ub a écrit :Chers tous,
Je dois travailler, cet été, sur le corpus de Roma Aeterna pour un essai sur les uchronies à paraître l'année prochaine, aux côtés d'André-François Ruaud. Les différentes opinions exprimées ici m'ont intéressé, forcément. Je réserve mon analyse détaillée sur Roma Aeterna tant que je n'aurai pas achevé ce travail et que je ne serai pas sûr de mes arguments. Mais, histoire, toutefois, de ne pas complètement "dégager en touche", je vous dirai ceci : je ne pense pas, au vu du parcours professionnel du bonhomme et sa fréquentation assidue de la matière historique, que les approximations qui, ici et là, ont été pointées par certains, soient nécessairement le résultat d'une facilité. Elles pourraient bien être délibérées, au contraire, être placées là pour interroger les propres représentations historiques des lecteurs (lecture marxiste, "main invisible de l'histoire", acculturation, etc) et obliger ceux-ci à en prendre conscience. Montrer, en somme, que notre culture nous impose parfois des grille de lecture du passé qu'il est difficile de dépasser. Et que l'auteur lui-même n'y échappe pas.
Comptez sur moi pour rouvrir le fil de ce sujet, si d'aventure il se fermait, lorsque le moment sera venu ;-) D'ici là, bon vent !
Merci Kibu, j'avais manqué ce message pendant que j'écrivais le mien.
Je veux bien admettre, et Ugo connaît bien mieux le sujet que moi, que Silverberg ne soit pas un ignorant ou un incompétent en matière historique. D'ailleurs, je ne prétends pas que mes cogitations soient plus valables que les siennes.
Simplement, je n'ai pas été convaincu, à la lecture, par cette vision d'une évolution d'un monde, du fait de nombreuses dissonances et d'une impression générale d'arbitraire des enchaînements historiques. Et si cela est fait exprès, pour nous alerter sur nos propres conceptions de l'histoire, je trouve que c'est un bien gros travail pour un mince résultat.
Même sans attribuer à Silverberg la tentation de la facilité, ce livre contient trop de failles faciles à pointer, et trop peu de réflexions théoriques sur le sens de l'histoire, pour que j'y voie autre chose qu'un vaste échec, parti d'une intention louable et servi par de solides qualités d'écrivain.
Enfin, je ne vois pas, kibu, ce qui oppose uchronie et prospective, ou du moins réflexion sur le devenir technique/social des sociétés. Dans toutes les uchronies auxquelles je peux songer, l'auteur donne à voir un état "actuel" d'une société, issu de ce que nous identifions comme une "bifurcation". L'uchronie est "ce qui pourrait avoir été", ou "ce qui pourrait être". Par conséquent, il me semble indispensable de démêler ce qui change de ce qui est similaire, et c'est à ce jeu de décryptage/reconnaissance que se livrent auteur et lecteurs.
Cela peut ne pas être le sujet principal du texte, mais simplement son cadre.
En tout cas, toute dissonance est malvenue : par dissonance, j'entends ce qu'un lecteur peut identifier comme contraire à la logique du texte. Par exemple, détail significatif soulevé plus haut, la mention de Jérusalem dans un la nouvelle mettant en scène Mahomet. Qu'est-ce que ça implique, qu'il y ait une Jérusalem ? Qu'elle ait été fondée et nommée ; or la fondation, et plus encore le nom, de Jérusalem font partie d'une ligne de temps explicitement niée par Silverberg, qui explique que l'exode n'a pas eu lieu ! Ce n'est pas trop demander, me semble-t-il, que d'attendre d'un auteur d'uchronie qu'il fasse attention à ce type de détail.
Et s'il n'y avait que cela... j'ai déjà mentionné plusieurs sources de mécontentement. D'un point de vue général, j'ai l'impression que l'auteur s'est plus concentré sur la charge symbolique de ses histoires que sur la logique de son univers. C'est un simple jugement de lecteur, à ce stade, et on peut me répondre qu'une uchronie peut justement avoir une valeur essentiellement symbolique. J'en resterai à mon goût personnel : quand on joue avec des formes reconnaissables, comme l'histoire ou la science, soit on affecte le plus grand sérieux et les critiques de détail sont recevables, soit on se contente de s'amuser à faire jaillir de belles images et on ne bâtit pas un énorme pensum prétentieux.
Un peu brutal et sans nuance, je le reconnais, mais je ne ferai pas mieux à ce stade.