Lem a écrit :
Notre "désaccord" n'est donc pas celui que tu dis. J'aurais plutôt tendance à le décrire comme suit (je reprends tes termes) :
D'un côté les "réalistes-conjecturaux" qui s'intéressent aux idées, aux spéculations, et pour qui l'usage du langage est utilitaire.
De l'autre côté, moi-même (je ne sais pas qui me suit sur ce terrain) qui s'intéresse de la même manière aux idées et à l'usage du langage et qui, dans certains cas, considère que le jeu des idées peut être décrit comme un certain usage du langage ou vice-versa – ce qui permet d'extraire de l'œuvre des significations nouvelles.
Je suis tout à fait d'accord avec cette description.
Cependant, avant d'arriver à ce niveau, on est passé par une étape, me semble-t-il, où tu nous proposais la théorie de la métaphore réifiée non pas uniquement comme une description technique d'un procédé employé par l'auteur (plus ou moins consciemment, parfois comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, mais c'est intéressant), mais comme un processus beaucoup plus fondamental qui, quelque part, me donnait l'impression qu'on pourrait, aussi bien, faire l'économie de l'aspect spéculation ("Regardez! je tiens en équilibre sans les mains!") dans la description de la démarche de la SF.
Non pas un enrichissement de l'approche, mais plutôt un discours disant quelque part: "Cet aspect spéculation, en plus à avec ce terme "science" qui entraine rejet ou suspicion, on peut s'en passer pour caractériser de manière cohérente la SF."
Or, pour moi, la SF passe par la revendication ouverte de la spéculation, avant toute autre considération (parce que, pour le reste, il y a déjà, justement, tout le reste la littérature). Si elle passe au second plan, ou est dissimulée sous une autre apparence, l'intérêt de la démarche SF disparaît pour moi.
C'est pour cette raison, au moins, que les discussions sont si vives. Pour faire une métaphore amusante tirée de notre sous-culture, je rappellerai (je l'avais peut-être déjà donné, cet exemple) ce petit film de série B, "La créature est parmi nous", une suite de "L'étrange créature du lac noir", où la pauvre créature est opérée par des chirurgiens pour lui donner une apparence plus humaine. Le prix à payer ne vaut pas la chandelle (pour la créature…).
Cela dit, ce n'est même pas encore ce qui me pose le plus de problème. J'ai l'impression, sans arriver à pouvoir correctement le caractériser, qu'il y a au fond de ces discussions un désaccord assez profond d'ordre philosophique, et non pas simplement (sic) sur des questions assez absconses d'analyse littéraire et artistique, ou sur les différences d'appréciation quant au type de stratégie à employer pour lever le fameux "déni" (on pourrait se dire pour mettre tout le monde d'accord qu'on peut faire feu de tout bois, mais on sent que ça n'est pas satisfaisant, ce serait un compromis trop bancal ).
C'est ce qui rend les discussions parfois difficiles, mais passionnantes, aussi, de mon point de vue.
Un dernier point: SI il n'y avait pas de déni de la SF, je pense que ton approche serait mieux accueillie, y compris par ceux qui la comprennent mal. Pour continuer dans la métaphore (enfin, je préfère analogie…), je dirais que, si la SF est un couteau, on a l'impression que tu trouves le manche plus important que la lame, alors que je pencherais complètement du côté de la lame. Et pour moi, je préfère garder la lame: le manche, on peut arriver à bricoler quelque chose pour le remplacer. Sans lame, par contre…
Oncle Joe