Sand a écrit :
Pour moi, c'en sont des continuités, pas des analogies. Bouddislamisme, jihad butlérien, judaïsme... le vocabulaire et les références sont clairs.
C'est une évolution possible qui est présentée, tenant compte de "pertes", d'influences, de fusions, de continuités... possibles.
Oui, j'avais oublié qu'un groupe secret de Juifs apparaissait dans les derniers volumes du Cycle et conservait sans changement aucun la foi de ses pères. Ce qui nous conduit à des chiffres vertigineux (plus de 30.000 ans !!!). Un peu comme si les croyances de l'homme de Cro-Magnon restaient pieusement conservées jusqu'à nos jours ...
Herbert voyait dans les formations religieuses les socles les plus stables et pérennes de nos civilisations. En cela il s'inscrivait dans les spéculations d'un Spengler (voire de Gibbon) qui identifiait la force d'un groupe, d'un peuple, d'une civilisation à ses éléments culturels (il parlait ainsi de civilisations "viriles") et à ses capacités à résister aux autres influences. [Je caricature cette forme de "darwinisme social", mais à peine]
Ce qui me fascine dans ces spéculations tient à l'absence de la civilisation technicienne qui envahit d'habitude tant de récits. Beaucoup ont souligné la parenté de ce motif avec la SF néo-luddite de Butler ou Roszak. Mais en ce jour de décès de Claude Lévi-Strauss, je ne peux pas m'empêcher de tracer (arbitrairement) un rapport entre le temps cyclique d'Herbert et les sociétés froides de l'anthropologue. L'un et l'autre décrivent des structures sociales étrangères aux concepts de "progrès" technique ou social. L'éternel retour y règne en maître. Le mythe ou la superstition religieuse constituent le seul horizon d'attente des populations. En d'autres termes, l'histoire des commencements (le temps des Dieux, le Jihad, la promesse du Messie) est sans cesse re-vécue sans espoir d'en sortir.
Les péripéties (intrigues, complots,guerres) n'empêchent pas que le même schéma se reproduise de millénaire en millénaire :
_ attente du messie
_enfance et apprentissage de l'enfant-héros
_accomplissement et ivresse de la puissance
_désillusion
Un peu comme les annales chinoises et le schéma du mandat céleste (ascension-apogée-déclin). Mais si "progrès" il y a dans ce schéma historique, je l'identifierais au passage imperceptible entre la geste individuelle du héros et l'aventure collective des derniers volumes. Il est dommage que beaucoup renoncent à lire le Cycle en entier, car ils seraient surpris de voir combien Herbert détourne subtilement le roman d'apprentissage des débuts vers un récit plus polyphonique, moins centré sur les affres d'un ego adolescent et plus tourné vers les infinis équilibres qui font la vie d'adulte. De ce point de vue, l'histoire apparemment presque immobile de Dune peut aussi se lire comme la métaphore de l'histoire humaine, une humanité encore dans l'enfance de ses passions et lentement éveillée aux valeurs de sacrifice, de dévouement, d'ascèse et de contrôle de ses affects dont l'ordre féminin des BG serait l'ultime incarnation.
Enfin... c'est mon point de vue.