Est-ce que ça répond à ta question ?
(Sur l'influence de JLB sur le domaine, ce serait un travail à soi seul. Je jette un coup d'œil à l'Encylopédie de C&N et j'y trouve une remarque sur la puissante influence qu'il a eu sur Gene Wolfe, sur le fait qu'il peut être considéré comme un précurseur de Dick et Vonnegut à propos de la question de la nature de la réalité, qu'une de ses anthologies a été préfacée par Ursula LeGuin et qu'on trouve une
Introduction à la littérature américaine de JLB mentionnant Lovecraft, Heinlein, Van Vogt et Bradbury. Qu'enfin, de nombreuses nouvelles de lui ont été reprises dans des anthologies de science-fiction. J'ajoute à ceci parce que ça me vient que JLB est devenu lui-même un personnage de sf (comme Kafka) dans au moins une nouvelle parue dans la GASF, ainsi que dans une très belle BD de Breccia (qui a aussi adapté Cthulhu). Son influence sur le monde de
Cités Obscures est colossale. Il me semble qu'elle est sensible dans le premier
Cube. Je crois qu'en cherchant un peu, on finirait par se rendre compte que Borgès pèse de tout son poids sur la SF.)