Mystification extraterrestre et science-fiction

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Lensman
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Message par Lensman » mer. sept. 02, 2009 12:44 pm

Askaris a écrit :
IL N'EXISTE PAS, à mon humble avis, de spécificité particulière de l'épistémologie de la SCIENCE. Elle est aussi faible et molle que le reste ...car nous sommes des hommes. Les savants -honnêtes et scrupuleux- sont des hommes.
Oui, ce sont des gens, mais aussi des gens méfiants, entre gens de nations et de religions différentes, justement, qui doivent se convaincre mutuellement . Et ça, c'est pas gagné, d'avoir la reconnaissance de ses pairs, de voir ses travaux repris, poursuivis, etc, avec l'assentiment de l'ensemble de cette communauté.
C'est pour cela que quand on parle des archéologues "religieux", j'aimerais bien savoir qui est dupe, dans l'histoire? Il ne suffit pas de s'auto-proclamer archéologue comme ça (même si certains ne s'en privent pas...)
Oncle Joe

Askaris
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Message par Askaris » mer. sept. 02, 2009 12:46 pm

Lensman a écrit : Mon ressenti est qu'en effet, il n'y a pas vraiment autre chose à regarder en tant "ensemble" ayant une cohérence. Mais ce n'est qu'un ressenti comme ça; avec des argument incomplets et discutables. Je ne sais pas balayer tout cela de manière efficace.
En même temps...remarquez.....

Je vais me faire l'avocat du diable : l'alchimie fut longtemps le creuset de beaucoup de choses très contradictoires. Aucun savoir n'est pur à la base. Certains alchimistes traficotaient avec l'occulte et le bazar tandis que d'autres, à force de faire marcher des alambics, commençaient à poser les prémisses de la chimie sans le savoir...

Combien d'astronomes qui furent d'ardents combattants de la raison face à l'obscurantisme ne tiraient pas en même temps le tarot ou se faisaient une joie de dresser le thème astral de leurs prestigieux protecteurs ?

L'étude de la science au 17° siècle fut pour moi très enrichissante. Les mêmes techniques d'érudition, les mêmes traditions, les mêmes parcours, les mêmes habitudes intellectuelles produisaient chez les uns des monuments de rigueur encore impressionnants et chez les autres des farces si pittoresques qu'elles en sont poétiques.
Il faudra un jour que je vous parle du père Théophile Raynaud, jésuite né à Sospel (mort en 1663), un barroudeur qui alla escagasser du Turc, copiait et traduisait des hieroglyphes, rédigeait des traités de mathématiques et d'optique, décrivait l'alphabet des oiseaux et les apparitions du visage de la vierge sur des cierges ("les spiritualités hétéroclites, & les anomalies de la piété"), l'usage du nombre d'or en architecture...

Bref, un même groupe, un même homme peut contenir des restes de l'ancien épistémé (manière de lire le monde) et des morceaux du suivant. J'aime à croire que les idées ne se remplacent pas mais se déplacent par plaques tectoniques avec des recouvrements plus ou moins imparfaits selon les individus, les groupes, les situations...

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Message par Lensman » mer. sept. 02, 2009 1:25 pm

Askaris a écrit :
En même temps...remarquez.....

Je vais me faire l'avocat du diable : l'alchimie fut longtemps le creuset de beaucoup de choses très contradictoires. Aucun savoir n'est pur à la base. Certains alchimistes traficotaient avec l'occulte et le bazar tandis que d'autres, à force de faire marcher des alambics, commençaient à poser les prémisses de la chimie sans le savoir...
L'alchimie, c'est quelque chose qui est posé, qui est immuable, et se transmet d'adepte à adepte en ne modifiant rien, justement (c'est une révélation parfaite et complète donnée au départ, en tout cas, c'est en principe vécu comme ça). Il n'est pas question de faire "progresser" l'alchimie, c'est même antonymique, tout "progrès" serait une "dégradation". L'alchimie est une aventure personnelle, une philosophie personnelle de celui qui la pratique (si j'ai bien compris...). Le vécu de l'adpte, hors de tout soucis de vulgarisation (l'investissement demandé est tel que la vulgarisation est vaine).
La chimie, et les autres sciences plus ou moins dures, c'est l'exact contraire: au début, on ne sait rien, on ne part de rien (sauf... par hasard: la pratique -ratée?- de l'alchimie..), et on trouve des trucs et on en apprend sans cesse (péniblement et en se trempant) de nouveau. Et on l'explique aux copains qui, fous de joie (ou sceptique), refond le truc et en parle aux autre copains... Un travail collectif, quoi...
Il fut un temps où de très, très grands esprits (Newton, Robert Boyle, par exemple) ont pratiqué assidument (et quand je dis assidument, c'est pas juste en feuilleton en bouquin le soir avant de se coucher) les deux.
Cela ne semble plus être le cas aujourd'hui...
Alors, est-ce juste une question de mode? (reverra-t-on un jours des scientifiques du futur se relancer à corps perdu dans l'alchimie?)
Est-ce que des gens comme Boyle et Newton considéraient que leurs travaux "scientifiques" étaient juste des "divertissements", et que le vrai savoir fondamental était de tout temps dans l'alchimie (depuis qu'elle a été mystérieusement donnée aux hommes?)
Pourquoi, finalement, les progrès de la science "moderne" (dont Boyle et Newton font partie des fondateurs les plus prestigieux) ont-ils dévalué l'alchimie? Car c'est nettement l'impression que l'on a, même si, apparemment aussi, ce n'était pas du tout l'opinion de ces savants?
Ma question n'est pas naïve: pourquoi l'alchimie a-t-elle dévaluée par la science moderne, puisqu'il n'y a pas concurrence entre les deux?
A moins qu'il n'y ait une sorte de concurrence sur la philosophie générale du monde (on veut une seule description du monde, et pas deux simultanées).
Mais on dévie un peu, par rapport au délires ufologiques...
Oncle Joe

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Message par Lensman » mer. sept. 02, 2009 1:32 pm

Cela dit, je me rends compte que la discussion est assez curieuse (j'avais mis typique, je me demande pourquoi...): on est passé de l'ufologie à l'alchimie comme si ça avait un rapport...
A vrai dire, je me demande quel rapport il peut bien y avoir entre les deux, même de très, très loin... Tout est différent de manière ahurissante à tous les points de vue: histoire (c'est rien de le dire!!!), pratique (aucune espèce de ressemblance...), polémique (qui diable entretient des polémiques avec les alchimistes...), enjeu (aucun rapport entre l'alchimie et l'ufologie, en tout cas je n'en vois pas...), statut (une activité honorable, poursuivie par des grand esprits pour l'alchimie, alors que l'ufologie a été immédiatement, et pour de bonnes raisons, il faut l'avouer, cataloguée comme une activité de cinglés...)
Mais c'est intéressant.
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Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » mer. sept. 02, 2009 2:27 pm

Je reviens un peu en arrière.

Il se trouve que je connais Pierre Lagrange et que je pense même pouvoir le considérer comme un ami.

Lagrange m'a souvent donné l'impression qu'il savait très bien qu'il n'y avait pas de bébé dans l'eau du bain, mais qu'il ne voulait pas jeter l'eau du bain au cas où…

Par ailleurs, et en dehors de raisons plus fortes, j'aurais été dissuadé de croire aux soucoupes volantes par la fréquentation d'ufologues dont ceux qui étaient réputés les plus sérieux. J'ai toujours eu le sentiment qu'ils avaient un grain sérieux quelque part.

J'ai discuté avec Jimmy Guieu. Sur celui-là passons.

J'ai bien connu René Fouéré. J'ai connu Aimé Michel et passé une grande demi-journée à discuter avec lui chez moi. J'ai bien connu, à travers les Bogdanoff Jean-Pierre Petit.
J'en ai rencontré quelques autres mais restons sur ceux-là qui m'ont en général contacté parce qu'ils pensaient que je pouvais être intéressé ou converti par leurs travaux et recherches.

Concernant Fouéré qui était un fort brave homme, ingénieur de formation disait-il, et précédemment disciple de Krishnamurti, ce qui n'est pas la pire des choses, je voudrais rapporter l'anecdote suivante que j'ai souvent évoquée.
Un jour Fouéré me consulte en tant que psycho-sociologue et statisticien patenté. Il a reçu une étude américaine qui lui semble peu sérieuse et qui établit une corrélation entre la mobilité sociale et géographique aux États-Unis et les témoignages d'observations de soucoupes. L'auteur indique sans rien affirmer que les gens moins bien insérés ont plus tendance que les autres à observer des soucoupes sur quelques centaines de cas. Il y a des chiffres et des tableaux statistiques. En gros, explication sociologique.
Fouéré me demande de lire, de lui dire ce que j'en pense et de faire un article pour sa revue soucoupiste. Je lis le papier, je le trouve assez léger, en tout cas à vue de nez statistiquement peu significatif, et je rédige un court papier dubitatif. Puis, saisi d'un scrupule, je repars des chiffres et des tests statistiques et je calcule un chi2.
Et je découvre que l'auteur avait raison. Sur la stricte base de ses chiffres, la corrrélation statistique avait moins d'une chance sur 10 000 d'être due au hasard. Je rédige un nouveau papier d'un feuillet ne prenant aucunement parti sur le fond mais faisant remarquer que l'article présentait une cohérence interne.
Fouéré a refusé de le publier.
Il a demandé à un autre statisticien, et même de l'INSEE je crois me souvenir, d'écrire un papier démolissant le travail initial, non pas sur la base de calculs qu'il n'a pas refaits mais sur le sentiment que j'avais d'abord eu.
Je dois dire que j'ai été très choqué par cette histoire tout en restant en bons termes avec Fouéré. Il me semble que l'honnêteté intellectuelle la plus élémentaire aurait demandé qu'il publie au moins les deux articles, le mien étant particulièrement bref.

Au cours de ma très longue conversation avec Aimé Michel, alors que je lui faisais remarquer mon doute concernant l'orthoténie (sa théorie suivant laquelle les observations de soucoupes, en France s'alignaient sur des droites (mais tout dépend de la largeur retenue des couloirs)), il me dit en substance que je ne croyais pas à l'orthoténie parce que je ne croyais pas aux soucoupes volantes. Certes. Mais c'était tout de même un bel exemple de circularité vicieuse du raisonnement. J'ai découvert par ailleurs qu'Aimé Michel, excellent homme au demeurant, avait des convictions religieuses plus ou moins bizarres dont j'ai tout oublié hélas.

Jean-Pierre Petit. Brillant physicien, il semble avoir complètement dévissé après la mort de son fils qui s'est noyé en plongée apnéique. De surcroît, il était en train de perdre son poste au CNRS en partie parce que son domaine de recherche (en gros la magnéto-hydrodynamique) n'avait plus le vent en poupe et que ses convictions ufologiques faisaient tout de même un peu désordre. Le Dirgé du CNRS de l'époque, qui était un de mes amis personnels, était bien embêté et nous avons trouvé une solution en conservant son poste à Petit au titre de la vulgarisation excellente qu'il faisait dans ses BD chez Belin. Je ne peux pas en dire plus et je crains même d'en avoir trop dit, mais il y a largement prescription.
En tout cas, j'ai eu droit à des écoutes d'ummites et au feuilletage, sinon à la lecture, de centaines de pages de transcriptions.

Je m'honore par ailleurs de la fréquentation et de l'amitié de nombreux scientifiques qui m'ont toujours semblé beaucoup plus rationnels.

À Lensman, je voudrais faire remarquer sous ma casquette de psychologue que l'humain "normal" n'est pas à proprement parler schizophrénique car la schizophrénie est une maladie mentale assez bien circonscrite qui a presque certainement une base anatomique. Je sais bien que l'Oncle Joe utilisait le terme dans un sens métaphorique mais il y a des métaphores dont il vaut mieux se méfier.
Plus généralement, les êtres humains ont la possibilité de faire tenir dans leurs cerveaux plusieurs conceptions du monde même si celles-ci apparaissent à un tiers contradictoires. Et c'est fort heureux car c'est cela qui nous permet de penser de façon progressive. Dussé-je contrarier Askaris, c'est même ce qui distingue radicalement les humains des autres animaux. Les humains ne vivent pas dans UN univers mais dans aucun préspécifié ce qui leur permet d'en admettre plusieurs. Les philosophes ont des termes techniques pour ça, que je vous épargnerai.
Des études statistiques ont montré qu'une proportion non négligeable de scientifiques de haut niveau avaient des convictions religieuses, chrétiennes dans l'étude à laquelle je pense. Curieusement, c'était deux fois plus souvent le cas chez les mathématiciens que chez les physiciens (17% environ pour les premiers, environ 8% pour les seconds).
Désolé, je cite de mémoire et je n'ai pas la référence sous la main.
Pour prendre un exemple, Bernard d'Espagnat est un très grand physicien et philosophe qui ne fait pas mystère de ses convictions religieuses, catholiques, crois-je savoir.
(On pourra en profiter pour lire le très récent bouquin de Bricmont et Zwirn sur la philosophie propre à la physique quantique, avec un commentaire de D'Espagnat, cela sans rapport avec le contenu de ce post.)

Enfin, mais c'est peut-être un biais personnel, je ne crois pas du tout que l'approche sociologique soit devenue universellement individualiste et qu'elle ait écarté, il y aurait une vingtaine d'années, les phénomènes collectifs. Ça me semble une légende urbaine. Mais comme on sait, je suis porté sur les subjectivités collectives.

Une dernière remarque à l'endroit de Lensman: l'alchimie a beaucoup évolué au fil des siècles et elle a même été le terreau de la chimie moderne, disons celle de Lavoisier. Plusieurs travaux historiques le démontrent. Les idées de Jung sur l'alchimie sont largement fumeuses.

Askaris
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Message par Askaris » mer. sept. 02, 2009 3:26 pm

Mes maigres connaissances en alchimie me viennent de Baltrusaitis, Panofsky, Jung & Eugenio Garin.
Je me suis intéressé à ces questions parce que je ne comprenais pas certains symboles ou allusions qui revenaient fréquemment dans mes manuscrits. J'avais l'impression de déchiffrer une langue étrangère. Je me suis donc mis à lire tout ce qui passait devant moi : hermétisme à la Renaissance, astrologie de Cour, sémiotique des images, art du blasonnement, l'iconologia de Cesare Ripa etc...
J'ai ainsi peu à peu compris que les esprits savants de l'époque vivaient sur une représentation du monde qui nous est devenue obscure.Un monde où la médecine, l'architecture, l'astrologie, les fresques des églises ou certaines constructions philosophiques constituaient un étrange réseau de correspondances et de corrélations.

Le temps passant, j'ai appris à donner un nom à cet ensemble ("la sympathie universelle"), une généalogie intellectuelle (de Pythagore à Aristote, de Gallien aux Pères de l'Église) et même une oraison funèbre (quelque part entre Copernic et Darwin ...).

C'est donc à l'école des "savants", érudits Libertins et autres polygraphes du 17°siècle que j'ai enfin compris ce que Kuhn et Foucault entendaient par "révolution épistémologique". J'ai compris pourquoi Bacon plaçait la Philosophie au sommet de l'arbre des connaissances, et pourquoi Diderot, 150 ans plus tard, ne le faisait plus.

J'ai découvert, ou plutôt re-découvert des figures sacralisées comme Newton et Leibniz, mais aussi quelques manouvriers plus obscurs mais pas moins décisifs : Athanasius Kircher, Robert Fludd ou l'immense et trop peu célébré Comenius.

Et que nous apprennent tous ces savants ? Que la science EST AUSSI un régime de croyance, de vérités confuses, d'habitudes sociales, de présupposés plus ou moins conscients. Il n'y a pas de grand partage comme une certaine image dorée de l'histoire des sciences nous l'a si longtemps fait croire.

Comenius qui rencontra Descartes et correspondait avec toute l'Europe savante d'alors, sera considéré par les Philosophes du 18° comme un charlatan embrumé de physiognomonie, d'écriture automatique et d'improbables athanors...On lui doit pourtant quelques ruptures décisives dans la méthodologie critique, le rôle des Autorités, la place de la note de bas de page, la circulation des idées, l'enseignement, la pédagogie, la classification des sciences ou l'onomasiologie...

Non, il était plus qu'un savant, plus qu'un humaniste, plus que le père putatif de la maçonnerie : il était à l'image de ces Newton, Pereisc, Kepler, Descartes, Tycho Brahé, Gassendi qui ouvraient un monde et en fermaient un autre sans le savoir.

Le lien avec les soucoupes ? Évident :
* la précarité des savoirs et leur insertion sociale TOUJOURS problématique (voir les actuels problèmes de la psychanalyse, jadis si solidement installée)
* la porosité de la frontière entre savoir positif et croyance : en travaillant sur Frank Herbert et les cercles qu'il fréquentait, j'ai découvert l'existence de "mouvances" dont j'ignorais tout et dont le statut oscille entre pure fiction, pseudo-science et connaissance scientifique incertaine (prospective, futurologie, cliodynamique, psychohistoire, singularité, cybernétique, futurobiologie, transhumanisme, exopsychiatrie, écosophie...)
* le rapport complexe des groupes et des individus à la notion de vérité et les régimes différents de rapport au réel, le langage en étant la manifestation première :
Ce que nous entendons par « vérité » et « réalité » est constitué par notre manière d’utiliser [l]es mots dans la vie courante. Nous avons une fâcheuse tendance à avoir une conception absolue du monde, comme si la vérité et la réalité étaient dépendantes de nous. La « vérité » et la « réalité » sont constituées par nos jeux de langage.

« Si un lion pouvait parler, nous serions incapable de le comprendre ». Car la manière de parler du lion ferait partie d’une forme de vie si différente de la nôtre qu’elle n’aurait aucun sens pour nous. Le lion aurait sa propre conception de la réalité, différente de la nôtre. Le lion et nous aurions chacun notre idée sur ce qui est correct, en fonction de nos formes de vie.

La philosophie lutte contre l’ensorcellement de notre entendement par les moyens de notre langage. Son but est de « montrer à la mouche l’issue par où s’échapper de la bouteille à mouches ». Elle conduit à la découverte de quelque pur non-sens où l’entendement se fait des bosses en courant à l’assaut des frontières du langage. Le monde est mesuré par le langage, ses limites sont logiquement énonçables ; on ne peut que montrer l’indicible et le « secret ». La philosophie n’est pas à une doctrine, c’est une activité.

La philosophie de Wittgenstein n’est pas une fin en soi, c’est un instrument qui aide à comprendre la position de chacun. Une fois toutes les mouches sorties de la bouteille qu’est le langage, la philosophie ne sert plus à rien ; une fois arrivé en haut, on n’a plus besoin de l’échelle.

En affirmant que toute signification est produite en suivant les règles d’un jeu de langage, Wittgenstein invalide les deux traditions philosophiques du rationalisme et de l’empirisme puisque celles-ci s’appuient sur la description du contenu privé de l’esprit. Sa position a suscité de vives controverses philosophiques.

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Message par Lensman » mer. sept. 02, 2009 3:59 pm

Gérard Klein a écrit : Plus généralement, les êtres humains ont la possibilité de faire tenir dans leurs cerveaux plusieurs conceptions du monde même si celles-ci apparaissent à un tiers contradictoires.
Ce qui est amusant, c'est qu'elles sont aussi contradictoires pour eux-mêmes, et quand on leur fait remarquer, Ils sont souvent tout à fait d'accord avec la mise en évidence de la contradiction. Mais hop!, peu après, comme le lapin qui vient d'échapper au renard, ils oublient et reprennent leur activité normale.
Oncle Joe
PS: sur l'ufologie, tu peux ajouter Jacques Vallée (alias Jérôme Sériel en SF) que tu connais aussi assez bien, je crois.
Modifié en dernier par Lensman le mer. sept. 02, 2009 4:20 pm, modifié 1 fois.

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Message par Lensman » mer. sept. 02, 2009 4:15 pm

Askaris a écrit :Mes maigres connaissances en alchimie me viennent de Baltrusaitis,
Le lien avec les soucoupes ? Évident :
* la précarité des savoirs et leur insertion sociale TOUJOURS problématique (voir les actuels problèmes de la psychanalyse, jadis si solidement installée)
* la porosité de la frontière entre savoir positif et croyance : en travaillant sur Frank Herbert et les cercles qu'il fréquentait, j'ai découvert l'existence de "mouvances" dont j'ignorais tout et dont le statut oscille entre pure fiction, pseudo-science et connaissance scientifique incertaine (prospective, futurologie, cliodynamique, psychohistoire, singularité, cybernétique, futurobiologie, transhumanisme, exopsychiatrie, écosophie...)
* le rapport complexe des groupes et des individus à la notion de vérité et les régimes différents de rapport au réel, le langage en étant la manifestation première […]
La science "positive" peut éventuellement avoir quelque chose à dire sur les effets physiques et chimiques obtenus dans des opérations alchimiques, mais peu importe, au regard de la signification de l'alchimie. Ce n'est pas là qu'est le champ de compétence où prétendrait agir l"alchimie.
Alors que l'ufologie, elle, veut s'inscrire complètement dans les sciences positives, et d'ailleurs passe son temps à chercher une reconnaissance. Et ce n'est pas une reconnaissance en tant que croyance qu'elle recherche, mais un statut de science positive (on peut en sourire, mais cela n'a aucun rapport avec l'alchimie).
Que l'alchimie soit prise au sérieux par le scientifique positif n'a pas plus d'importance que la poésie soit prise au sérieux par ce même scientifique. Le champ d'application est complètement différent.
Par contre, c'est un enjeu (les mauvais esprits disent que c'est le seul...) pour l'ufologie.
Autrement dit, l'alchimie est vue comme une croyance, et tout le monde trouve ça très bien, que l'on y adhère ou pas en tant que croyance.
Et l'ufologie est considérée comme une croyance, mais personne n'en est satisfait, que l'on n'y adhère ou pas en tant que croyance.
Oncle Joe

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Message par Askaris » mer. sept. 02, 2009 5:03 pm

Gérard Klein a écrit :
Enfin, mais c'est peut-être un biais personnel, je ne crois pas du tout que l'approche sociologique soit devenue universellement individualiste et qu'elle ait écarté, il y aurait une vingtaine d'années, les phénomènes collectifs. Ça me semble une légende urbaine. Mais comme on sait, je suis porté sur les subjectivités collectives.

Une dernière remarque à l'endroit de Lensman: l'alchimie a beaucoup évolué au fil des siècles et elle a même été le terreau de la chimie moderne, disons celle de Lavoisier. Plusieurs travaux historiques le démontrent. Les idées de Jung sur l'alchimie sont largement fumeuses.
Merci pour ce dense et très instructif post. J'ai peur, malheureusement, de ne pas pouvoir vous suivre dans votre appréciation des évolutions récentes de la sociologie et plus largement des sciences sociales, dont l'Histoire, ma discipline d'origine.

Les mots sont trompeurs et vite caricaturaux quand on n'y consacre pas suffisamment de lignes. Voilà donc mon sentiment, et peut être sera-t-il plus évocateur que mes allusions précédentes : la science historique s'est construite depuis les années 20 en réaction contre une attention jugée disproportionnée pour l'étude strictement factuelle, individuelle et "psychologisante" de l'école méthodique (les "3 idoles": politique, individuelle, chronologique).

Je caricature encore monstrueusement les choses, mais disons que le modèle de rechange fut trouvé dans le compromis élaboré par l'économiste F.Simiand entre raisonnement idiographique et recherche de lois nomothétiques. Faire de l'Histoire (et à l'imitation de la sociologie durkheimienne) une "science des faits sociaux" détachée du prisme de la focale psychologisante et attentive aux mouvements de longue durée, tel devait être le programme de 3 générations successives d'historiens. Mais je suis sûr que je ne vous apprends rien.

Le succès grandissant de cette "Nouvelle Histoire", incarnée par l'École des Annales, rencontra le développement parallèle des thèses structuralistes et contribua à installer au sein des sciences humaines une relative interdisciplinarité, au point que certains historiens du début des années 70 en vinrent à réclamer pour l'Histoire une forme de primat au sein des sciences sociales. Primat vivement contesté par l'empire structuraliste d'un Lévi-Strauss ou la sociologie triomphante d'un Bourdieu.

Et puis patatras...Un vent de pyrrhonisme venu d'Outre-Atlantique est venu frapper de plein fouet la science historique dans le "paradigme galiléen" qu'elle s'était depuis si longtemps forgé. Voilà que les apports de la quantification, les mises en séries, les moyennes et autres dépouillements sont mis en question. On interroge leur pertinence, le regard biaisé des fonds interrogés, la logomachie inhérente à une "cliométrie" trop confiante dans la rationnalité des agents individuels...Puis, le doute s'insinuant, c'est toute la structure de raisonnement qui se voit questionnée : que valent nos catégorisations arbitraires, nos concepts atemporels ("bourgeoisie","élites","cercles dirigeants","noblesse","aristocratie") et nos cadres géographiques convenus (la nation, la région) ?

Certains trouvent la "panacée" dans la micro-storia attachée à retisser les petites configurations idiographiques du local. D'autres réhabilitent la politique, l'événement, l'acteur historique et trouvent dans les cérémonies du bicentenaire et le sacre de Furet la consécration de leur rejet de l'"Histoire en miettes".

Or, tandis que les Annales E.S.C. titraient sur la "crise de l'histoire", l'activisme empirique & "historiographique" d'un Raymond Boudon allait progressivement rompre le tranquille magistère de Bourdieu. J'ai conscience d'être terriblement caricatural en disant cela, mais les 2 universitaires ont beau chacun proclamer leur volonté convergente de dépasser l'antique querelle du holisme et de l'individualisme méthodologique, il n'en reste pas moins que la lecture comparée de 2 dictionnaires de sociologie se réclamant de leur patronage suffira à fixer tout le monde sur l'ampleur de leurs divergences. Bourdieu lui-même reconnaîtra cette distance grandissante entre sa pensée et certains de ses collègues tout au long des années 90.

Crise en Histoire, fracture en Sociologie, révolution post-moderne en Anthropologie, déferlement de la New Geography et de la géographie"humaniste", il n'est pas de science humaine au début des années 90 à n'avoir pas fait son examen de conscience.

Or, si certains philosophes célèbrent l'avènement d'un nouveau "paradigme humaniste" (Dosse), l'heure est à la reconstruction pour les praticiens. Je ne parlerai que de mon champ d'études : quelle échelle d'analyse appliquer ? comment jouer des focales et articuler les différentes échelles de l'interaction sociale ? comment départager la représentation du modèle ? la systémique et les structures réticulaires peuvent-elles nous fournir un modèle opératoire ? quelle herméneutique du texte entre traitement automatisé et pesée individuelle ?

Tout cela est horriblement naïf et elliptique, mais si par la suite nous pouvons aller dans le détail, en particulier autour de vos conceptions de ce que devraient être des SF Studies à la française, je pense que mon laïus aura au moins eu l'utilité de témoigner pour le candide que je suis (parmi tant d'autres ).

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Message par Eons » mer. sept. 02, 2009 5:50 pm

Lensman a écrit :
Askaris a écrit :Je connais même des gens qui disent ne pas croire en Dieu et tremblent à la seule évocation d'un exorcisme. Véridique.
Mais justement, ça ne colle pas: s'ils ne sont pas croyants, l'exorcisme n'a pas de valeur.
Il n'y a pas cohérence dans l'esprit de la personne en question, en tout cas sur CE sujet...
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Sylvaner
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Message par Sylvaner » mer. sept. 02, 2009 5:53 pm

[mode surveillance du jargon]Askaris, tu recommences...[/mode surveillance du jargon].

Ceci étant dit, en tant que pratiquant (!) des sciences expérimentales, je ne peux pas laisser dire que science, croyance, philosophie, mythes et superstitions font partie d'un même magma gluant.

Et si une de ses approches devait englober les autres, ce serait certainement la philosophie bien plus que la science ou la croyance.

Pour comprendre cela, il faut bien réaliser que la science du scientifique est différente de la science vue par le profane (!).

Pour le non-scientifique, la science ce sont des gens très sérieux, avec une logique impeccable (cartésienne) et une méthode invariante, et qui progressent vers la Vérité. Mais au bout du compte comme personne ne les comprend ils ne peuvent être reconnus que parce qu'on croit aveuglément ce qu'ils disent. On doit alors se positionner par rapport à ces "experts", selon qu'on croit ce qu'ils disent ou non.

Pour le scientifique, la science est un fouillis indescriptible (l'observation du réel) à partir duquel on arrive à extraire par intuition ou par hasard quelques faits menant à une théorie ou modélisation expliquant de manière assez satisfaisante le réel. On confronte ensuite cette théorie à d'autres faits issus du fouillis, jusqu'à la consolider ou l'abandonner... le tout n'étant possible qu'avec l'appui d'autres scientifique qui comprennent ce qu'on fait et qui s'obstinent à refuser de nous croire sur parole. L'idée de la "Vérité" en sciences expérimentale est largement abandonnée, au moins depuis Kuhn... et du coup on s'en approche peut-être davantage !

J'ai parfois l'impression que les "sciences humaines", géographie et économie en tête, ont choisi lorsqu'elles on décidé de devenir des sciences de se conforter au premier modèle ci-dessus. Et quand la confiance dans la théorie devient plus importante - pour celui qui la défend - que la confrontation aux faits, on glisse dans la croyance - un mode de pensée totalement respectable mais largement distinct de la science "du scientifique".

Je croyais l'histoire, discipline de narration et de reconstruction, échappait à cette dérive "scientisante" des humanités. Apparemment, je me trompais.
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Erion
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Message par Erion » mer. sept. 02, 2009 5:57 pm

C'est amusant, je n'ai pas encore vu le nom de Feyerabend arriver dans la discussion. Pourtant, y'a de quoi déclencher une belle guerre de tranchée avec lui, niveau épistémologie.
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Message par Askaris » mer. sept. 02, 2009 6:09 pm

Si j'ai donné l'impression que l'Histoire et les sciences sociales sont étroitement corsetées par des modélisations abstraites et la quête éperdue de "lois" intangibles, il faut croire que je n'ai pas su trouver les mots pour exprimer mon sentiment.

Non, c'est tout le contraire : les historiens sont plus que jamais réticents à laisser leur travail s'inféoder à une quelconque théorie globale. Les mots "collectifs" et "général" sont devenus des gros mots.

Il faut s'astreindre à construire autour d'un indice (même le plus ténu), lui-même produit d'une infernale analyse de source, pour ensuite le confronter à d'autres et élever très empiriquement, de bas en haut, peu à peu, une vision d'ensemble tout en sachant bien que le danger de réifier, de chosifier le réel nous guette à chaque instant. Certains pensent "réseau", d'autres "système". D'autres encore poussent le vice jusqu'à douter que l'on puisse produire autre chose qu'un "roman vrai". La plupart tiennent tout de même à réaffirmer la nature "scientifique" de notre activité et refusent le relativisme du "linguistic turn". Bref, il ny a plus de paradigme dominant depuis 20 ans. Ce n'est pas plus mal d'ailleurs puisque chaque objet d'étude est l'occasion de repenser notre épistémologie. Chaque thèse se doit d'être un tour de force et d'apporter sa petite contribution à la réflexion méthodologique commune. Les historiens, qui furent longtemps si fiers de leur "pragmatisme" sont devenus d'impénitents critiques et épistémologues de leur propre démarche intellectuelle.

Tout le challenge est de justifier comment on a rassemblé ses archives, quelles techniques de traitement ont été utilisées, quelles échelles d'analyse ont dominé ce travail, comment les a-t-on articulé, selon quelles configurations et géométries, etc. ?

Bref, l'historien ne peut plus se reposer sur les "grands travaux" d'antan et doit se méfier dans le même temps du prisme déformé de ses sources. Voilà pourquoi l'essentiel de son activité intellectuelle sera de construire un parcours et d'en expliquer la légitimité.

On peut difficilement faire plus relativiste !

PS: imagine une histoire de la SF à cette aune
PS bis : je t'ai épargné : herméneutique, idiographique, monographie, épistémologie, heuristique, praxis, normativité, coalescence, cristallisation et schimillibili...Pas mal ?!!!
Modifié en dernier par Askaris le jeu. sept. 03, 2009 12:43 am, modifié 2 fois.

Askaris
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Message par Askaris » mer. sept. 02, 2009 6:20 pm

Erion a écrit :C'est amusant, je n'ai pas encore vu le nom de Feyerabend arriver dans la discussion. Pourtant, y'a de quoi déclencher une belle guerre de tranchée avec lui, niveau épistémologie.
Mes quelques amis provenant des "dures" sortent leurs krys dès qu'ils entendent prononcer ce nom.

Mais faut pas croire, la plupart des "mous" sont tout aussi critiques du bonhomme, sinon plus tant ils ont à coeur de démontrer leur "scientificité".

Finalement, tout le monde est d'accord (sauf Noiriel) pour cogner sur les sociologues des sciences....nos petits boucs !

vive l'anarchie !

Herbefol
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Message par Herbefol » mer. sept. 02, 2009 8:43 pm

Askaris a écrit :5. statistiquement, vu l'infinité de l'univers, ça serait vraiment bizarre qu'il n'existe pas une race de petits cafards aussi méchants que nous quelque part

9. dans ce cas pourquoi se donner la peine de faire tout ce voyage pour nous palper l'anus et faire des enlèvements de vaches ou des dessins ridicules dans le Middle West ?
La réponse au 9 se trouve dans le 5.
Ou, pour citer un dialogue de The Big Bang Theory :
- Here is a question : Why ?
- Because we can. :D
L'affaire Herbefol
Au sommaire : La pointe d'argent de Cook, Black Man de Morgan, Navigator de Baxter, Cheval de Troie de Wells & The Labyrinth Index de Stross.

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