Du sense of wonder à la SF métaphysique

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Lem

Message par Lem » ven. janv. 22, 2010 8:14 pm

MF a écrit :
Lem a écrit :Tant que je me perçois comme un écrivain de SF, un critique ou un historien de la SF, je me sens en demeure de neutraliser les mauvaises perceptions de l'étiquette et du genre, de justifier son élasticité, de nuancer sa perception "american only", etc.
Est-ce que ça veut dire que tu n'y arrives pas en tant que lecteur ?
Que je n'arrive pas à quoi ? "En tant que lecteur", à neutraliser les mauvaises perceptions, justifier l'élasticité, nuancer la réputation US ? Je ne sais pas quel sens donner à ta question.
Parce que c'est bien cela que je te demandais : ton analyse de ta perception de lecteur.
Ce qui fais que tu considéres que L'Enfer quand Dieu n'est pas présent ou En remorquant Jéhovah sont de la SF
(Dans le cadre ancien, avant la speculative fiction) : la même chose que quand je lis La bibliothèque de Babel. Quand je découvre que le texte prend mon appétit de "merveille" au sérieux – qu'il ne se défile pas – ; quand je vois que la bibliothèque est vraiment infinie et que c'est ça qui intéresse l'auteur, que c'est ça qu'il explore (et non prend pour prétexte d'une satire ou d'une allégorie) ; il y a un instant de transition où j'ai l'impression d'assister à quelque chose de primordial ; l'impression de voir des idées, des concepts "tomber" dans la matière ; et où j'éprouve une sorte de sidération. Comme si le texte tenait une promesse que le monde ordinaire passe son temps à décevoir… (Je n'interprète pas ce qui se passe, hein ; je me contente de décrire ce que j'éprouve.)
Si maintenant j'analyse ce que j'éprouve quand je lis… je ne sais pas… Rendez-vous avec Rama, pour prendre de la SF pure et dure, j'ai la même impression au moment critique où l'éclairage intérieur de l'objet s'allume et où le narrateur découvre qu'il est suspendu à une échelle de deux kilomètres de long. Et encore quand Rama se dégèle, que l'océan cylindrique craque, que la vague se forme, etc. Je suis conscient, bien sûr, du caractère particulier que confère aux images leur plausibilité scientifique mais sous ce caractère, je crois profondement que l'impression est la même. Voilà pourquoi j'ai cherché le point commun.
Modifié en dernier par Lem le ven. janv. 22, 2010 8:17 pm, modifié 1 fois.

Fabien Lyraud
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Message par Fabien Lyraud » ven. janv. 22, 2010 8:15 pm

- le rapport de la SF à la métaphysique me semble indéniable, même si les débats ont bien montré que l'équation SF = fiction métaphysique n'a aucun sens. Le jeu avec l'espace-temps et les cadres de la connaissance rationnelle impliqué par la plupart des sujets de SF, même les plus juvéniles, est lié à sa racine à une interrogation métaphysique (sauf que c'est plus fun, la SF!)
Elargir à toute la philosophie me semble préférable. Il y a d'autres domaines dans la philo qui ont un écho voire plusieurs dans des oeuvres de SF. La fixation de Serge sur la métaphysique est trop restrictive. C'est ce que l'on dit depuis presque 400 pages.
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Lensman
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Message par Lensman » ven. janv. 22, 2010 8:42 pm

silramil a écrit :
Dans l'autre (Terremer), des éléments narratifs qui ne dépendent pas d'une subjectivité nous informent que des magiciens existent et qu'ils dominent certains aspects du monde rien qu'en les nommant. Tout le monde appelle cette force "magie", et elle est inexplicable, fluctuante, suscitée simplement par des "dons" innés et un rapport chamanique aux mots comme équivalents du monde. Même s'il reste possible de suivre un raisonnement similaire à celui du premier cas (et si ces magiciens étaient des mutants capables de percevoir le monde et de le modeler à leur guise grâce à une énergie explicable?) cela entraîne si loin des éléments donnés dans le texte qu'une telle lecture implique de faire fi de données objectives.
A partir du moment où il faut solliciter le texte de manière furieuse pour en faire de la SF, et que c'est peu convaincant, même quand on est un lecteur chevronné et torturé du genre, c'est que l'intérêt SF du texte est inexistant. Du coup, pour l'amateur d'étiquette, pourquoi le qualifier de SF? On ne va pas interpréter "Rhinocéros" de Ioneco comme de la SF, au motif que l'on pourrait, en forçant le trait, voir la rhinocérite comme un maladie provoquée par une mutation. Le gain serait nul: le texte est prestigieux, mais tout le monde nous prendra pour des fous… (c'est déjà le cas?)
Oncle Joe

Pete Bondurant
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Message par Pete Bondurant » sam. janv. 23, 2010 12:16 am

Lem a écrit :Quand je découvre que le texte prend mon appétit de "merveille" au sérieux – qu'il ne se défile pas – ; quand je vois que la bibliothèque est vraiment infinie et que c'est ça qui intéresse l'auteur, que c'est ça qu'il explore (et non prend pour prétexte d'une satire ou d'une allégorie) ; il y a un instant de transition où j'ai l'impression d'assister à quelque chose de primordial ; l'impression de voir des idées, des concepts "tomber" dans la matière ; et où j'éprouve une sorte de sidération. Comme si le texte tenait une promesse que le monde ordinaire passe son temps à décevoir…
Tiens, une intervention qui associe gain cognitif et satisfaction esthétique...
En fait, tu écris de la SF tout le temps ?

*

En tous cas merci de justifier, de temps à autre, la lecture laborieuse de ce fil...

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Lensman
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Message par Lensman » sam. janv. 23, 2010 12:21 am

Pete Bondurant a écrit :
En tous cas merci de justifier, de temps à autre, la lecture laborieuse de ce fil...
Merci aussi de le lire, quoique je me demande si c'est bien raisonnable… n'oublie pas un massage des globes oculaires de temps à autre, si ça devient douloureux.
Oncle Joe

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Aldaran
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Message par Aldaran » sam. janv. 23, 2010 12:25 am

Pete Bondurant a écrit :
Lem a écrit :Quand je découvre que le texte prend mon appétit de "merveille" au sérieux – qu'il ne se défile pas – ; quand je vois que la bibliothèque est vraiment infinie et que c'est ça qui intéresse l'auteur, que c'est ça qu'il explore (et non prend pour prétexte d'une satire ou d'une allégorie) ; il y a un instant de transition où j'ai l'impression d'assister à quelque chose de primordial ; l'impression de voir des idées, des concepts "tomber" dans la matière ; et où j'éprouve une sorte de sidération. Comme si le texte tenait une promesse que le monde ordinaire passe son temps à décevoir…
En tous cas merci de justifier, de temps à autre, la lecture laborieuse de ce fil...
Qu'est-ce qui est justifié ? On peut dire ça de tout ce qui se lit, non ? Des lecteurs de Harlequin pourraient tenir le même discours, je pense.

Pete Bondurant
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Message par Pete Bondurant » sam. janv. 23, 2010 12:35 am

Lensman a écrit :
Pete Bondurant a écrit :
En tous cas merci de justifier, de temps à autre, la lecture laborieuse de ce fil...
Merci aussi de le lire, quoique je me demande si c'est bien raisonnable… n'oublie pas un massage des globes oculaires de temps à autre, si ça devient douloureux.
Oncle Joe
C'est l'histoire d'une demi-heure par jour. Pas la mort, mais pas rien non plus. Et je m'y tiens, sans quoi cela veut dire une heure le lendemain, etc.

Il y a des moments de pure joie, d'émerveillement, d'excitation.

Et des moments d'énervement ("bordel, mais pourquoi je perds mon temps à regarder des types que je connais pas s'engueuler aussi minablement sur des sujets qui ne m'intéressent qu'à moitié ?")
(Ces réflexions-là sont assez douloureuses).

Le petit laïus de Lem sur les concepts qui tombent du ciel, comme ça, ni vu ni connu, au milieu du tohu-bohu... ça a justifié ma demi-heure quotidienne.

Pourvu que ça dure.

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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » sam. janv. 23, 2010 12:38 am

Pete Bondurant a écrit :Tiens, une intervention qui associe gain cognitif et satisfaction esthétique...
Le gain cognitif, c'était à moi.

Merci Pete.
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Lensman
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Message par Lensman » sam. janv. 23, 2010 12:39 am

Pete Bondurant a écrit :
Le petit laïus de Lem sur les concepts qui tombent du ciel, comme ça, ni vu ni connu, au milieu du tohu-bohu... ça a justifié ma demi-heure quotidienne.

Pourvu que ça dure.
Surtout que, si on change de repère, on peut voir les idées monter vers la matière, ce qui est encore plus beau!
Le monde est merveilleux.
Oncle Joe

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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » sam. janv. 23, 2010 12:39 am

Pete Bondurant a écrit :Le petit laïus de Lem sur les concepts qui tombent du ciel, comme ça, ni vu ni connu, au milieu du tohu-bohu...
Pareil, c'était ma réplique.
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Message par Roland C. Wagner » sam. janv. 23, 2010 12:48 am

N'empêche qu'il sera sorti des pistes intéressantes de cette trop longue enfilade.

Un peu de clarté, ça ne fait pas de mal après tant d'embrouillaminis.

Bon, ce qui est clair, c'est qu'aucune définition de la science-fiction n'en sortira, mais ça, on s'en doutait dès le début.

Par contre, certains passages ont permis de cerner différents champs qui se recoupent plus ou moins.
Modifié en dernier par Roland C. Wagner le sam. janv. 23, 2010 1:13 pm, modifié 1 fois.
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Message par bormandg » sam. janv. 23, 2010 12:50 am

Lensman a écrit : A partir du moment où il faut solliciter le texte de manière furieuse pour en faire de la SF, et que c'est peu convaincant, même quand on est un lecteur chevronné et torturé du genre, c'est que l'intérêt SF du texte est inexistant. Du coup, pour l'amateur d'étiquette, pourquoi le qualifier de SF? On ne va pas interpréter "Rhinocéros" de Ioneco comme de la SF, au motif que l'on pourrait, en forçant le trait, voir la rhinocérite comme un maladie provoquée par une mutation. Le gain serait nul: le texte est prestigieux, mais tout le monde nous prendra pour des fous… (c'est déjà le cas?)
Oncle Joe
Je trouve que l'exemple peut être utilisé de manière inverse, parce que la démarche de Ionesco, même si elle gomme l'explication scientifique, me parait suffisamment proche de la démarche de l'auteur de SF pour que classer la pièce dans la "quasi-SF", texte qui aurait pu être de SF si l'auteur l'avait publié comme tel, me paraît arfaitement possible. Et je me vois très bien l'utiliser pour contrer les anti-SF en disant que Ionesco et Fredric Brown sont assez proches pour que quelqu'un qui a apprécié Rhinocéros lise sans a priori négatif Martiens go home.
"If there is anything that can divert the land of my birth from its current stampede into the Stone Age, it is the widespread dissemination of the thoughts and perceptions that Robert Heinlein has been selling as entertainment since 1939."

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Message par Lensman » sam. janv. 23, 2010 12:55 am

bormandg a écrit :
Lensman a écrit : A partir du moment où il faut solliciter le texte de manière furieuse pour en faire de la SF, et que c'est peu convaincant, même quand on est un lecteur chevronné et torturé du genre, c'est que l'intérêt SF du texte est inexistant. Du coup, pour l'amateur d'étiquette, pourquoi le qualifier de SF? On ne va pas interpréter "Rhinocéros" de Ioneco comme de la SF, au motif que l'on pourrait, en forçant le trait, voir la rhinocérite comme un maladie provoquée par une mutation. Le gain serait nul: le texte est prestigieux, mais tout le monde nous prendra pour des fous… (c'est déjà le cas?)
Oncle Joe
Je trouve que l'exemple peut être utilisé de manière inverse, parce que la démarche de Ionesco, même si elle gomme l'explication scientifique, me parait suffisamment proche de la démarche de l'auteur de SF pour que classer la pièce dans la "quasi-SF", texte qui aurait pu être de SF si l'auteur l'avait publié comme tel, me paraît arfaitement possible. Et je me vois très bien l'utiliser pour contrer les anti-SF en disant que Ionesco et Fredric Brown sont assez proches pour que quelqu'un qui a apprécié Rhinocéros lise sans a priori négatif Martiens go home.
En quelque sorte, tu proposes de ridiculiser Ionesco en faisant remarquer que sa pièce est proche d'un truc de sous-littérature comme "Martiens go home"? Tu vas nous attirer des ennuis…
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Message par bormandg » sam. janv. 23, 2010 12:57 am

Et tiens, Lem, maintenant que tu remarques que la SF spéculative s'inscrit dans le domaine bien plus vaste de la spéculation littéraire (après tout, Micromegas reprenait les bases des Lettres persanes, c'est vrai que la fiction sp"éculative n'est pas réservée à la SF), c'est là que le problème du déni prend son ampleur. Pourquoi une fiction spéculative non SF (ce qui veut dire, je le précise: sans utiliser les règles et l'étiquette de la SF, mais cela autorise la quasi-SF dont je parlais dans le message précédent) est-elle acceptée, voire encensée, par ceux qui récusent la même fiction présentée avec l'étiquette et le respect des règles? Et je dis bien la même, ni plus, ni moins métaphysique.
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Message par bormandg » sam. janv. 23, 2010 12:58 am

Lensman a écrit :
bormandg a écrit :
Lensman a écrit : A partir du moment où il faut solliciter le texte de manière furieuse pour en faire de la SF, et que c'est peu convaincant, même quand on est un lecteur chevronné et torturé du genre, c'est que l'intérêt SF du texte est inexistant. Du coup, pour l'amateur d'étiquette, pourquoi le qualifier de SF? On ne va pas interpréter "Rhinocéros" de Ioneco comme de la SF, au motif que l'on pourrait, en forçant le trait, voir la rhinocérite comme un maladie provoquée par une mutation. Le gain serait nul: le texte est prestigieux, mais tout le monde nous prendra pour des fous… (c'est déjà le cas?)
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Je trouve que l'exemple peut être utilisé de manière inverse, parce que la démarche de Ionesco, même si elle gomme l'explication scientifique, me parait suffisamment proche de la démarche de l'auteur de SF pour que classer la pièce dans la "quasi-SF", texte qui aurait pu être de SF si l'auteur l'avait publié comme tel, me paraît arfaitement possible. Et je me vois très bien l'utiliser pour contrer les anti-SF en disant que Ionesco et Fredric Brown sont assez proches pour que quelqu'un qui a apprécié Rhinocéros lise sans a priori négatif Martiens go home.
En quelque sorte, tu proposes de ridiculiser Ionesco en faisant remarquer que sa pièce est proche d'un truc de sous-littérature comme "Martiens go home"? Tu vas nous attirer des ennuis…
Oncle Joe
Je ne ridiculise pas Ionesco, je ridiculise ceux qui ne voient pas la ressemblance. :evil:
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