J'arrive un peu après la bataille, on dirait.
Mon grain de sel cependant :
J'essaie, péniblement, de terminer
La Carte et le territoire. Personne ne m'a forcé : j'avais plutôt bien aimé
Extension... et, dans une moindre mesure,
Les Particules élémentaires.
Plateforme et surtout
La Possibilité d'une île m'avaient paru beaucoup plus inégaux, largement moins drôles, parfois même assez couillons - les interviews provocs de l'auteur n'arrangeant rien à l'affaire ("Il faut être bref quand le sujet a peu d'intérêt. Si j'écrivais un livre contre le bouddhisme, il me faudrait plusieurs centaines de pages, parce que c'est une religion intéressante et compliquée. L'islam est une religion simple et bête, on peut donc l'expédier en une phrase." -
Les Inrocks, 2005).
Depuis, Houellebecq a probablement compris qu'il n'aurait jamais le Goncourt s'il poursuivait dans cette voie. De surcroit, il peut désormais jouer l'homme blessé - son rôle préféré, comme celui de ses copains BHL et Beigbeder.
Il accouche donc, avec un sens du timing auquel on ne peut que rendre hommage, d'un roman "calme" à dosage limité en provocation : à part le passage - totalement inutile - sur le coming-out de Jean-Pierre Pernaud (à peu près aussi crédible et non-drôle que la pièce "Broute-moi la bande de Gaza" dans
La Possibilité d'une île), rien ne dépasse réellement.
Mais en ce qui me concerne, le problème est ailleurs.
Le problème, c'est que Houellebecq se répète. Certes, on devine qu'il n'est pas très heureux de vieillir, que sa vie sexuelle n'a jamais été bien exaltante et que son enfance n'a rien eu d'une partie de plaisir, et on se doute que tout cela pouvait difficilement déboucher sur une perception très optimiste de l'existence. Il n'empêche : cette vision du monde unilatéralement noire et dont la noirceur, si j'ose dire, est encore rehaussée par les quelques éclairs d'espoir que l'auteur laisse perfidement entrevoir (du genre "oui mais quand même, un oiseau qui chante, c'est joli" ou "oui mais quand même, une fille qui vous taille une pipe, c'est sympa") devient à la longue aussi fatigante que l'angélisme idiot, et sans doute tout aussi sincère, dont certains autres auteurs grand public voudraient nous abreuver sans relâche. En définitive, Houellebecq remplit une fonction : c'est le trublion, le mauvais garçon, le dépressif chronique qui nous montre à quel point ce monde est merdique.
Il paraît que le monde entier nous l'envie. Ce n'est pas l'impression que j'ai eu en parlant avec des copains écrivains américains ou anglais, mais passons. L'envie, le besoin de noirceur est l'affaire de chacun : moi-même, j'ai beaucoup écouté
Pornography de Cure l'été de mes 15 ans. Le hic, c'est que Houellebecq n'est pas exactement Thomas Bernhard. Autrement dit : il écrit en effet plutôt bien, si on le compare à tous les gros vendeurs français actuel mais enfin, il ne faut pas exagérer, tout ça n'a rien d'une performance exceptionnelle. Entre les copier / coller Wikipedia, les italiques à profusion et les aphorismes publicitaires à la Beigbeder, justement, les éclairs de génie sont rares.
Ils existent, néanmoins : sinon ce serait trop simple. Seulement, ça ne suffit pas à faire un bon livre, et l'insistance avec laquelle la plupart des critiques veulent à tout prix nous persuader que Houellebecq est le plus grand écrivain français actuellement vivant montre surtout - mais ce n'est pas nouveau - à quel point ils ne lisent pas les autres livres : Ferrari, Claro, De Kerangal, et même Forrest, pour ne citer que ceux que j'ai lus, me paraissent largement supérieurs.
Ils vibrent. Ils sont vivants.
Je veux bien lire un roman dans lequel on m'explique que seuls les Noirs aiment encore les femmes plantureuses, que l'art contemporain en particulier et le 21e siècle en général relèvent de la foutaise la plus complète - je veux bien, globalement, lire n'importe quoi, mais il faut qu'on me donne quelque chose en échange. Une grâce, par exemple. Une colère qui sonne vrai.
Or, Houellebecq n'est pas véritablement un spécialiste du don. On peut être écrivain sans ça, le sujet a déjà été largement débattu, et les contre-arguments maintes fois
livrés. Mais on peut être lecteur sans ça aussi. Autrement dit : je pourrais persister à lire ses romans s'il n'y en avait pas tellement d'autres à côté - merveilleux, emplis d'autre chose que d'une fascination obsessionnelle pour la décrépitude et l'anéantissement.
Je conçois tout à fait qu'on puisse penser autrement. A certains moments,
La Carte... semble avoir été rédigé par l'étrange rejeton d'une union contre-nature entre, mettons, Jacques Séguéla et Gai-Luron. Dit comme ça, ça pourrait être intéressant. Il faut croire que ça ne l'est plus assez pour moi.