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par silramil » dim. juil. 19, 2009 3:44 pm
Même s'il n'est pas inutile de connaître les intentions et la philosophie de l'auteur, il est rare que cette connaissance modifie l'opinion qu'on se forme d'un bouquin.
De plus, il me semble qu'il n'y a pas une seule conception générale de l'histoire à l'oeuvre dans ces textes disparates.
Pour prendre deux exemples précis, l'auteur postule que la conquête des Amériques est impossible dans cette ligne de temps, parce qu'un viking est devenu roi du Yucatan ; puis il met en scène quelques siècles plus tard une "Terreur" modelée sur ce qui s'est passé en France à peu près à la même époque.
Dans le premier cas, un changement radical est possible, définitif, et susceptible d'entraîner à sa suite des changements profonds.
Dans le deuxième cas, une homologie de situation initiale entraîne une crise de même nature que dans notre ligne de temps.
Je ne crois pas dès lors qu'on puisse soutenir la thèse selon laquelle Silverberg aurait une conception spécifique de l'uchronie, qu'il mettrait en scène dans différents tableaux. Selon moi, il privilégie au contraire l'effet obtenu dans un tableau à une quelconque réflexion historique. Et je ne lui en fais pas reproche : je trouve simplement que ses effets sont souvent ratés.
D'après moi, ce qui constitue l'uchronie est un jeu sur la reconnaissance des formes et des structures. L'auteur peut s'appuyer sur la culture générale de ses lecteurs (ce qui implique alors parfois des approximations et des raccourcis) ou fournir en cours de route les éléments nécessaires. Il décide ce qu'il garde et ce qu'il modifie, tout en prenant garde à ne pas trop changer ce dont il parle, car sinon cela gâcherait le plaisir du lecteur.
Si un auteur postule que certains événements se produisent malgré une modification de l'Histoire, il a intérêt à modifier quand même certaines choses, sinon il risque d'irriter le lecteur. Par exemple, malgré la mort imprévue de Bonaparte en 1798, il existe un Empereur des Français en 1808 : rien à redire à cela, mais si l'auteur décide d'appeler cet empereur Napoléon, le lecteur risque de trouver qu'on se moque de lui.
A contrario, s'il change trop de choses, il court le risque de diluer le plaisir de la reconnaissance (ou alors, il ne fait pas une uchronie). Toujours sur le même postulat, la mort de Bonaparte en 1798 pourrait difficilement justifier à elle seule une invasion massive de l'Angleterre par une coalition russo-française en 1801.
Pour résumer mon opinion, l'écriture et la lecture d'une uchronie sont des activités ludiques, dont la règle première est de jouer sur le plaisir de la reconnaissance, tout en imposant des déformations.
A mes yeux, l'échec de Silverberg n'a rien à voir avec une quelconque philosophie de l'Histoire. Il tient à des fautes de goût dans ce qu'il change et ce qu'il conserve, fautes de goût qui sont parfois des fausses notes historiques (je n'arrive toujours à avaler un Mahomet envisageant l'Islam sans qu'il y ait eu d'expansion du judaïsme, par ex), soit des extrapolations peu convaincantes (je trouve que cet Empire romain est plat et sans imagination...)
Donc c'est une uchronie, mais elle est ratée.
Enfin, pour ce que j'en dis...