Débat éternel et qui ne cesse de revenir sous des formes à chaque fois nouvelles, mais dont on finit par ne plus être dupe à la longue ...
Pour m'amuser à faire des catégories (c'est un sport dont nous raffolons ici), je distinguerais au moins 3 stratégies de dépassement/contournement de la SF :
1 . débordement par légitimation institutionnelle extérieure
2 . intellectualisation, par réduction ...
.....2.a . métaphorique
.....2.b . socio-anthropologique
3 . dissolution
.....3.a . psychologisante
.....3.b . esthétisante
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Le premier point est bien connu. Quand on s'estime gueux et qu'on a honte de sa roture, on s'invente des parents et une généalogie. C'est ainsi que Gilgamesh est naturalisé klingon, que Cyrano de Bergerac devient l'oncle à la mode de Bretagne de Swift, et que Miss Shelley se retrouve affublée de deux rejetons qu'elle n'avait sans doute pas imaginé : Verne et Welles ...
Tout cela fleure bon le chaînon manquant, avec le ridicule qui sied à ce genre de spéculation. Aussi, certains exégètes, plus sages, préfèrent se chercher des cousins germains dans LA Littérature, la blanche, celle qui porte un grand L. Et en cherchant bien, on peut réunir un sacré portrait de famille !
Il y a d'abord tous ceux qui fréquentent le "genre" en cachette, s'y acoquinent un temps puis retournent dans le droit chemin (Pynchon, Lessing, Borges, Calvino, Burroughs, Doyle, Houellebecq, Kipling, Stapledon, Vonnegut).
Il y a ceux qui en sont, et qui cachent ce passé honteux (faut-il qu'on donne des noms ?).
Et puis, il y a tous ceux qu'on embrigade malgré eux, les Grass, les Rushdie, les Cortazar, Durrell, Barth voire Balzac...encore tout étonné (depuis sa tombe) d'être si bien accompagné....
Toutes ces généalogies improbables qui excitent les universitaires ne sont d'ailleurs pas sans rappeler les étiquettes à géométrie variable de nos éditeurs (le nirvana pour un scrivaillon "para-litté-raté" étant de rejoindre le Walhalla des littérateurs tous publics, du genre Orwell, Huxley ou Bradbury).
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D'aucuns ont alors cherché à dépasser la folie taxonomique qui règne dans la Répoublique des Lettres depuis les fatouas d'Aristote, Boileau et Sainte-Beuve, en tentant de nous vendre un autre argument :
"pfff....eh ! c'était pour rire ! la SF c'est pas de la littérature, c'est des idées ! de la philousophie qu'on vous dit !"
Pour échapper au croquemitaine littéraire et ses (para-)diktats, 2 échappatoires s'offraient :
a . la SF, c'est plus que du voyage, plus que de l'extraordinaire, plus que de l'évasion...: c'est de la spéculation socio-politico-eco-anthropo-et-cetera ! C'est Voltaire en pyjama de Star Trek, c'est du conte philosophique avec des fusées et des martiens... Bref, le capitaine Nemo, Candide, Flash Gordon et Micromégas, même combat !
On se mit même à espérer, au tournant des 70's, que la SF à papa (Verne ou Gernsback) allait définitivement disparaître avec son optimisme capitaliste et sa technomanie infantile. Sous les auspices de Welles, d'Orwell et de la New Wave britannique l'idée eut son heure de bravitude ...puis - damned - les Martiens, les sabre laser et la technomanie militariste revinrent à la mode ....
b . a contrario, pour d'autres, la SF est peut-être le sommet visible d'un immense continent mythologique dont nous étions artificiellement coupé par le "désenchantement" propre à notre société post-industrielle ? Loin d'être une invention propre à notre époque, la SF est l'avatar industriel d'un besoin collectif de nous rattacher à des récits collectifs, un besoin de s'inscrire dans le temps, patati, patata ...
Et de disserter à foison sur les archétypes jungiens, le monomythe campbellien, la thanatologie ou les pulsions libidinales du lecteur de SF ...
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Ce biais introduisait naturellement la 3° stratégie de débordement de la SF, à savoir... ni plus, ni moins que sa dissolution !
a . Dissolution psychologisante et esthétique pour commencer. La SF manifestant dans ses oeuvres de grande diffusion, cycles et autres livres-univers, une "propension à la spécularité mimétique", elle ne serait qu'un avatar du grand roman psychologique du 20°siècle, une variation sur l'imagination humaine, mais un imaginaire qui parlerait avant tout de notre présent ! Proust, Joyce, Borges, Tolkien, Herbert, Asimov, Pynchon, Garcia Marquez, Kafka, Mann...c'est kif kif ! Brouillage du rapport au réel, des dimensions, des univers possibles, de la mythistoire... La SF, cette avant-garde de la déconstruction et du post-romanesque riche en abymes et autres labyrinthes métatextuels ...
b . Et pour finir, dissolution des thèmes eux-mêmes ... Tout ce qui précède pourrait être lu comme la chronique dérisoire des efforts désepérés d'une - certaine - critique académique pour s'arracher au spectre infâmant de la (para-)littérature d'évasion, populaire, enfantine, infantile ....
Mais, pour reprendre une remarque judicieuse de Norbert Spehner, on aura beau vouloir accommoder la SF à toutes les définitions les plus alambiquées et improbables....reste qu'une soucoupe volante, des mutants ou des pouvoirs psi peuvent difficilement se dissoudre dans un "ailleurs" oecuménique de la SF.
Quoique, quoi que, koi queue..... il ne manque pas de théoriciens comme d'auteurs pour contester cette dernière assertion. En effet, il n'est pas une année sans qu'on nous annonce avec trompettes et cymbales qu' un nouveau décloisonnement, une nouvelle rupture avec le ghetto va enfin nous conduire à un espace de liberté émancipé de la doxa castratrice de Gernsback-Heinlein-Campbell...
Nouvelle Fiction, Esthétique de la Fusion voire Transfiction ... les nouvelles aires de la "liberté" s'avèrent pourtant être des étiquettes aussi réductrices, vaines et illusoires que ce qu'elles prétendaient vouloir dépasser...
Et puis tiens ! N'est-ce pas Robert Scholes qui théorisait dès 1967 le champ transgenre des auteurs inclassables de la "Fabulation" ? Les Anglo-Saxons avec leurs "Span Genre", "Transrealist Fiction" ou "Impossibility Fiction" ne retrouvaient-ils pas eux-même l'espace familier du "Realismo Magico" ? Bref, plus on s'imagine "innover", plus on recycle les idées "neuves" d'antan ....
3 chemins pour noyer le poisson, justifier ce qui n'a pas à l'être, légitimer une littérature qui n'a pas à demander l'aval de quiconque pour exister...Alors, vous savez quoi ?
........Maaaarde au Nobel .
