Anticipant sur mon dernier long post qui sera une conclusion et ne reviendra pas spécialement sur le non-humain/inhumain, je voudrais tout de même revenir sur l'idéalisation qui se semble faite ici et là du travail d'Hugo Gernsback dont je ne méconnais en aucune manière la personnalité et le dynamisme mais qu'il me faut relativiser et surtout resituer en son temps..
Gernsback, né en 1884, arrivé aux USA en 1904, d'abord importateur de matériel électrique et radio est, dès 1908, avec Modern Electrics, essentiellement un créateur de revues, de pulps, pour la plupart consacrés à de la vulgarisation, surtout en radio, mais pas seulement, où il publie de temps en temps de la science-fiction, y compris la sienne, avec un grand succès populaire. Des pulps, il en a créé dans sa vie une bonne trentaine dans les domaines les plus divers, y compris la sexologie. Il connaît donc merveilleusement le secteur de la presse populaire et a pu mesurer dès ses premières revues consacrées à la radio naissante combien les amateurs et bricoleurs du domaine avaient besoin d'échanger leurs conseils et questions entre eux, comme aujourd'hui d'innombrables forums spécialisés dans les sujets les plus pointus sur le net. Et c'est pourquoi il prend l'habitude de publier leurs adresses ce qui, bien plus tard, facilitera l'apparition du fandom de sf. Il fonde en 1909 une association Wireless Association of America, consacrée à la radio, qui aurait compté plus de dix mille membres dès l'année suivante..
Le plus souvent, il revend ses revues au bout de quelques années. Pour Amazing, ce sera dès 1929, peut-être à cause de la crise mais ça n'a rien de certain, et c'est peut-être la raison du passage de scientifiction à science-fiction. Il ne veut pas encourir un procès.
Dans un domaine proche de celui d'Amazing, il a un grand prédécesseur, Weird Tales, né en 1923 et où il puisera beaucoup d'auteurs. WT s'inscrit dans la tradition du fantastique et de l'étrange américain, celle de Poe, de Bierce, d'Irving et de bien d'autres, mais publie aussi de la science-fiction.
Gernsback tire la leçon du succès de Weird Tales. Et c'est en partie là qu'il va chercher ses auteurs. Mais il a aussi un autre projet, dont il s'explique longuement dans ses éditoriaux d'Amazing, c'est de vulgariser la science par le moyen de la fiction, en droite ligne de la plupart de ses précédentes publications, une dizaine au moins. Il croit profondément que l'avenir est dans la science ou du moins dans la technique, d'autant plus qu'il a une formation d'ingénieur. Il est certainement influencé par la vocation de prospectiviste de H.G. Wells dont il connaît bien l'œuvre.
D'après Wiki: Gernsback wrote some fiction, including the novel Ralph 124C 41+ in 1911 (the title was a pun of the phrase "one to foresee for one"), ce qui en dit long.
Au surplus, Gernsbascher, luxembourgeois, connaît presque certainement, comme tous ses compatriotes ayant fait des études, le français et l'allemand, en sus de l'anglais et évidemment du luxembourgeois, cette langue très étrange ou l'orgue de barbarie est appelé Die Lanterne Magik parce que la confusion a été faite au départ entre les deux appareils probablement associés dans les spectacles. Il a donc pu lire Renard, Rosny et Wells, et quelques auteurs allemands auxquels il fait une place, surtout technique, dans Amazing et ses autres revues.
On trouvera beaucoup d'informations de base sur les pulps sur le site:
http://www.vintagelibrary.com/pulpficti ... entral.php
dont j'extrais ce paragraphe:
Pulp fiction magazines were the main source of everyday entertainment for the masses during the first half of the 20th Century. These magazines delivered action and heroes that were some of the most creative in literary history. Pulp heroes and their authors have influenced every medium including comics, movies, and television.
The Pulps delivered stories for every possible genre, including detective, western, adventure, spicy, spy/military, as well many other, smaller niche genres. The Pulps were also responsible for the creation of the hardboiled detective story as well as the sci-fi genre. The pulps emerged out of the cheap "dime novels" of the late 19th century. From 1900 to 1920, the newspaper like dime novels evolved into the well known magazine format. Magazines such as Argosy, All-Story Weekly, and Blue Book dominated the field with general fiction stories. Tarzan and Zorro are two classics from this era come to mind qucikly.
The 1920s saw the transformation from general fiction to genre fiction. The general fiction magazine Black Mask evolved away from standard fiction and cozy style mysteries into the home of Dashiell Hammet and the Hard Boiled Detective. Meanwhile, Weird Tales the Unique Magazine provided an outlet for weird and fantastical writings which launched the fantasy and horror genres for writers such as H.P. Lovecraft, Robert E. Howard, Clark Ashton Smith and many others. Soon came along Astounding Stories and Astonishing Stories which launched the Golden Age science fiction and speculative fiction.
Mais tout le reste mérite d'être lu (et bien d'autres sources).
Tout cela n'est pas écrit pour minimiser la personnalité et le rôle de Gernsback, mais pour rappeler que c'est un homme d'affaires moyennement avisé qui a une vision, l'avenir est dans la radio, la télévision et plus généralement la technique servie par la science, et qui du coup se trouve à l'origine de quelque chose qui manifestement le dépasse très vite. Ce n'est pas l'homme providentiel qui a tout inventé que l'on a parfois tendance à invoquer des deux côtés de l'Atlantique en en faisant la figure du Père Fondateur et en négligeant tout le contexte. C'est celui qui s'est trouvé au bon endroit au bon moment et qui a essayé d'en tirer partie. Ce n'est pas rien, loin de là et le fandom américain, voire la science-fiction américaine, lui doivent beaucoup. Mais à côté d'un Wells, par exemple, il reste un nain. Tout le reste tient de la légende urbaine et même parfois de la mystification idéologique nationaliste.
On peut risquer une uchronie où Gernsback n'aurait pas existé. Il est vraisemblable que la science-fiction américaine se serait développée, probablement sous le terme de scientific romance et à partir des nombreux pulps qui en publiaient de façon non spécialisée. C'est dans Weird Tales que Lovecraft, Kuttner, Bradbury et bien d'autres (dont Edmond Hamilton, merci Lem) ont publié. Et il n'y a aucune raison de penser qu'Astounding n'aurait pas été créé comme il le fut dès 1930 et que Campbell n'aurait pas joué, à partir de 1939, un rôle, à mon avis bien plus important que Gernsback dans la maturation de l'espèce littéraire qui se serait peut-être appelée, juste pour faire plaisir à Lem, Analog Fiction.
Mon immortalité est provisoire.