Clifford D. SIMAK - Dans le torrent des siècles

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bormandg
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Message par bormandg » sam. déc. 04, 2010 2:30 pm

Cachou a écrit :
bormandg a écrit :
Cachou a écrit : Si on considère que le style est juste le nom que l'on donne à ce qui caractérise l'écriture particulière de l'un par rapport à l'autre (le style de Simak par rapport à celui de Ballard qui est lui aussi différent de celui de Wilson qui n'a rien à voir avec celui de Dick), la difficulté n'est plus présente (si?).
Le style est à ce moment-là un concept dénué de "bon" ou "mauvais", qui ne fait que caractériser la "personnalité" d'une écriture. Il est en tout cas à mes yeux aussi absurde de dire qu'un auteur n'a pas de style que de dire qu'il n'y a pas de "fond" dans son récit. Le style est en quelque sorte la forme adoptée par l'auteur pour transmettre le fond de sa pensée, c'est sa manière de nous l'écrire, de nous la faire comprendre à travers des mots, des phrases, un récit.
Cet effet de polysémie se rencontre aussi avec le mot "qualité" qui peut être neutre ou chargé d'exigence... 8)
Exactement! (Que diantre! Jarnicoton!)(je peux changer mon pseudo en "Jarnicoton"?)
Le malheureux Coton a été renié par tant de monde que je ne crois pas qu'il viendra te hanter pour manifester sa colère. :wink:
"If there is anything that can divert the land of my birth from its current stampede into the Stone Age, it is the widespread dissemination of the thoughts and perceptions that Robert Heinlein has been selling as entertainment since 1939."

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Cachou
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Message par Cachou » sam. déc. 04, 2010 2:31 pm

bormandg a écrit :
Lensman a écrit : Au fond, c'est peut-être ce que fait, pour lui-même, Mahler en réorchestrant Schumann: il essaie de faire coller au maximum sa sensibilité à celle de Schumann, il essaie de reformuler ce qu'il pense être le fond de Schumann avec son langage à lui, Mahler. Et ça, c'est formidable! Par contre, que ce soit accompagné du jugement de valeur "Schumann est mal orchestré", je trouve que c'est stupide.
Maintenant, remplacez, dans une expérience de pensée, Schumann par Simak et Mahler par Nébal (ne me remerciez pas!), et peut-être verrez vous ce que j'essaie de dire.

Oncle Joe
On voit très bien, mais il y a des limites à cette tolérance, à cette approbation de toute manière d'écrire ou d'orchestrer, et des cas où on peut dire qu'un style bourré de fautes de grammaire ou d'harmonie, qu'elles soient involontaires ou voulues, peut être qualifié de mauvais. Le problème, et il est d'autant plus complqué que les mêmes critiques s'octroient le droit d'approuver des "fautes" qu'ils jugent voulues et intéressantes tout en rejetant les autres, sous prétexte qu'elles seraient involontaires et génantes, est donc de savoir quand on qualifie une écriture "non conforme" de "mauvais style" et quand on la qualifie de "trouvaille géniale". Et quand il s'agit d'un texte traduit, cas qui, je crois, ne se produit pas en musique, sauf quand il faut réorchestrer parce que l'instrument a dsparu (épinette, par ex.), savoir si la "faute de style" est ou non imputable à la trauction ne simplifie pas le problème....
Mais que se passe-t-il pour un texte bourré de fautes (pas seulement des inélégances donc, mais de vraies fautes) de grammaire, de ponctuation, de vocabulaire même, et qui pourtant est qualifié de bien écrit par certains?

Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » sam. déc. 04, 2010 2:33 pm

> Lensman

Le cas de Schumann critiqué par Malher est intéressant. Mais il faudrait savoir si Malher précise pourquoi il considère que les symphonies de Schumann étaient mal orchestrées ou s'il se contente de le dire sans explicitation même s'il a par devers lui des raisons fortes et précises de le penser. Le fait qu'il aurait réorchestré Schumann comme l'Oncle le dit permettrait de comparer les deux orchestrations et de faire ressortir les critères de Malher.
(Totalement ignorant de la notation musicale, je n'ai aucune idée de ce qu'un changement d'orchestration peut signifier: changement de la composition de l'orchestre, du tempo?)
Il est d'autre part possible que nous ayons perdu aujourd'hui, même pour les professionnels de haut niveau, la sensibilité à des nuances que percevait Malher. Dans ce cas, l'hypothèse de la variation historique s'appliquerait mais elle ne signifierait pas que Malher avait tort dans l'absolu.
Dans un domaine aussi formalisé que les mathématiques, les conditions d'acceptation d'une démonstration changent, sans que les théorèmes démontrés antérieurement selon des règles moins rigoureuses, s'en trouvent généralement invalidés.

Mais si l'on revient à un domaine que je connais mieux, l'écrit, si je dis que Jimmy Guieu que j'ai beaucoup lu en réparation de mes péchés, écrit mal, je peux proposer des critères objectifs qui valideront cette affirmation par elle-même certes insuffisante.
La prose de Guieu dispose d'un vocabulaire pauvre et d'une variation syntaxique tout aussi réduite. En cherchant bien, on doit trouver des incorrections involontaires témoignant d'une maîtrise très insuffisante de la langue ( ce n'est pas la même chose lorsqu'un écrivain la "maltraite" sciemment). Ses descriptions sont remplies de clichés (les clichés sont des métaphores usées qui ne suscitent que l'ennui). Ses dialogues sont convenus et téléphonés, et sonnent artificiels. Les digressions explicatives sont nombreuses, relativement longues, simplistes et disposées assez arbitrairement dans le texte. Les personnages sont "en carton" c'est à dire stéréotypés et deviennent souvent de simples marionnettes dont on voit non seulement les fils mais les mains du marionnettiste. Les intrigues et ressorts sont souvent non seulement répétitifs mais souvent empruntés à des textes antérieurs non cités ou même alludés (ce qui n'a rien à voir avec la reprise d'un thème appartenant à un fonds culturel commun et connu: mythologie, etc.).
Certains de ces défauts peuvent être validés quantitativement. Pour d'autres, c'est plus qualitatif ce qui ne signifie pas subjectif. Enfin, comme le montre ma progression, on passe dans la critique de la forme au fond, plus ou moins insensiblement, ce qui démontrerait qu'ils ne sont pas vraiment, en tout cas pas toujours isolables.

Tous ces défauts peuvent être reprochés notamment à Celui…
Ils ont un caractère objectif qui est peu susceptible d'être jugé différemment dans le temps et la distance, sauf à tomber dans un relativisme absolu.

La question se pose alors de savoir pourquoi Guieu ( voire Celui…) a des lecteurs, et sans doute des admirateurs.
Une première réponse serait que ces lecteurs sont trop jeunes ou trop peu acculturés pour être sensibles à ces critères. Le défaut de maîtrise élémentaire de la langue de Guieu correspond au leur. Dans un domaine connexe, les fautes d'ortografe ne gênent pas ceux qui ne les perçoivent pas.
Une deuxième réponse serait que ces lecteurs se sentent plus concernés par le fond (les divagations sur les petits gris et les hommes en noir) que par l'état du texte (j'écarte ici volontairement le terme "forme"). Ils se fichent de la façon dont c'est raconté parce qu'ils adhèrent aux "théories". On se trouverait ici un peu dans le cas de la littérature religieusement édifiante: on sait qu'elle est médiocre mais elle convoie utilement des valeurs indispensables à l'élévation de l'âme.
Une troisième réponse serait que ces lecteurs sont intrinsèquement pervers et qu'ils jouissent en tout connaissance de cause des défauts de fond et de forme qui les assurent d'une supériorité. Je crains qu'il n'y en ait quelques uns de cette nature sur ce forum.

La question se pose alors de savoir si de tels critères s'appliquent à Simak, Van Vogt ou Dick. Pour certains et en particulier pour certaines œuvres de Dick, sans doute.
Mais, à mon sentiment, ces critères ne s'appliquent pas massivement mais seulement en partie, pour certains d'entre eux, et pour des morceaux des œuvres plutôt que pour leur totalité. Ce qui limite leur portée.
En effet, d'une phrase isolée, on ne peut pas dire qu'elle est bien ou mal écrite. Il faut un contexte et un corpus assez vaste pour appliquer des critères quelconques.
Enfin, on ne peut pas appliquer de critères rigoureux et universels dès que l'on considère le niveau sémantique même si une part est objectivable (le sémantique n'est pas formalisable ou du moins on ne sait pas le faire).
Je précise ici que la distinction syntaxique/sémantique ne recouvre pas pour moi la distinction problématique fond/forme.
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Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » sam. déc. 04, 2010 2:40 pm

Cachou a écrit :
Mais que se passe-t-il pour un texte bourré de fautes (pas seulement des inélégances donc, mais de vraies fautes) de grammaire, de ponctuation, de vocabulaire même, et qui pourtant est qualifié de bien écrit par certains?
Exemple?
Je n'en connais pas.
La ponctuation est un cas particulier. Voir l'indispensable traité de Jacques Drillon. Elle n'appartient pas à la grammaire et est donc malléable. Cela dit, si je trouve une virgule entre un mot et son adjectif, je pense que c'est une faute.
(Quoique je tâcherai d'utiliser ça dans un texte de fiction. Reste à trouver une raison.)
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Cachou
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Message par Cachou » sam. déc. 04, 2010 2:53 pm

Gérard Klein a écrit : La question se pose alors de savoir pourquoi Guieu ( voire Celui…) a des lecteurs, et sans doute des admirateurs.
Une première réponse serait que ces lecteurs sont trop jeunes ou trop peu acculturés pour être sensibles à ces critères. Le défaut de maîtrise élémentaire de la langue de Guieu correspond au leur. Dans un domaine connexe, les fautes d'ortografe ne gênent pas ceux qui ne les perçoivent pas.
Une deuxième réponse serait que ces lecteurs se sentent plus concernés par le fond (les divagations sur les petits gris et les hommes en noir) que par l'état du texte (j'écarte ici volontairement le terme "forme"). Ils se fichent de la façon dont c'est raconté parce qu'ils adhèrent aux "théories". On se trouverait ici un peu dans le cas de la littérature religieusement édifiante: on sait qu'elle est médiocre mais elle convoie utilement des valeurs indispensables à l'élévation de l'âme.
Une troisième réponse serait que ces lecteurs sont intrinsèquement pervers et qu'ils jouissent en tout connaissance de cause des défauts de fond et de forme qui les assurent d'une supériorité. Je crains qu'il n'y en ait quelques uns de cette nature sur ce forum.
Je ne sais pas si ce que je vais dire est valable pour Guieu, mais c'est valable pour Celui... ainsi que pour Amélie Nothomb, dans un autre "style" (oui, j'ai utilisé le mot exprès):
A 16 ans, j'étais déjà une très grande lectrice (depuis toujours en fait). Je sortais d'une période de R. L. Stine (vers 11-12 ans), de séries ados d'horreur, de L'Ecole des Loisirs mais aussi de ma découverte de Dick et Marion Zimmer Bradley (à 14 ans) et de Jane Austen (à 15 ans), deux de ces auteurs étant d'ailleurs restés dans mon panthéon personnel. A 16 ans, un ami m'a fait lire "Les Fourmis". Et ça a vraiment été un coup de foudre pour moi. J'ai suivi les écrits de Werber avec plaisir jusqu'à 20 ans. Puis seulement mon appréciation du monsieur a commencé à descendre en flèche, pour devenir complètement nulle il y a 2 ans, quand je me suis aventurée à lire un roman que je n'avais pas lu de lui, "Le Papillon des Etoiles", qui m'a semblé catastrophique et qui m'a définitivement fait détester cet auteur que j'avais sincèrement et complètement aimé. Et si je l'avais aimé, ce n'était pas pour son écriture, mais pour ses idées.
D'où mon avis: je pense que Celui... (comme Nothomb)(peut-être comme Guieu, que je n'ai jamais lu) est un auteur qui marque par ses idées, qui peuvent séduire ceux qui ne les ont jamais rencontrées ou qui sont encore dans cet idéalisme un peu béat comme j'ai pu l'être à 16 ans (et pourtant, c'est aussi l'âge auquel j'ai découvert "Brave New World", et l'année suivante, je lisais et dévorais "1984"). Pour moi, ces auteurs parlent surtout aux ados, ou peut-être aux adultes qui n'ont pas été de grands lecteurs et qui n'ont donc pas été confrontés ados au monde d'idées incroyables de la littérature, spécialement de la littérature SF. Du coup, même si je ne les aime plus (du tout), je ne les dénigrerai pas, je pense seulement qu'ils devraient être considérés pour ce qu'ils sont, des auteurs jeunesse qui ont été publiés chez les adultes. Et il n'y a aucun mal à être un auteur jeunesse, d'ailleurs j'en lis et admire encore beaucoup. Sauf que les récits de certains ne résistent pas au passage des années chez le lecteur, alors que d'autres resteront toujours aussi touchants et marquants pour lui.

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Message par Cachou » sam. déc. 04, 2010 3:01 pm

Gérard Klein a écrit :
Cachou a écrit :
Mais que se passe-t-il pour un texte bourré de fautes (pas seulement des inélégances donc, mais de vraies fautes) de grammaire, de ponctuation, de vocabulaire même, et qui pourtant est qualifié de bien écrit par certains?
Exemple?
Je n'en connais pas.
La ponctuation est un cas particulier. Voir l'indispensable traité de Jacques Drillon. Elle n'appartient pas à la grammaire et est donc malléable. Cela dit, si je trouve une virgule entre un mot et son adjectif, je pense que c'est une faute.
(Quoique je tâcherai d'utiliser ça dans un texte de fiction. Reste à trouver une raison.)
J'en ai parlé dans la section jeunesse: "Les aventurêves". Je n'ai plus le livre (on me l'avait prêté), mais en voici un extrait (et c'est comme ça TOUT LE TEMPS):
Les Aventurêves a écrit :Eliot voulait retrouver Charly, moi je n'avais pas trop de crainte pour lui; il a plus d'un tour dans son sac et est beaucoup plus intelligent que ces oiseaux déplumés; Il était beaucoup plus judicieux de trouver le flacon, n'oublions pas que la hyène était aussi à sa recherche.
Pour moi, il était juste impossible de considérer ce livre comme bon, je pensais pouvoir avancer qu'il était - objectivement car grammaticalement et même parfois orthographiquement - mal écrit. Et pourtant, Tof de la revue Khimaira ainsi que maintenant quelqu'un du site belge Enseignons.be sont extrêmement enthousiastes quant à l'écriture de cette auteur, qui a d'ailleurs animé des ateliers d'écriture dans des classes de primaire (raison qui a fait que j'ai parlé de ce livre sur mon blog). Et je n'arrive pas à comprendre comment ni pourquoi.

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Lensman
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Message par Lensman » sam. déc. 04, 2010 3:05 pm

Gérard Klein a écrit :> Lensman

Le cas de Schumann critiqué par Malher est intéressant. Mais il faudrait savoir si Malher précise pourquoi il considère que les symphonies de Schumann étaient mal orchestrées ou s'il se contente de le dire sans explicitation même s'il a par devers lui des raisons fortes et précises de le penser. Le fait qu'il aurait réorchestré Schumann comme l'Oncle le dit permettrait de comparer les deux orchestrations et de faire ressortir les critères de Malher.
(Totalement ignorant de la notation musicale, je n'ai aucune idée de ce qu'un changement d'orchestration peut signifier: changement de la composition de l'orchestre, du tempo?)
Il est d'autre part possible que nous ayons perdu aujourd'hui, même pour les professionnels de haut niveau, la sensibilité à des nuances que percevait Malher. Dans ce cas, l'hypothèse de la variation historique s'appliquerait mais elle ne signifierait pas que Malher avait tort dans l'absolu.
.
Beaucoup plus simplement, que Malher avait une appréciation différente sur certaines nuances de celle que la critique musicale porte aujourd'hui. Mais pourquoi?
Sans rien connaître à la musique (comme moi, par exemple), on peut écouter et comparer grâce aux enregistrements. Je l'ai fait souvent, et mes oreilles (il doit y en avoir de meilleures) entendent bien des différences, extrêmement nettes. Mais selon quel critère dois-je décider que c'est mieux, ou moins bien, ou finalement que les deux sont également défendables?
Il y a des différences, ce que je ne vois pas, c'est quel critère objectif me dit que l'un est mieux que l'autre (bien orchestré, mai orchestré). Ce qui est un tout au problème que de constater que c'est DIFFEREMMENT orchestré,
Par ailleurs, Dukas et Debussy (deux musiciens prestigieux, pour ceux qui l'ignoreraient) considéraient que Mahler ne savait pas orchestrer... ça expliquerait tout, c'est à dire rien..
A qui se fier, dans ces conditions?
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Nébal
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Message par Nébal » sam. déc. 04, 2010 3:41 pm

J'ai l'impression que le problème, cher oncle, c'est que, quand tu nous demandes un critère "objectif", tu exiges en fait un critère universel, absolu, invariant, etc. (Ce que semblait réclamer Erion aussi.) Bref, un Critère, que plus majuscule il se transforme en K.

Or, dès le début de ce fil, encore une fois (moi aussi je me répète, pfff...), je t'ai dit que je ne croyais pas davantage que toi, à vue de nez, au Beau, au Bien, au Bon, au Truc en soi, quoi.

Désolé de refaire péter mes sophistes adorés, d'autant que je crains de ne pas pouvoir briller très loin en philo (d'où je devrais probablement fermer ma gueule, mais tant pis, je tente le coup), mais, à mes yeux comme à ceux de Protagoras, dans l'interprétation de "l'homme mesure de toutes choses" dite du "conventionnalisme sociologique" (on écarte donc la critique platonicienne qui en fait une interprétation subjectiviste), le réel est affaire de conventions ; celles-ci sont fluctuantes, relatives au temps, au lieu, aux moeurs, etc., ce qui explique par exemple la diversité des lois humaines ; elles n'en sont pas moins la seule base commune permettant de fonder un jugement, quel qu'il soit, puisque, justement, nous ne disposons pas d'autre critère. C'est pourquoi, ce qui compte en la matière, comme je l'ai répété à plusieurs reprises, ce n'est pas une subjectivité érigée paradoxalement en absolu qui ne pourrait déboucher que sur une aporie (si ma vérité n'est pas ta vérité, alors rien n'est vrai, et on ferme tous notre gueule), ni une objectivité absolue insaisissable ou illusoire, mais une intersubjectivité, fondée sur l'accord des hommes entre eux, bon gré mal gré.

Le français est susceptible de variations stylistiques innombrables ; il serait vain de vouloir dresser, et a fortiori graver dans le marbre, ce qui est "bon" et ce qui ne l'est pas. Néanmoins, à l'heure actuelle, dans la France du début du XXIe siècle, il y a un certain nombre d'éléments sur lesquels il est possible de s'entendre, et qui permettent de porter un jugement critique "objectif" (dans le sens où il se rapporte aux conventions, et non à la seule subjectivité du critique) sur la qualité stylistique d'un texte. Les exemples donnés par Gérard Klein concernant Jimmy Guieu sont à cet égard éloquents, et me paraissent difficilement contestables.

Mais cela explique tout autant pourquoi il est, à mon sens tout du moins, inconcevable pour un écrivain contemporain d'écrire comme écrivait Chateaubriand, ou avant lui Bossuet... Ca n'en fait pas pour autant de "mauvais" écrivains : les qualifier ainsi, ce serait succomber à l'anachronisme. Mais ce sont des écrivains de leur temps, de leur lieu, de leurs moeurs ; qui ne sont plus les nôtres. La langue est pourtant la même, mais les conventions ont changé ; les critères d'appréciation du style ont donc changé, progressivement, sur la durée. Ca n'en rend pas les nouveaux meilleurs ou pires que les anciens, simplement différents. Mais, encore une fois, avec tous les défauts que présente ce système - ben oui, par définition, on n'est pas ici dans l'Idéal -, c'est le seul qui me paraisse applicable, et qui puisse autoriser un jugement. Mais non seulement il l'autorise, mais encore il suffit à le justifier.

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Message par Lensman » sam. déc. 04, 2010 4:37 pm

Nébal:
En fin de compte, dans ta critique, tu relèves trois raisons qui contribuent à ce que tu te sois fait chier comme un rat mort (à peu près) en lisant le livre.
La 2e et la 3e, on ne peut pas discuter. Elles relèvent du pur goût: si tu n'aimes pas les délires du départ en couilles, et les rêveries philosophiques, il est normal que tu n'aimes pas le roman. Il ne peut pas y avoir d'accort avec ceux qui aiment ça, la discussion s'arrête là. Le goût pour les délires du départ en couilles et les dérives philosophiques ne font pas l'objet d'un accord collectif. Des gens très bien aiment ça, d'autres pas, là, c'est vraiment une question de goût, personne ne convaincra personne. Et que ce soit "réussi" ou "pas réussi", "bien" ou "mal" n'a pas de sens à ce niveau, puisqu'il n'y pas d'accord à peu près général sur les critères (si on n'aime pas la choucroute, on n'aime pas la choucroute, même si elle a été préparée par un bon cuisinier avec d'excellents produits).
La 1ère raison est celle qui devrait, elle, par contre, faire l'objet d'un relatif accord : le style, dont on devrait avoir une sorte de perception commune.
Tu remarques, très justement, que c'est une traduction, et tu supposes qu'une grande partie du problème vient de là. Au fond, cela me suffirait: tu dirais que le livre est plein de phrases bancales et qui sonnent mal (parce que c'est mal traduit) et donc, que ça ne te plait pas. Honnêtement, j'admets très bien ce point de vue! D'autant plus que ça m'arrive aussi!
Mais alors, suis-je tenté de dire, pourquoi en as tu continué la lecture? au bout de quelques pages, n'aurait-il pas été plus juste de dire: "Je ne vais pas pouvoir porter de jugement sur ce livre, parce que, visiblement, la traduction catastrophique m'empêche de le juger." Ne serait-ce pas plus logique?
Au début de ton commentaire, tu affirmes en gros que "c'est un très bon roman de science-fiction" (même si ça ne t'a pas plu). Mais pourquoi donner cet avis ? Il faudrait plutôt que tu dises que c'est "une mauvaise traduction d'un roman de science-fiction dont je ne peux pas dire s'il est bon". Qu'est-ce qui te prouves, au fond, que ce n'est pas encore pire dans la version originale? ou au moins aussi mauvais au niveau du style? Ou alors, c'est qu'il faut admettre qu'il est possible de dire si un roman de SF traduit est bon, quelle que soit la qualité de sa traduction.
Je veux bien, mais cela voudrait quelque part dire aussi qu'il y a deux sortes de littérature (au moins, hein...): la littérature "de SF" (où le style, ma foi, c'est mieux quand il y en a mais on s'en fout un peu) et la littérature "normale" (où la qualité du style est une condition nécessaire, si pas suffisante).
C'est une vision commode: le vrai connaisseur va choisir les chefs-d'oeuvre dans l'intersection des deux groupes...
Est-ce ta vision? (ce n'est pas une question piège, c'est pour comprendre).

Oncle Joe
Modifié en dernier par Lensman le sam. déc. 04, 2010 4:42 pm, modifié 1 fois.

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Message par Gérard Klein » sam. déc. 04, 2010 4:38 pm

Lensman a écrit :
Gérard Klein a écrit :> Lensman

Le cas de Schumann critiqué par Malher est intéressant. Mais il faudrait savoir si Malher précise pourquoi il considère que les symphonies de Schumann étaient mal orchestrées ou s'il se contente de le dire sans explicitation même s'il a par devers lui des raisons fortes et précises de le penser. Le fait qu'il aurait réorchestré Schumann comme l'Oncle le dit permettrait de comparer les deux orchestrations et de faire ressortir les critères de Malher.
(Totalement ignorant de la notation musicale, je n'ai aucune idée de ce qu'un changement d'orchestration peut signifier: changement de la composition de l'orchestre, du tempo?)
Il est d'autre part possible que nous ayons perdu aujourd'hui, même pour les professionnels de haut niveau, la sensibilité à des nuances que percevait Malher. Dans ce cas, l'hypothèse de la variation historique s'appliquerait mais elle ne signifierait pas que Malher avait tort dans l'absolu.
.
Beaucoup plus simplement, que Malher avait une appréciation différente sur certaines nuances de celle que la critique musicale porte aujourd'hui. Mais pourquoi?
Sans rien connaître à la musique (comme moi, par exemple), on peut écouter et comparer grâce aux enregistrements. Je l'ai fait souvent, et mes oreilles (il doit y en avoir de meilleures) entendent bien des différences, extrêmement nettes. Mais selon quel critère dois-je décider que c'est mieux, ou moins bien, ou finalement que les deux sont également défendables?
Il y a des différences, ce que je ne vois pas, c'est quel critère objectif me dit que l'un est mieux que l'autre (bien orchestré, mai orchestré). Ce qui est un tout au problème que de constater que c'est DIFFEREMMENT orchestré,
Par ailleurs, Dukas et Debussy (deux musiciens prestigieux, pour ceux qui l'ignoreraient) considéraient que Mahler ne savait pas orchestrer... ça expliquerait tout, c'est à dire rien..
A qui se fier, dans ces conditions?
Oncle Joe
Pourquoi?
C'est de la métaphysique, ce qui m'étonne, pour dire le moins, de ta part.
Dire le mieux ou le moins bien, cela relève également de la métaphysique si on cherche un Kriter absolu.

Mais c'est le comment qui m'intéresse. Quelle différence Malher a-t-il introduite? Cela nous renseignerait sur ses critères à lui.
Pour quelles raisons, à eux propres, Dukas et Debussy considéraient-ils que Malher ne savait pas orchestrer? Cela nous renseignerait sur leurs critères.

Et ensuite on pourrait peser ces critères au trébuchet d'un jugement historique et leur donner une plus ou moins grande extension.
Mais sans doute pour cela faut-il lire les partitions plutôt qu'écouter des enregistrements.

Les exemples de Cachou ne me semblent pas très significatifs. D'abord, deux critiques, peut-être un rien fanzineux, ne font pas le printemps. Ensuite l'exemple fourni n'a rien de scandaleux sauf peut-être dans la ponctuation: j'aurais mis deux points au lieu d'un point-virgule et pas de majuscule après un point-virgule. Quant aux virgules au lieu d'un point, ça se discute.
Ensuite quand elle cite Nothomb, je ne comprends pas. J'en ai lu deux ou trois. Nothomb n'est pas ma tasse d'Islay mais elle écrit "bien", presque de façon académique, avec un ton personnel marqué d'humour. Rien à voir avec Guieu ou Celui…
Quant à ce dernier, ses trois premiers romans étaient tout à fait supportables, voire défendables. L'idée était originale (tout le monde n'a pas lu Rienzi), la documentation solide et le traitement classique, voire un rien scolaire.
C'est après que les choses se gâtent, plus ou moins lourdement mais souvent gravement. Idées pompées, informations douteuses (en particulier dans les ouvrages prétendument "encyclopédiques"), style au mieux inexistant donc suscitant la lassitude, personnages stéréotypés, rebondissements téléphonés, dialogues en bois naturel, très grande vulgarité dans le propos racoleur, rien que du médiocre.
Qu'un jeune lecteur ne s'en aperçoive pas, c'est compréhensible, voire normal.
Donc, même si Cachou a pu évoluer dans ses critères de lecture, c'est aussi l'auteur qui a changé en empirant, peut-être parce que sa vraie nature revient au galop, ou peut-être parce qu'il flatte consciemment les plus bas instincts de son public, en démagogue averti.

C'est du reste un point qu'il devrait prendre en considération quand il se plaint avec ses complices de la Ligue du peu d'attention critique portée à son (leur) œuvre: c'est simplement qu'elle est médiocre, ni assez nulle ou extravagante pour qu'on soit tenté de la stigmatiser, ni assez remarquable pour qu'elle force l'attention en dehors de son éventuel succès qui est un phénomène ou plutôt un symptôme de société, tout à fait extra-littéraire. Et du reste, quand il a une page dans Le Monde ou ailleurs, c'est à ce titre.
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Message par Cachou » sam. déc. 04, 2010 4:47 pm

En fait, si je cite Nothomb, c'est parce que Werber et elle sont liés dans ma mémoire. Je les ai découverts en même temps, je les ai autant aimés l'un que l'autre, je les ai rencontrés au même salon, l'un après l'autre - les deux files étaient très proches -, j'ai commencé à ne plus les aimer en même temps, pour des raisons similaires (je trouvais qu'ils tournaient tous deux en rond dans leurs sujets, j'avais l'impression de relire la même histoire chez l'un comme chez l'autre). La question de l'écriture ne se posait pas pour moi (même si je trouve qu'ils vont tous deux dans des excès, Werber étant pour moi synonyme de style moins élaboré, Nothomb de style trop emprunté), c'était vraiment cette impression qu'ils n'avaient évolué ni l'un ni l'autre dans leur écriture qui les a définitivement liés dans mon esprit.
Par contre, pour Werber, je dois dire que "Les Thanatonautes" m'avait beaucoup plus plu que la trilogie des fourmis. Et je pense que malgré tout ce qu'on peut lui reprocher, l'auteur est "sincère" dans sa démarche, dans le sens qu'il y croit vraiment et qu'il ne prend pas ses lecteurs pour des imbéciles, au contraire.

Pour l'autre exemple, c'est une seule phrase, que j'ai relevée parce qu'elle présentait des fautes comme des inélégances. Mais bon, de toute manière, le point était que je pensais le livre objectivement mauvais, et que pour finir le style a plu à d'autres, donc voilà qui prouve encore une fois si besoin était la subjectivité de ces choses-là.

Lem

Message par Lem » sam. déc. 04, 2010 4:50 pm

Par l'Enfer, citer Celui dans un fil consacré à Simak…

Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » sam. déc. 04, 2010 4:53 pm

Lem a écrit :Par l'Enfer, citer Celui dans un fil consacré à Simak…
Dieu peut.
Mon immortalité est provisoire.

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Message par Lensman » sam. déc. 04, 2010 5:01 pm

Gérard Klein a écrit :
Pourquoi?
C'est de la métaphysique, ce qui m'étonne, pour dire le moins, de ta part.
Dire le mieux ou le moins bien, cela relève également de la métaphysique si on cherche un Kriter absolu.

Mais c'est le comment qui m'intéresse. Quelle différence Malher a-t-il introduite? Cela nous renseignerait sur ses critères à lui.
Pour quelles raisons, à eux propres, Dukas et Debussy considéraient-ils que Malher ne savait pas orchestrer? Cela nous renseignerait sur leurs critères.

Et ensuite on pourrait peser ces critères au trébuchet d'un jugement historique et leur donner une plus ou moins grande extension.
Mais sans doute pour cela faut-il lire les partitions plutôt qu'écouter des enregistrements.

.
La lecture des partitions montrera bien évidemment les différences (puisqu'on entend des sons différents, il y aura des agencement de notes différents sur la partition, l'inverse serait très inquiétant...), je ne vois pas ce que cela change au problème.
(Cela aurait été beaucoup plus amusant si, avec des agencements de notes différents, la version Mahler donnait le même son que la version originale: on pourrait dire alors que ce qui compterait, ce serait la partition formelle, et non le son que son exécution est censée produire. Encore faudrait il aussi ensuite se demander pourquoi telle forme, qui produit le même son, doit être décidé comme "bonne", et une autre, "mauvaise". Pour des raisons traditionnelles, par exemple?)
La question "pourquoi", je la pose à ceux qui pensent qu'il y a un critère absolu. Je ne vois rien qui me le donne à penser, mais si on me démontre qu'il existe (je ne demande même pas qu'on me l'expose en détail, juste qu'on me prouve qu'il existe), je m'incline...
Oncle Joe

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Message par Lensman » sam. déc. 04, 2010 5:03 pm

Lem a écrit :Par l'Enfer, citer Celui dans un fil consacré à Simak…
Allez, elle est un peu nouvelle, ne sois pas trop dur...
Oncle Joe
PS: Je pense que Simak, ce n'est pas seulement du W qui aurait du style... c'est une des raisons pour lesquelles je suis si peu sensible aux arguments sur le style, en SF. J'ai l'impression que la différence entre Simak et W est beaucoup plus profonde et compliquée à expliciter (c'est un vrai problème, d'ailleurs). (Sauf, évidemment, si on met derrière le terme "style" beaucoup d'autres choses que ce que l'on entend communément. Il faudrait alors que les critiques y réfléchissent à deux fois, avant d'en parler).

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