systar a écrit :Je réponds à ce qui a été dit plus haut.
Céline: cas typique de l'auteur qui n'a pas une once de sincérité dans ses bouquins, mais qui avait une technique ahurissante pour donner l'impression.
Il explique tout ça dans un paquet d'entretiens radiophoniques, avec l'exemple tout con du bâton dans l'eau : pour qu'il apparaisse droit, il faut le tordre dès le départ: c'est le principe de l'art.
Pour faire vrai, il faut mentir.
Exemples:
Au théâtre, pour qu'on ait l'impression qu'un personnage tape fort sur une table normale, on met une lamelle de métal sous la planche, ça la fait vibrer et ça donne un effet de "vraisemblance".
Au théâtre toujours, les meilleurs acteurs ne deviennent pas leur personnage. Primat de la technique, là encore: donner à ressentir ce qu'on ne ressent pas soi-même, et ce qu'on ne pourra de toute façon jamais ressentir comme si l'on n'était qu'un spectateur.
Baudelaire: s'il n'y avait eu que du sentiment, du fantasme, dans ses poèmes, il n'aurait jamais été le poète qui a dépassé par le haut toutes les formes classiques (l'alexandrin, le sonnet, etc.), les utilisant une dernière fois d'une manière telle qu'après lui elles n'ont plus pu être utilisées de la même manière. La sorcellerie évocatoire, le mal, les correspondances, le spleen, oui, mais aussi et par-dessus tout: l'effort du technicien de la langue pour qu'elles soient plus et autres que des affects tout juste bons à être déblatérés sur un divan, ou dans une chambre capitonnée.
Il ne s'agit pas pour un auteur de raconter sa vie à la virgule près, parce que de toute façon ça n'intéresserait personne, mais de prendre pour base des choses vécues et ressenties, comme la guerre pour Céline, par exemple. Quant il parle du bâton tordu cela signifie : partir du réel et le modifier à sa convenance pour raconter une histoire.
Sinon pour Baudelaire, bien sûr, le travail de l'écrivain c'est un mélange de sentiments et de techniques. Les sentiments sans technique, ça donne C'EST BEAU UNE VILLE LA NUIT, et l'inverse ça donne du Greg Egan

Après pour le ressenti c'est 2 écoles, mais un écrivain qui raconte des choses qui lui sont totalement étrangères, le lecteur le sent instinctivement, et en général ça sonne faux.