De la littérature comme exutoire aux fantasmes des auteurs

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Florent
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Message par Florent » mer. août 13, 2008 10:25 am

systar a écrit :Je réponds à ce qui a été dit plus haut.

Céline: cas typique de l'auteur qui n'a pas une once de sincérité dans ses bouquins, mais qui avait une technique ahurissante pour donner l'impression.
Il explique tout ça dans un paquet d'entretiens radiophoniques, avec l'exemple tout con du bâton dans l'eau : pour qu'il apparaisse droit, il faut le tordre dès le départ: c'est le principe de l'art.
Pour faire vrai, il faut mentir.
Exemples:
Au théâtre, pour qu'on ait l'impression qu'un personnage tape fort sur une table normale, on met une lamelle de métal sous la planche, ça la fait vibrer et ça donne un effet de "vraisemblance".
Au théâtre toujours, les meilleurs acteurs ne deviennent pas leur personnage. Primat de la technique, là encore: donner à ressentir ce qu'on ne ressent pas soi-même, et ce qu'on ne pourra de toute façon jamais ressentir comme si l'on n'était qu'un spectateur.

Baudelaire: s'il n'y avait eu que du sentiment, du fantasme, dans ses poèmes, il n'aurait jamais été le poète qui a dépassé par le haut toutes les formes classiques (l'alexandrin, le sonnet, etc.), les utilisant une dernière fois d'une manière telle qu'après lui elles n'ont plus pu être utilisées de la même manière. La sorcellerie évocatoire, le mal, les correspondances, le spleen, oui, mais aussi et par-dessus tout: l'effort du technicien de la langue pour qu'elles soient plus et autres que des affects tout juste bons à être déblatérés sur un divan, ou dans une chambre capitonnée.

Il ne s'agit pas pour un auteur de raconter sa vie à la virgule près, parce que de toute façon ça n'intéresserait personne, mais de prendre pour base des choses vécues et ressenties, comme la guerre pour Céline, par exemple. Quant il parle du bâton tordu cela signifie : partir du réel et le modifier à sa convenance pour raconter une histoire.

Sinon pour Baudelaire, bien sûr, le travail de l'écrivain c'est un mélange de sentiments et de techniques. Les sentiments sans technique, ça donne C'EST BEAU UNE VILLE LA NUIT, et l'inverse ça donne du Greg Egan :lol:

Après pour le ressenti c'est 2 écoles, mais un écrivain qui raconte des choses qui lui sont totalement étrangères, le lecteur le sent instinctivement, et en général ça sonne faux.

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Florent
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Message par Florent » mer. août 13, 2008 10:34 am

dracosolis a écrit : en tout état de cause, je ne vois pas où se situe ton propos Florent, même et y compris si N était ce que tu prétends, je ne vois pas ce que tu envisages quant à son oeuvre...

Mon propos c'est de m'interroger sur le rapport entre les fantasmes personnels des auteurs et ce qu'ils expriment dans leurs oeuvres, plus généralement que LOLITA, même si le fil s'est axé là-dessus (ça aurait pu être Howard et les femmes esclaves farouches).

Concernant Nabokov, à aucun moment je ne l'accuse de quoi que ce soit, mais à la lecture du livre on ressent parfois quelque chose de dérangeant, ce qui est bien sûr voulu, mais suffisamment passionné pour se dire que, contrairement à d'autres avis exposés ici, je pense qu'un écrivain ne peut pas faire surgir de nulle part une telle passion simplement "en imaginant ce que ressentirait son personnage dans une telle situation". Il faut qu'il le ressente lui-même, et ça n'est pas une question de technique, mais véritablement de ressenti. Si tu as déjà écris, et si tu as lu ce livre, tu as dû le percevoir.

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Transhumain
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Message par Transhumain » mer. août 13, 2008 11:21 am

Cibylline a écrit : Je n'ai pas lu Lolita et, a priori, ce bouquin ne m'intéresse pas du tout
Dommage, c'est un chef d'oeuvre. Tant pis pour toi.
mais, s'il faisait l'apologie de la pédophilie de quelque manière que ce soit, j'ose imaginer qu'il aurait subi la censure (la vraie censure, celle de la loi, pas les cris des bien pensant)...
Non, parce qu'un roman, ontologiquement, ne saurait faire une quelconque apologie. Même s'ils se confondent parfois, l'auteur et l'énonciateur ne sauraient être considérés comme une entité unique. Les forumeurs et les critiques l'oublient trop souvent (moi-même, parfois...).

Et Lolita vaut mille fois mieux que ça. Humbert Humbert ne parvient pas à discerner les frontières qui séparent le beau du bestial. La notion de Mal disparaît avec sa nympholâtrie, pour d'évidentes raisons liées à la culpabilité. Lolita est le "grand péché radieux" d'un homme rongé par la honte, qui pour décrire sa première étreinte avec Dolores, ne peut d'ailleurs s'empêcher d'employer d'horribles images (une enfant, une bête). Mais ces artifices métaphoriques finissent par tomber : Humbert ne sait que trop bien combien son comportement est mauvais, ainsi qu'il l'écrit lui-même, évoquant ses "tourments".

Bouse Bleuâtre

Message par Bouse Bleuâtre » mer. août 13, 2008 11:23 am

Transhumain a écrit :Même s'ils se confondent parfois, l'auteur et l'énonciateur ne sauraient être considérés comme une entité unique. Les forumeurs et les critiques l'oublient trop souvent.
C'est notamment flagrant au sujet de Robert Heinlein.

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Transhumain
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Message par Transhumain » mer. août 13, 2008 11:51 am

Florent a écrit :Mon propos c'est de m'interroger sur le rapport entre les fantasmes personnels des auteurs et ce qu'ils expriment dans leurs oeuvres, plus généralement que LOLITA, même si le fil s'est axé là-dessus (ça aurait pu être Howard et les femmes esclaves farouches).
Mais tu te rends compte, j'espère, que cette interrogation est vaine, sauf à connaître, ou du moins interpréter, ces fantasmes, comme l'a fait Freud avec Les Frères Karamazov, assez brillamment du reste, d'après la biographie de l'auteur. Mais même alors, il s'agit moins de réinterpréter l'oeuvre, que de comprendre sa genèse.
Par ailleurs, on notera que si la pédophilie, et l'inceste, sont présents dans Lolita et Ada, on n'en trouve pas trace, sauf erreur, dans ses autres romans majeurs, comme La défense Loujine ou Feu pâle. Alors, quoi ? Jusqu'en 1955 Nabokov ne laisse rien entendre de ces "fantasmes", et puis paf, Lolita, mais aussitôt il les oublie avec Pale fire, et hop, il y revient avec Ada, mais finalement il décide que les nymphettes ça n'est plus intéressant, alors il abandonne ?... Tu avoueras que c'est un peu faible, non ?

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Florent
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Message par Florent » mer. août 13, 2008 11:57 am

J'en suis conscient, c'est pourquoi je me pose des questions, et je n'affirme rien, sinon cela relèverait du procès d'intention fait à un auteur mort, de surcroit. Ce qui n'empêche pas de soulever la question.

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Sand
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Message par Sand » mer. août 13, 2008 11:59 am

Florent a écrit : et je n'affirme rien,
LOL.

Bouse Bleuâtre

Message par Bouse Bleuâtre » mer. août 13, 2008 12:02 pm

Florent a écrit :procès d'intention
:mrgreen:

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Erion
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Message par Erion » mer. août 13, 2008 1:30 pm

Florent a écrit : Après pour le ressenti c'est 2 écoles, mais un écrivain qui raconte des choses qui lui sont totalement étrangères, le lecteur le sent instinctivement, et en général ça sonne faux.
Je viens de rire.

Remontons un peu au début de l'action.

Florent écrit cette phrase dans un forum sur la SF, genre qui, justement, doit en permanence raconter des choses qui sont totalement étrangères. C'est même cet aspect qui en fait la valeur.

D'autre part, en littérature, on ne demande pas à un écrivain d'être dans le vrai (parce qu'une oeuvre est subjective) mais dans le juste (ce qui induit une notion de partage entre l'auteur et le lecteur). Et c'est ainsi que des tas d'écrivains se documentent, réfléchissent, etc. Je crois que Silverberg n'a pas de formation scientifique (j'ai un trou de mémoire sur sa bio, et la flemme de chercher) mais il possède une solide documentation.
Y'a rien de plus jouissif pour un auteur (et ca m'est arrivé) qu'un lecteur qui vous dise "oh, ce que vous avez décrit, c'est exactement ça, vous y êtes allé" alors que vous n'avez jamais mis les pieds dans l'endroit en question.

J'ai aussi écrit une nouvelle de fantastique (non publiée) où je m'étais mis dans la peau d'une femme qui fantasmait sur les hommes dans les douches. Je l'ai fait lire à des femmes, apparemment, j'avais pas tapé à côté.

Ta réflexion, elle fait penser au problème des acteurs qui jouent des rôles de méchants, pervers, salauds et que le public va huer et insulter en les rencontrant. Un auteur se met aussi dans la peau de son personnage, essaie de le comprendre, joue le rôle. Mais il peut se dissocier. Tout dépend du but, du sens qu'il donne à cette incarnation.

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Message par systar » mer. août 13, 2008 1:36 pm

Erion a écrit :problème des acteurs qui jouent des rôles de méchants, pervers, salauds et que le public va huer et insulter en les rencontrant. Un auteur se met aussi dans la peau de son personnage, essaie de le comprendre, joue le rôle. Mais il peut se dissocier. Tout dépend du but, du sens qu'il donne à cette incarnation.
Bah.
Regarde Heath Ledger.
Il s'est laissé dévorer par son personnage du Joker.
Du coup, paf, il déconne => overdose en janvier.
CQFD. :twisted:

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Transhumain
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Message par Transhumain » mer. août 13, 2008 2:02 pm

Erion a écrit : J'ai aussi écrit une nouvelle de fantastique (non publiée) où je m'étais mis dans la peau d'une femme qui fantasmait sur les hommes dans les douches. Je l'ai fait lire à des femmes, apparemment, j'avais pas tapé à côté.
Fais gaffe, avec Florent dans les parages, tu tends le bâton pour te faire battre, si je puis dire.

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dracosolis
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Message par dracosolis » mer. août 13, 2008 2:25 pm

Florent a écrit :[

Après pour le ressenti c'est 2 écoles, mais un écrivain qui raconte des choses qui lui sont totalement étrangères, le lecteur le sent instinctivement, et en général ça sonne faux.
ah ouais?
j'ai écrit un truc qui se passe presque entièrement sous l'eau...
je hais la plongée sous marine
je déteste foutre ma tête sous l'eau, j'ai l'impression d'étouffer.
j'ai seulement IMAGINE ce que ça pouvait donner d'y prendre son pied et apparemment c'est assez réussi pour que des plongeurs aguerris m'en redemandent et trouvent les passages sous marins pas seulement crédibles mais bons
:lol: :lol:

(bon maintenant, je distingue peut-être pas bien la politesse des compliments sincères... hein? ça reste envisageable... )
Antéchrist N°4
Idéologue Relativiste à mi-temps
Antéchrist N°4 :

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Message par Erion » mer. août 13, 2008 2:30 pm

Enfin bon, tout ça pour dire que c'est très courant pour les écrivains d'écrire des choses qu'ils n'ont pas expérimenté et ne souhaitent pas le faire. C'est quasiment le b.a.ba du truc.
Si on écrivait QUE sur ce qu'on a vécu, ce serait bien triste. Mais bon, il paraît, mais c'est peut-être une légende, que les artistes ont un cerveau et à l'intérieur un machin appelé "imagination".
Et d'autres part, nous sommes des êtres humains capables d'extrapoler les sentiments, le vécu, le ressenti d'autres êtres humains.

Certes, on peut se tromper.

Mais c'est la différence entre une oeuvre ratée, et une oeuvre réussie.

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Message par systar » mer. août 13, 2008 2:32 pm

Erion a écrit :Enfin bon, tout ça pour dire que c'est très courant pour les écrivains d'écrire des choses qu'ils n'ont pas expérimenté et ne souhaitent pas le faire. C'est quasiment le b.a.ba du truc.
Si on écrivait QUE sur ce qu'on a vécu, ce serait bien triste. Mais bon, il paraît, mais c'est peut-être une légende, que les artistes ont un cerveau et à l'intérieur un machin appelé "imagination".
Et d'autres part, nous sommes des êtres humains capables d'extrapoler les sentiments, le vécu, le ressenti d'autres êtres humains.

Certes, on peut se tromper.

Mais c'est la différence entre une oeuvre ratée, et une oeuvre réussie.
Oh que je suis heureux de pouvoir, pour une fois, intégralement plussoyer sur ce que tu dis. :lol: :lol: :lol: :lol:
Quand bien même je ne suis pas auteur pour un rond...

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Transhumain
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Message par Transhumain » mer. août 13, 2008 2:33 pm

dracosolis a écrit :j'ai seulement IMAGINE ce que ça pouvait donner d'y prendre son pied et apparemment c'est assez réussi pour que des plongeurs aguerris m'en redemandent et trouvent les passages sous marins pas seulement crédibles mais bons
Eh oui, plongeur aguerri n'est pas forcément synonyme de LECTEUR aguerri.
:twisted:

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