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par Transhumain » mar. mai 23, 2006 11:36 am
Euh, les amis, c'est très bien ces histoires de vieux disquaires disparus, mais revenons à Rêve de fer et à ses cibles, voulez-vous ?
Eric parle d'une parodie de Van Vogt, Sylvie bleuâtre d'une parodie de Tolkien... Qu'en est-il vraiment ? Dans le dernier Galaxies, lorsque Tom Clegg, dans son entretien, évoque l'évolution moderne du Space Opera, Spinrad ne dément pas. En outre, l'attribution fictive d'un Hugo à Hitler pour Le Seigneur du Svastika (dont Rêve de fer est essentiellement constitué), tend, comme l'écrit Eric dans son excellente critique (voir sur le site) à désigner comme cible la science-fiction de l'âge d'or, celle de Jack Williamson par exemple, plutôt mal écrite, impérialiste et fascisante (je le dis sans problème, alors même que j'éprouve beaucoup d'affection pour cette SF des origines).
Certes, l'heroïc fantasy est à loger à la même enseigne, mais réduire Tolkien à une épopée fasciste, est en revanche bien hasardeux ! En effet, si les guerres du troisième âge opposent des races entre elles, les hommes échappent à cette partition manichéenne. Bien et Mal ne sont pas représentés par des humains, mais par des créatures fantastiques, des êtres de légende. Les hommes, qui sont, n'oublions pas, clairement identifiés comme le peuple de l'avenir, celui du nouveau monde, celui d'après les enchantements, ne font le bien, ou le mal, que selon leurs forces et faiblesses morales (cf. Boromir), tandis que les elfes SONT le bien, et que les Orques SONT le Mal. Les hommes sont les créatures d'un monde désenchanté. C'est capital : les dieux désertent les rivages des terres du milieu pour se retrancher dans leurs lointain pays. c'est même le sens principal de la fin du roman, où les Elfes quittent les terres humaines. Tolkien, in fine, nous parle de responsabilité.
Le point de vue exprimé par le roman est donc plutôt traditionnaliste, réactionnaire, mais je vous rappelle que les préjugés racistes des personnages (sur les nains, sur les Elfes sylvestres, sur les Hobbits, etc.) sont systématiquement pris à contre-pied, non au nom de grands principes égalitaires, mais selon des valeurs traditionnelles de mérite. Je précise, à toutes fins utiles, qu'un grand nombre d'immigrés eux-mêmes tiennent aujourd'hui ce même discours : si je viens chez vous, c'est que d'une part mon pays d'origine, souvent peu démocratique, ne faisait pas mieux que mon pays d'adoption, et que d'autre part, je me plie ou coutumes et usages locaux. Et Tolkien, pour finir, n'en prône pas moins le respect mutuel - seulement le respect se gagne plutôt qu'il n'est dû.
On le voit, nous sommes à vingt milles lieues, et plus encore, du génocide hystérique du Seigneur du Svastika...
Qu'en pensez-vous ?
Note pour Eric : Rêve de fer, à mon sens sens, n'est pas "mal écrit" comme tu le dis dans ta critique. Spinrad lui consacre au contraire toute son efficacité, seul moyen du reste de donner un sens à son livre, tout en la minant avec les obsessions raciales d'Adolf Hitler. Le ressassement insensé, noté par RCW dans sa préface, de termes comme "pureté raciale", "volonté raciale", etc., n'est sans doute pas pour rien dans cette impression de lire une "bouse". Stylistiquement parlant, c'est un vrai tour de force : la langue du roman est totalement contaminée par les rêves eugénistes et phalliques de l'auteur fictif. Le résultat est forcément un peu lourd, mais admirable. Ce qui est vrai, en revanche, c'est que Spinrad s'est plié dans le Seigneur du Svastika à une certaine "primitivité" du récit, c'est-à-dire à une construction linéaire, très classique, sans fioritures postmodernes, sans monologues intérieurs, reprenant point par point les codes du roman de fantasy de base (un jeune homme, un élu, quitte la boue de ses origines pour connaître un grand destin, sans oublier l'ellipse finale). Tour le contraire, par exemple, de la nouvelle publiée ce mois-ci dans Galaxies, "La main tendue", composée d'articles de journaux et divers fragments.