Lensman a écrit :Est-ce que tu qualifierais les "Grands Transparents" de Breton de "métaphore réifiée"?
Non. C'est d'ailleurs la différence entre surréalisme et science-fiction. Voici l'extrait des
Prolégomènes à un troisième manifeste où Breton formule ce qu'il appelle "un nouveau mythe" :
L’homme n’est peut-être pas le centre, le point de mire de l’univers. On peut se laisser aller à croire qu’il existe au-dessus de lui, dans l’échelle animale, des êtres dont le comportement lui est aussi étrange que le sien peut l’être à l’éphémère, ou à la baleine. Rien ne s’oppose nécessairement à ce que ces êtres échappent de façon parfaite à son système de références sensoriel à la faveur d’un camouflage de quelque nature qu’on voudra à l’imaginer mais dont la théorie de la forme et l’étude des animaux mimétiques posent à elles seules la possibilité. (…) En considérant les perturbations de type cyclone, dont l’homme est impuissant à être autre chose que la victime ou le témoin, ou celle du type guerre, au sujet desquelles des versions notoirement insuffisantes sont avancées, il ne serait pas impossible, au cours d’un vaste ouvrage auquel ne devrait jamais cesser de présider l’induction la plus hardie, d’approcher jusqu’à les rendre vraisemblables la structure et la complexion de tels êtres hypothétiques, qui se manifestent obscurément à nous dans la peur et le sentiment du hasard. (…)
Un mythe nouveau ? Ces êtres, faut-il les convaincre qu'ils procèdent du mirage ou leur donner l'occasion de se découvrir ?
Quand on replace ce texte dans son contexte et l'ensemble des théories surréalistes, les Transparents ont une existence – pourrait-on dire –
objective-subjective. Ils existent objectivement en tant qu'entités subjectives et quand l'artiste atteint l'état de grâce, il parvient à les saisir dans son œuvre. Celle-ci est donc la seule trace concrète de l'existence des Transparents – la seule manifestation susceptible de faire l'objet d'une coordination intersubjective. Ils ne sont pas réifiés, ils se tiennent dans une sorte d'état spectral, intermédiaire. C'est assez proche de Jung, tout ça.
Mais je crois que n'importe quel auteur ou lecteur de SF "sent" combien il est facile d'exploiter une telle représentation, de la faire basculer dans le genre : il suffit de la prendre au pied de la lettre, de la réifier. Etonnamment, on en trouve une sorte d'écho anticipé chez Rosny, dans ce passage d'Un autre monde qui précède pourtant le texte de Breton de plusieurs dizaines d'années :
Le monde autrement coloré, autrement transparent et opaque – la faculté de voir à travers les nuages, d’apercevoir les étoiles par les nuits les plus couvertes, de discerner à travers une cloison de bois ce qui se passe dans une chambre voisine ou à l’extérieur d’une habitation – qu’est tout cela, auprès de la perception d’un MONDE VIVANT, d’un monde d’Etres animés se mouvant à côté et autour de l’homme, sans que l’homme en ait conscience, sans qu’il en soit averti par aucune espèce de contact immédiat ? (…) Un règne se mouvant sur les eaux, dans l’atmosphère, sur le sol, tout autrement que nous, mais avec une énergie assurément formidable, et par là agissant directement sur nous et nos destinées ?
On pourrait aussi rattacher à tout cela un roman comme
Guerre aux Invisibles de Russell, par exemple. Au final, en s'appuyant sur la simple distinction originelle métaphore/réification, on pourrait placer les FTM au centre d'une constellation d'influences conscientes ou inconscientes, certaines françaises, d'autres anglo-saxonnes. On parlerait de psychanalyse, et spécialement de Jung. On parlerait de métapsychique – et évidemment de métaphysique. La Grande Terreur Primitive aurait beaucoup à livrer de ce point de vue. Si je tombais sur un tel article, indépendamment de toute considération personnelle, je le trouverais intéressant et il aurait l'avantage d'extraire l'œuvre du sempiternel débat "les pouvoirs psi sont-ils rationnels ou non ?"