3615 Nos lifes à nous

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Lisore
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Message par Lisore » jeu. janv. 19, 2012 2:44 pm

Erion a écrit : Tu sais que le Conseil de l'UE, c'est le principal organe de l'UE, qui rassemble les ministres et dont les décisions cadres doivent être appliquées ? Par conséquent, la Cour de Cassation peut parfaitement se servir de cette décision cadre pour refuser de transmettre une QPC concernant la loi sur le génocide arménien.
Je sais oui. Mais, là encore, ce n'est pas pour ça qu'il fait leur donner raison. Un certain nombre de décisions aberrantes ont été prises au niveau européen, ça n'empêche rien...

Erion a écrit :Les choses sont ce qu'elles sont. Mais sur ce point, l'évocation par Badinter du risque d'inconstitutionnalité si QPC ne me semble pas très convaincant, justement par rapport à ce qui s'est passé en mai 2010.
Le seul truc qui peut sauver l'affaire, c'est que la France n'a pas inscrit la décision cadre du Conseil de l'UE dans sa législation. Très vraisemblablement, parce qu'elle ne désire pas créer un cadre général sur les génocides qui la placerait dans la ligne de mire concernant le Rwanda (pour complicité). D'où la tactique de produire une législation au cas par cas (avec tous les avantages électoraux qui vont avec).
Décision purement politique, donc.
Erion a écrit : Si. Il y a eu des décisions de justice en Argentine, en Suisse, en Belgique aussi (même si le cas est un peu baroque parce que c'est un homme politique turc qui s'estimait abusivement accusé de négationnisme). En France, dans l'affaire Bernard Lewis, le tribunal a jugé les méthodes de l'historien, mais pour cela, il lui a fallu établir la réalité historique du génocide arménien (pour évaluer si l'historien avait sciemment ignoré des preuves ou pas).
On ne s'est pas compris sur ce point. Je ne parlais pas de décision de justice (visiblement civile) sur le négationnisme. Je parlais de décision de justice ayant ou non condamné des personnes, même par contumace ou à titre posthume, pour les crimes commis entre la fin du 19e siècle et 1915.
A ma connaissance, à part le procès de 1919 en Turquie, qui n'avait visé qu'une toute petite partie des faits et quelques responsables, il n'y en a pas eu (enfin, je peux me tromper).
Erion a écrit :Bref, il y a pas mal d'éléments. Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas eu de procès de Nuremberg qu'on peut écarter comme ça le génocide arménien.
Moralement et historiquement, en effet, non. D'un point de vue juridique, pour l'instant, si. Pas comme ça.
Erion a écrit : Encore une fois, c'est inexact. Juridiquement, il n'y a aucune limitation à la liberté d'opinion avec la loi Gayssot.
Là, je parlais de la loi qui est actuellement discutée au Parlement et qui vient de se prendre une brasse de la part de la commission des lois. A partir du moment où tu punis d'une peine d'amende et/ou d'emprisonnement l'expression publique d'une opinion, désolée, mais si, il y a limitation de la liberté d'opinion.
Erion a écrit : Au contraire, c'est une loi pour protéger les juges. Parce que si ce n'est pas la loi qui fournit les moyens, ce sont les juges qui doivent juger l'histoire. Ils le font régulièrement pour des problèmes assez mineurs (par exemple, le descendant d'une personnalité qui s'estime insulté par un historien ayant diffamé son ancêtre).
Je crois qu'on ne se comprend pas. Les juges n'ont pas à juger l'Histoire, mais uniquement des faits. Et la loi n'a pas à dire l'Histoire.

Je vais poser le problème autrement.
La raison d'être de la loi pénale (et j'insiste sur "pénale"), c'est de protéger la société et les citoyens en réprimant les actes susceptibles de leur porter atteinte.
Explique-moi en quoi la répression pénale d'une opinion telle que la négation d'un évènement historique, quel qu'il soit (on parle de peine de prison là, nom de dieux de merde), protège la société et les citoyens ?
On n'est pas, par exemple, dans le cadre de l'injure publique (pour quelque motif que ce soit) qui aura pour effet direct et immédiat de blesser moralement et d'humilier publiquement la personne visée, ou de porter atteinte à sa réputation, etc (je ne vais pas citer le code pénal...).
Là, quel est le dommage ? Est-ce que ça menace la sécurité de la société française ? non. Est-ce que ça porte atteinte à l'intégrité physique, morale ou financière de citoyens français ou non ? Non plus.
Est-ce que ça fait de la peine aux descendants des victimes ? Sûrement. Mais la loi pénale n'est pas faite pour que les gens se sentent bien. Seulement pour les protéger.



Au fait, ton histoire de bonhomme qui attaque un historien pour diffamation de son ancêtre, c'était devant quelle juridiction ? Civile ou pénale ? Parce que c'est très différent quand même. Et surtout, ça a donné quoi ? Parce que je suppose que ce monsieur a quand même du démontrer le préjudice allégué, qui me semble assez ardu à démontrer si les "faits" sont très anciens...
En général, la jurisprudence a tendance à considérer que lorsque l'on prend en compte l'action qui est offerte aux héritiers pour défendre la mémoire de leur auteur, on s'aperçoit que la défense des intérêts du mort passe exclusivement par la défense de ses proches vivants. Jusqu'à quel degré peut-on se considérer comme étant "proche" du défunt diffamé ? On ne peut pas ad vitam exiger le "respect" dus aux morts et leur réputation par égard envers leurs descendants. Et ça, les juges l'ont généralement très bien compris: les rares demandes qui leur sont soumises à ce titre sont, la plupart du temps, écartées quand les faits et le décès de la personne concernées sont très anciens...
...!

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Erion
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Message par Erion » jeu. janv. 19, 2012 3:28 pm

Lisore a écrit :
Erion a écrit : Tu sais que le Conseil de l'UE, c'est le principal organe de l'UE, qui rassemble les ministres et dont les décisions cadres doivent être appliquées ? Par conséquent, la Cour de Cassation peut parfaitement se servir de cette décision cadre pour refuser de transmettre une QPC concernant la loi sur le génocide arménien.
Je sais oui. Mais, là encore, ce n'est pas pour ça qu'il fait leur donner raison. Un certain nombre de décisions aberrantes ont été prises au niveau européen, ça n'empêche rien...
La question n'est pas d'avoir raison ou tort. La question est "est-ce que ça va sauter si y'a QPC ?". La réponse est que la Cour de Cassation peut tout à fait rejeter une demande de QPC à ce sujet, elle a tous les éléments à disposition.
La morale n'a rien à voir là-dedans.
Décision purement politique, donc.
Ben oui.
Mais le choix de faire les procès de Nuremberg, c'était aussi une décision politique, et le fait de ne pas faire de procès à la Turquie, aussi. S'il y a eu les procès de Nuremberg, c'est parce que les alliés ont vaincu. Si cela avait été l'inverse, on aurait intenté un procès aux américains qui ont bombardé le Japon et l'Allemagne avec des bombes incendiaires, puis des bombes atomiques.
Tout cela ressort du politique.


Erion a écrit : discutée au Parlement et qui vient de se prendre une brasse de la part de la commission des lois. A partir du moment où tu punis d'une peine d'amende et/ou d'emprisonnement l'expression publique d'une opinion, désolée, mais si, il y a limitation de la liberté d'opinion.
Non. L'article 11 de la déclaration des droits de l'homme apporte des réserves à la liberté d'expression. Alors certes, ça donne la loi de 1949 sur les publications de la jeunesse, mais cela permet aussi d'assurer le respect de la vie privée. Les restrictions à la liberté d'expression ne sont pas anticonstitutionnelles par nature.
Erion a écrit :
Je crois qu'on ne se comprend pas. Les juges n'ont pas à juger l'Histoire, mais uniquement des faits. Et la loi n'a pas à dire l'Histoire.
C'est de l'hypocrisie. Dès lors qu'il y a jugement sur le révisionnisme ou le négationnisme, les juges doivent juger l'Histoire. Ils doivent évaluer si les propos des historiens sont conformes à la réalité, s'ils ont bien avancés tous les éléments ou s'ils n'ont fait qu'oeuvre de propagande. Il faut donc évaluer. Si un historien nie l'existence des chambres à gaz, il faut bien démontrer qu'elles ont existé, il faut confronter son discours à la réalité historique.
On peut tourner ça dans tous les sens, mais à un moment du procès, le juge doit s'occuper de la réalité historique. Et c'est très loin d'être simple.
Explique-moi en quoi la répression pénale d'une opinion telle que la négation d'un évènement historique, quel qu'il soit (on parle de peine de prison là, nom de dieux de merde), protège la société et les citoyens ?
Le droit des victimes. Tout simplement. Les victimes des génocides (et leurs descendants) se sentent agressées par les propos qui nient les génocides et demandent réparation du préjudice. Voilà pourquoi il y a des procès, voilà pourquoi il faut des lois.
Si je balance publiquement que ta famille a tué des enfants ou des chats, que je diffuse le propos, tu as légitimement le droit de m'attaquer en diffamation. Il faudra que je prouve que tes ancêtres ont tué des enfants, ou un historien devra prouver que ce n'est pas vrai. Et tu obtiendras réparation pour le préjudice causé.

Tu ne peux pas (et moi non plus), dire que les victimes et leurs descendants n'ont aucune légitimité pour se sentir humiliées et agressées par des propos révisionnistes. Je trouverai quand même curieux que n'importe quel chanteur à la noix puisse faire un procès à Voici parce qu'on l'a vu sortir avec une actrice, et refuser à un déporté le droit d'attaquer un militant d'extrême-droite qui dit qu'en fait les camps de concentration n'étaient que des camps de travail et que les morts étaient la conséquence des restrictions liées à la guerre.
Ces victimes ont le droit de porter plainte, elles ont le droit de s'estimer blessées. C'est à la justice, ensuite, d'évaluer le montant du préjudice et sa réalité. Il y a déjà tout un arsenal à ce sujet, notamment avec tout ce qui concerne l'incitation à la haine raciale. Quand il y a négation de l'holocauste, il y a bien souvent (voire toujours) une raison antisémite ou haineuse derrière. Il est parfaitement logique que cet arsenal juridique soit invoqué dans ces questions. De même quand il y a négation du génocide arménien (cas de Bernard Lewis), il y a bien évidemment une raison politique à tout cela (ce n'est pas innocent ou "objectif"), c'est bel et bien avec l'intention de blesser la population incriminée. Pareil avec le Rwanda qui a son propre type de négationnisme (avec l'idée du "double génocide").
Dans tous ces cas, il ne s'agit pas de travail historique, mais de propagande politique. Il est cohérent que l'appareil judiciaire traite ces questions et condamne ou pas.

A partir du moment où, selon la déclaration des droits de l'homme, il est légitime de lutter contre les abus de la liberté d'expression, il en faut une traduction législative et/ou judiciaire. Il est parfaitement envisageable, comme c'est le cas aux USA, de choisir de ne pas limiter, mais c'est un choix de société. L'Europe, et la France en particulier, ne raisonne pas de la même manière.
Je ne pense pas que le choix français soit merveilleux (ex : la loi de 49), et les excès du système américain ne sont pas non plus un exemple, mais il faut raisonner dans les cadres conceptuels de chaque pays.
En conclusion : la Cour de Cassation peut très bien refuser de transmettre une QPC sur le génocide arménien, elle dispose de tout un ensemble d'arguments pour cela. Rien ne dit qu'en réalité, si l'occasion se présente, elle les utilisera. Elle peut très bien les écarter et transmettre, mais l'assurance de Badinter sur le résultat d'une éventuelle QPC me semble très présomptueux. Il existe une bonne marge d'appréciation.
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Message par Lisore » jeu. janv. 19, 2012 5:42 pm

Erion a écrit :Non. L'article 11 de la déclaration des droits de l'homme apporte des réserves à la liberté d'expression.
Je n'ai pas dit le contraire. Je parle uniquement de cette foutue loi en devenir, qui, à mon sens, abuse de cette possibilité.
Erion a écrit :Alors certes, ça donne la loi de 1949 sur les publications de la jeunesse, mais cela permet aussi d'assurer le respect de la vie privée. Les restrictions à la liberté d'expression ne sont pas anticonstitutionnelles par nature.
Même quand ces restrictions prévoient des peines de prison pour des opinions ? (mettons de côté la loi de 49) Vraiment ?
Erion a écrit :C'est de l'hypocrisie. Dès lors qu'il y a jugement sur le révisionnisme ou le négationnisme, les juges doivent juger l'Histoire. Ils doivent évaluer si les propos des historiens sont conformes à la réalité, s'ils ont bien avancés tous les éléments ou s'ils n'ont fait qu'oeuvre de propagande. Il faut donc évaluer. Si un historien nie l'existence des chambres à gaz, il faut bien démontrer qu'elles ont existé, il faut confronter son discours à la réalité historique.
On peut tourner ça dans tous les sens, mais à un moment du procès, le juge doit s'occuper de la réalité historique.
Non. Parce que normalement, un juge ne devrait pas avoir à statuer sur le négationnisme ou le révisionnisme.
En votant de telles lois, moralement compréhensibles mais juridiquement injustifiables, le législateur a mis la Justice dans une position intenable qu'elle n'aurait jamais du avoir à subir.
Tu tournes ça comme tu veux, mais ça reste quand même une aberration totale dans un système qui se prétend démocratique.
Erion a écrit :Le droit des victimes. Tout simplement. Les victimes des génocides (et leurs descendants) se sentent agressées par les propos qui nient les génocides et demandent réparation du préjudice. Voilà pourquoi il y a des procès, voilà pourquoi il faut des lois.
Alors, d'une, les victimes de génocide (qui y ont survécu) ou leurs proches (dans le cas contraire) ont la possibilité de porter plainte devant une juridiction pénale pour que les auteurs de l'infraction soit poursuivis. Et de se constituer partie civile pour obtenir des dommages et intérêts. C'est comme ça qu'ils obtiendront réparation de leur préjudice. Pas en attaquant un historien qui pense que ça ne s'est pas passé de telle ou telle façon.
De deux, se sentir agressé, ce n'est pas être agressé, ni même injurié. Ou alors, en poussant le raisonnement jusqu’à l’absurde, n’importe qui se sentant blessé ou agressé par n’importe quoi pourrait porter plainte contre à peu près tout pour obtenir réparation d’un préjudice qui est quand même assez aléatoire.
(sais pas si je suis bien claire… ?)
Erion a écrit :Si je balance publiquement que ta famille a tué des enfants ou des chats, que je diffuse le propos, tu as légitimement le droit de m'attaquer en diffamation. Il faudra que je prouve que tes ancêtres ont tué des enfants, ou un historien devra prouver que ce n'est pas vrai. Et tu obtiendras réparation pour le préjudice causé.
Si ce sont des ancêtres que je n'ai pas connus, ni mes parents, j'aurais tendance à dire que je m'en tamponne le coquillard. Le juge me demandera en outre de prouver quel préjudice je subis ainsi, ce que je serais bien en peine de justifier.
Erion a écrit :Tu ne peux pas (et moi non plus), dire que les victimes et leurs descendants n'ont aucune légitimité pour se sentir humiliées et agressées par des propos révisionnistes.
Ne confondons pas les victimes et leurs descendants, parce que ce n'est pas la même chose...
Après, les descendants peuvent très bien se sentir agressés par des propos révisionnistes, c'est leur droit. Quant à savoir si c’est un préjudice qui mérite réparation, c'est une autre histoire. Par contre, prétendre qu'une telle opinion, même détestable, est passible d'une peine de prison, non, là, désolée, mais je ne vois aucune justification légale.
(l'incitation à la haine raciale, par exemple, c'est différent, dans la mesure où cela peut, potentiellement, mettre des gens en danger)
Erion a écrit :Je trouverai quand même curieux que n'importe quel chanteur à la noix puisse faire un procès à Voici parce qu'on l'a vu sortir avec une actrice, et refuser à un déporté le droit d'attaquer un militant d'extrême-droite qui dit qu'en fait les camps de concentration n'étaient que des camps de travail et que les morts étaient la conséquence des restrictions liées à la guerre.
Le chanteur à la noix devra tout de même démontrer l'atteinte à la vie privée et le préjudice subi du fait de cette "révélation" fracassante. L'article 9 a beau être l'un des (le?) plus favorables au monde, faut pas pousser non plus.

La grande différence, aussi, c'est que Voici va devoir verser du pognon, alors que le militant bas du plafond va risquer la prison (se confortant d'ailleurs au passage dans son idée qu'il est persécuté), même si je n'irais pas pleurer sur son sort.

Après, si le déporté, qui a lui-même subi un préjudice particulièrement important du fait de la déportation, subit à nouveau un préjudice du fait de ce négationnisme, rien ne l’empêche de saisir une juridiction civile pour obtenir réparation pécuniaire.
Mais est-il pour autant justifié et raisonnable de pénaliser (au sens "légaliser sur une infraction") ce genre de propos ? Avec, en plus des dommages et intérêts susceptibles d'être demandes au civil, amende, risque de prison et inscription au casier ?
On peut très bien demander réparation d’un préjudice que l’on estime avoir subi au civil sans pour autant qu’il soit nécessaire d’en faire une infraction pénale.
Erion a écrit :Ces victimes ont le droit de porter plainte, elles ont le droit de s'estimer blessées. C'est à la justice, ensuite, d'évaluer le montant du préjudice et sa réalité.
Il y a un monde entre se sentir blessé et subir un véritable préjudice.
Porter plainte contre le criminel qui a commis l'infraction, c'est normal. Porter plainte contre Machin qui prétend, souvent connement, que tel évènement dramatique n'a pas eu lieu, parce qu'on se sent blessé ou insulté, non.
C'est très différent de l'injure, par exemple. L'injure vise expressément une personne ou un groupe de personne, avec la volonté affichée de blesser lesdites personnes.
Le négationnisme ne vise personne en particulier. Il dit : tel évènement dramatique n'a pas eu lieu ou du moins pas comme on le prétend. Après, prouver que ces propos ont été tenus dans l’intention de nuire à telle personne ou groupe de personnes en particulier, ça reste très aléatoire. De même que le préjudice.

Et tu confonds la réparation du préjudice subi, qui se fait forcément au civil, avec la punition/sanction, pénale par essence.
Erion a écrit :Quand il y a négation de l'holocauste, il y a bien souvent (voire toujours) une raison antisémite ou haineuse derrière. Il est parfaitement logique que cet arsenal juridique soit invoqué dans ces questions. De même quand il y a négation du génocide arménien (cas de Bernard Lewis), il y a bien évidemment une raison politique à tout cela (ce n'est pas innocent ou "objectif"), c'est bel et bien avec l'intention de blesser la population incriminée. Pareil avec le Rwanda qui a son propre type de négationnisme (avec l'idée du "double génocide").Dans tous ces cas, il ne s'agit pas de travail historique, mais de propagande politique. Il est cohérent que l'appareil judiciaire traite ces questions et condamne ou pas.
Heu… Tu es en train de dire que le Juge doit statuer sur des opinions politiques ? :shock:

Erion a écrit :En conclusion : la Cour de Cassation peut très bien refuser de transmettre une QPC sur le génocide arménien, elle dispose de tout un ensemble d'arguments pour cela. Rien ne dit qu'en réalité, si l'occasion se présente, elle les utilisera. Elle peut très bien les écarter et transmettre, mais l'assurance de Badinter sur le résultat d'une éventuelle QPC me semble très présomptueux. Il existe une bonne marge d'appréciation.
Ok là-dessus, y compris sur Badinter (c'est un politique aussi et un avocat... on va dire que c'est dans sa nature :lol: )
...!

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silramil
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Message par silramil » jeu. janv. 19, 2012 6:12 pm

Lisore a écrit : Heu… Tu es en train de dire que le Juge doit statuer sur des opinions politiques ? :shock:
Sur l'expression de ces opinions, plutôt. Si toutes les opinions sont libres, leur expression ne l'est pas tout à fait, dans la limite justement des dégâts qu'elles peuvent causer. L'expression publique de convictions racistes ou xénophobes est punissable par la loi, dans des cadres précis.
Ce dont on ne peut parler, il faut le faire.

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Erion
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Message par Erion » jeu. janv. 19, 2012 6:28 pm

Lisore a écrit : Même quand ces restrictions prévoient des peines de prison pour des opinions ? (mettons de côté la loi de 49) Vraiment ?
Même. L'abus est sanctionné.
Erion a écrit : Non. Parce que normalement, un juge ne devrait pas avoir à statuer sur le négationnisme ou le révisionnisme.
En votant de telles lois, moralement compréhensibles mais juridiquement injustifiables, le législateur a mis la Justice dans une position intenable qu'elle n'aurait jamais du avoir à subir.
C'est faux. C'est parce que les juges étaient dans une position intenable que les lois existent, ce n'est pas l'inverse. La loi Gayssot a comblé un vide juridique, parce que l'arsenal sur l'incitation à la haine racial ne permettait pas de sanctionner les propos révisionnistes ou négationnistes.
La loi est venue au secours des juges, je le rappelle.

Après, les descendants peuvent très bien se sentir agressés par des propos révisionnistes, c'est leur droit. Quant à savoir si c’est un préjudice qui mérite réparation, c'est une autre histoire. Par contre, prétendre qu'une telle opinion, même détestable, est passible d'une peine de prison, non, là, désolée, mais je ne vois aucune justification légale.
(l'incitation à la haine raciale, par exemple, c'est différent, dans la mesure où cela peut, potentiellement, mettre des gens en danger)
C'est un peu confus, ce que tu dis. La négation de crime contre l'Humanité, c'est nier le statut de victime, c'est amoindrir la responsabilité des auteurs, voir les absoudre. C'est une manière de tuer une deuxième fois, en disant qu'en vérité, ces morts n'ont pas existé, ou qu'il n'y a pas eu intention de tuer.
C'est d'autant plus grave à mon sens, qu'il s'agit précisément d'utiliser l'autorité de la méthode historique pour transformer une propagande en "fait historique". Parce qu'en faisant ça, on ne dit pas "les juifs sont des sous-hommes" mais "ils en font tout un plat, mais c'est la faute à pas de chance, personne ne voulait vraiment les tuer".
Nier l'existence d'un crime ne me paraît pas quelque chose d'aussi léger que tu sembles le prétendre. Plus exactement, je comprends très bien qu'une victime ou une descendante se considère outragée par ces propos. Je ne vais pas tenter de relativiser sa douleur, et d'ailleurs, c'est à la justice d'évaluer le préjudice.
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Message par Lisore » jeu. janv. 19, 2012 6:40 pm

Erion a écrit :
Lisore a écrit : Même quand ces restrictions prévoient des peines de prison pour des opinions ? (mettons de côté la loi de 49) Vraiment ?
Même. L'abus est sanctionné.
Je crois qu'on n'est définitivement pas d'accord sur ce point.
C'est un peu confus, ce que tu dis.
Désolée. :oops: C'est vrai que c'est assez bordélique.

Nier l'existence d'un crime ne me paraît pas quelque chose d'aussi léger que tu sembles le prétendre.


Je ne prétends pas que c'est léger. Je pense simplement que si préjudice il y a et si vraiment on pense qu'il faut le réparer, c'est uniquement la justice civile qui devrait s'en charger. Je suis résolument contre la pénalisation de ce genre d'opinion (même si ladite opinion s'avère être à gerber, là n'est pas la question).
Et ça me met extrêmement mal à l'aise quand on mélange le droit, la politique (parce que, ne nous leurrons pas, cette loi n'a qu'une visée électoraliste, elle n'a pas été prise dans un souci de considération des descendants des victimes du génocide) et l'Histoire.
...!

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Message par kibu » jeu. janv. 19, 2012 7:06 pm

Et si on révisait le révisionnisme.
A l'envers, à l'endroit

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Message par Erion » jeu. janv. 19, 2012 7:16 pm

Lisore a écrit : Je ne prétends pas que c'est léger. Je pense simplement que si préjudice il y a et si vraiment on pense qu'il faut le réparer, c'est uniquement la justice civile qui devrait s'en charger. Je suis résolument contre la pénalisation de ce genre d'opinion (même si ladite opinion s'avère être à gerber, là n'est pas la question).
Et ça me met extrêmement mal à l'aise quand on mélange le droit, la politique (parce que, ne nous leurrons pas, cette loi n'a qu'une visée électoraliste, elle n'a pas été prise dans un souci de considération des descendants des victimes du génocide) et l'Histoire.
Le droit est, en partie, politique, il ne s'agit jamais que des sanctions et des règles mises en place par la société. Je sais que les juristes ont du mal avec ça, mais pour les politistes, c'est un peu le matériel de base.
Quand au mélange entre Histoire et politique, l'Histoire n'est pas une science expérimentale, l'historiographie montre bien que la composante politique dans la démarche historique est une sorte de constante.
Pour ma thèse, j'ai dû lire des ouvrages d'histoire de la période communiste. C'était une expérience assez étrange, parce que derrière le vocabulaire politique (à base de "bourgeoisie" et de "prolétariat"), on avait une démarche scientifique solide et ces ouvrages étaient parfaitement utilisables.
Les rapports entre Histoire et politique, c'est quand même très complexe, et je ne vois pas comment ces deux domaines pourraient se séparer. La politique a constamment un discours sur l'Histoire (parce qu'il s'agit d'évoquer le vivre ensemble, la communauté d'action) et les interprétations historiques dépendent aussi des mentalités d'une époque, de ce qui est considéré comme légitime.
Ce serait, à mon avis, faire preuve d'un juridisme assez excessif, que de croire qu'on puisse séparer tous ces domaines, comme s'ils pouvaient être purs. Ils ne peuvent pas l'être. La plupart du temps, on ne s'en rend pas trop compte, et tout va bien, mais parfois, il y a des noeuds cruciaux, qui montrent parfaitement à quel point ces domaines sont imbriqués.

En définitive, je ne crois pas qu'on puisse avoir une position absolue sur la question des lois sur les génocides. On peut avoir une opinion, on peut trouver, à titre personnel que c'est une idiotie électoraliste, mais si on rassemble tous les éléments politiques, juridiques et constitutionnels, je ne crois pas qu'on aboutira à un consensus objectif.

Dernier point, sur le fait que la loi Gayssot s'appuie sur le procès de Nuremberg, alors que le génocide arménien ne repose sur aucun procès. Je trouve l'argument assez court. Le génocide arménien s'est déroulé à une période où la souveraineté des Etats constituait un absolu. Envisager un procès international était en dehors des conceptions de l'époque, alors même que l'on possédait des preuves du massacre (grâce aux allemands). La notion de crime contre l'humanité, la notion de génocide, tout cela naît avec un autre ordre international, dans les mains des USA et de l'URSS, et le cas du génocide arménien était très loin de leurs préoccupations (la Turquie faisant partie de l'OTAN). Par conséquent, je trouve assez bizarre d'opposer Nuremberg aux arméniens, une façon de leur dire : "pas de bol, on vous a tué à une époque où il ne pouvait pas y avoir de procès international, alors vous en paierez les conséquences jusqu'à la fin des temps".
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Message par bormandg » jeu. janv. 19, 2012 7:27 pm

C'est intéressant, j'apprends des choses et je ne ferai pas de commentaire sur un domaine où je suis totalement incompétent; mais qu'est-ce que cette discussion fait sur le fil Nos lifes? Quand est-ce qu'il va y avoir un fil distinct (que je resterai intéressé à lire)?
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Nébal
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Message par Nébal » jeu. janv. 19, 2012 7:37 pm

J'en vois pas l'intérêt, ça ne parle ni de café ni de météo.

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Message par silramil » jeu. janv. 19, 2012 10:46 pm

Au fait, bonne année Nébal !
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dracosolis
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Message par dracosolis » ven. janv. 20, 2012 12:10 am

sinon l'expo métropolis à la cinémathèque est achte bien :D
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Lisore
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Message par Lisore » ven. janv. 20, 2012 8:08 am

Erion a écrit : En définitive, je ne crois pas qu'on puisse avoir une position absolue sur la question des lois sur les génocides. On peut avoir une opinion, on peut trouver, à titre personnel que c'est une idiotie électoraliste, mais si on rassemble tous les éléments politiques, juridiques et constitutionnels, je ne crois pas qu'on aboutira à un consensus objectif.
Je crois qu'on est au moins d'accord là-dessus :lol:
Erion a écrit :Dernier point, sur le fait que la loi Gayssot s'appuie sur le procès de Nuremberg, alors que le génocide arménien ne repose sur aucun procès. Je trouve l'argument assez court. Le génocide arménien s'est déroulé à une période où la souveraineté des Etats constituait un absolu. Envisager un procès international était en dehors des conceptions de l'époque, alors même que l'on possédait des preuves du massacre (grâce aux allemands). La notion de crime contre l'humanité, la notion de génocide, tout cela naît avec un autre ordre international, dans les mains des USA et de l'URSS, et le cas du génocide arménien était très loin de leurs préoccupations (la Turquie faisant partie de l'OTAN). Par conséquent, je trouve assez bizarre d'opposer Nuremberg aux arméniens, une façon de leur dire : "pas de bol, on vous a tué à une époque où il ne pouvait pas y avoir de procès international, alors vous en paierez les conséquences jusqu'à la fin des temps".

Ce n'est pas comme ça que je l'entendais. Mais bon, on va éviter de polluer le fil "nos lifes" en poursuivant ici la discussion :wink:

Bon, sinon il fait beau et pas froid. Un bon café pour attendre le week et ça repart...
...!

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dracosolis
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Message par dracosolis » ven. janv. 20, 2012 8:54 am

:lol:
n'empêche, on est super forts comme malades mentaux sur ce forum, on arrive même à flooder sérieusement sur le fil réservé au flood à la con
c'est génial *smiley coeur & bisounours*

perso, je pense que ce n'est pas au juridique de dire l'histoire ni ce que les chercheurs ont le droit d'avancer comme saloperies ou couillonnades, que ce genre de truc que peut-être attaqué au civil (pour fraude ou offense à la personne avec les lois en place) et que sinon c'est la porte ouverte à toutes les mansardes et que chacun chez soi et les génocides seront bien gardés.

mais ça c'est moi,(bis)
maintenant c'est le matin, j'ai du café, une nouvelle à écrire, une redingote dorée à aller chercher avant de boire un pot avec un copain alors je me fous de tout sauf de certains d'entre vous que j'aime :lol: :lol:
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Lensman
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Message par Lensman » ven. janv. 20, 2012 9:24 am

On sent une humidité dans l'air, à Versailles, mais il ne pleut pas. Je vais reprendre un peu de café !
Il paraît difficle d'apporter une réponse claire et simple à ces histoires de "législation" sur l'Histoire... Il me me semble qu'aux USA, par exemple, ce type de problème ne se pose pas, on peut nier et affirmer n'importe quoi (ce qui ne met évidemment pas à l'abri des procès en diffamation, ou pour d'autres raisons). Peut-être aussi ne s'intéresse-t-on pas là bas à l''histoire de la même façon que "chez nous". En France (notamment), l'Histoire est un sujet éminemment politique, depuis longtemps (voir par exemple tous les débats et polémiques autour de la Révolution, au moment du bicentenaire). Certes, c'est un sujet à composante politique partout, parce qu'il y a des "symboles" nationaux derrière, mais c'est très poussé en France, et les enjeux semblent dépasser le simple aspect "Histoire nationale" pour toucher profondément l'idéologie politique. Enfin, c'est une impression que j'ai. Il doit sans doute y avoir d'autres pays où c'est aussi prégnant (je parle de pays où il y a vraiment des débats historiques).

Oncle Joe
Modifié en dernier par Lensman le ven. janv. 20, 2012 10:48 am, modifié 1 fois.

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