Je crois que ça marche dans l'autre sens: d'abord, le genre s'impose par lui-même, parce qu'il gagne son public, ensuite, éventuellement, les prescripteurs plient.Lem a écrit :Pour être honnête, si les livres étaient lus – j'imagine que tu veux dire : si le public était assez vaste et fidèle pour faire vivre confortablement les collections et les auteurs –, je crois que la question de la reconnaissance se poserait avec beaucoup moins d'acuité. Ce problème est aussi vieux que le genre – en France, en tout cas. Il y a déjà des commentaires amers de Renard dans les années 20 sur "le découragement" qui a poussé Wells et Rosny (lui-même, en transparence) à plus ou moins renoncer à la SF.Lensman a écrit :Que cherchons-nous? Pourquoi? qu'est-ce qui a de la valeur, au fond, dans la reconnaissance littéraire?
Dit autrement, s'il y avait non reconnaissance critique, mais si les livres de SF étaient lus par plein de gens, est-ce qu'on s'en ficherait? Et si non, pourquoi?
Que cherchons-nous ? est une bonne question. Je crois que, là aussi, j'y ai déjà répondu plus tôt, mais je peux remettre ça, si tu veux.
1. Argument contingent.
le marché F est trop étroit et trop confidentiel. Sur un demi-siècle, il y a des fluctuations (et quelques contre-exemples d'auteurs labellisés qui réussissent commercialement) mais dans l'ensemble, on est toujours à la limite de l'asphyxie : juste assez d'air pour respirer, mais pas assez pour courir et encore moins voler. Avec tous les effets négatifs impliqués.
Etablir la légitimité de la SF devrait idéalement produire deux résultats : a) l'inscrire "normalement" dans le paysage culturel, comme le roman historique, la bande dessinée ou le polar (un bon texte devrait être signalé dans tous les médias, de façon généraliste, et non pas rester confiné dans les cases réservées qui ne touchent que les lecteurs déjà convaincus). b) conserver son lectorat au sortir de l'adolescence ; casser le réflexe "je suis adulte, maintenant, j'arrête de lire ces trucs".
Je suis peut-être candide là-dessus mais ça vaut quand même le coup d'essayer.
2. Argument culturel.
La littérature, la culture et d'une manière générale la pensée françaises ont bien besoin d'un peu de sang neuf – et de reconsidérer pas mal de vaches sacrées intellectuelles. Etablir la légitimité de la SF aurait à mon avis, à moyen terme, plusieurs conséquences intéressantes de ce point de vue : a) Une redécouverte de l'histoire littéraire et culturelle du XXème siècle sous un angle inattendu (bouffée d'air frais, sentiment d'appropriation). b) Un assouplissement de la ligne de partage science/humanité qui est à mon avis mortifère. c) Un assouplissement de l'autre ligne de partage (qui intersecte la première mais ne se confond pas avec elle) savant/populaire, tout aussi mortifère. d) Une réouverture à la pensée spéculative (scientifique mais pas seulement) qui fait terriblement défaut aujourd'hui.
On peut évidemment se foutre de la culture française mais, moi, je vis dedans et j'aimerais m'y sentir un peu plus "chez moi".
3. Argument culturel / bis.
La SFF a elle aussi grand besoin d'un peu de sang neuf.
Non?
Oncle Joe