Une expérience frappante en relisant les pages récentes de ce fil : on est régulièrement mis en demeure de préciser le vocabulaire pour vérifier qu'on parle bien de la même chose. "Métaphysique", "matière", "fait", "intelligence", etc. C'est fatiguant mais sans doute inévitable.
Oncle, le réalisme physique est en effet ce qui ressemble le plus à ta position mais il faut garder en tête une chose : il s'agit d'un choix, d'une interprétation de ce sur quoi porte la physique et pas du tout d'une position d'autorité qui serait plus rationnelle ou assurée de son objet que les autres. J'accorde le plus grand respect à la méthode scientifique et aux données de l'expérience, comme tout le monde ici. Quant à savoir ce que disent ces données sur la nature profonde du réel, c'est une autre affaire.
Est-ce qu'on essaye d'avancer sur la question des dieux ? Ou bien le sujet provoque des réactions tellement épidermiques qu'il vaut mieux passer à autre chose ? Roland ayant finement essayé de me faire dire que je considérais Dieu et les ovnis comme un fait, je reprécise que mon point de départ n'est pas un subtext hétéroclite que je serais en train d'essayer de fourguer sous couvert de critique, mais une observation : il y a là quelque chose d'apparemment spécifique à la scienc-fiction. Oncle objecte que cette observation est, en quelque sorte, erronnée. Que l'objet que je crois voir n'est pas là. Ou encore : que la naturalisation de cet objet par la sf modifie tellement sa position dans l'échelle des êtres que continuer d'en parler comme d'un dieu n'a plus de sens :
Lensman a écrit :Pour moi, ce ne sont pas des "dieux plausibles scientifiquement", mais des hommes ou des extraterrestres, ou tout autre créature naturelle ou artificielle, auxquels on prête des attributs
Et il ajoute :
Lensman a écrit :Puisque on veut être précis, appelons un dieu, un dieu. quand on dit "les dieux du stades", en parlant de sportifs, ce ne sont pas des dieux, le "dieu du bricolage", pour Leroy-Merlin, ce n'est pas une entreprise divine, et "les hommes-dieux" de Farmer, ce ne sont pas des dieux. Ce sont des métaphores. Elles sont employées partout, massivement, dans tous les domaines.
Mais justement : les métaphores font l'objet d'un traitement très particulier dans la science-fiction (d'où une part du malentendu littéraire sur la sf comme texte). Elles sont réifiées. Elles cessent d'être des images poétiques insubstantielles pour devenir des réalités concrètes et le changement de régime cognitif qui se produit à ce moment-là est une des sources du sense of wonder. Quand je dis, au sortir d'une mauvaise passe quelconque de mon existence, que je suis "démoli", c'est une métaphore. Quand Bester écrit
L'homme démoli, il met en scène une réalité concrète. Ben Reich est réellement démoli, pièce par pièce ; son psychisme est démantelé jusqu'au noyau central et c'est typiquement un de ces grands spectacles cognitifs à effets spéciaux qui n'appartiennent qu'à la sf.
Autre exemple classique : la machine à explorer le temps. On peut employer cette expression pour désigner métaphoriquement la propriété qu'ont certains objets/lieux/circonstances/ce que vous voudrez de nous arracher au présent, de nous plonger dans une méditation sur le passé ou l'avenir, notre mémoire personnelle, que sais-je encore. Une madeleine renvoie à l'enfance ; un château nous ramène en plein moyen-âge ; le pas de tir de Cap Canaveral nous fait rêver à la future conquête du système solaire, peu importe. Dans un roman de sf, on explore réellement le temps, on fait le voyage concret et c'est bien ce qui nous émerveille : qu'une rêverie soit traitée, le temps d'un texte, comme une possibilité réelle, non métaphorique.
Si "les dieux" sont dans notre monde une métaphore, il n'y a aucune raison qu'ils échappent à ce processus de réification. Leur pouvoir d'émerveillement n'est pas annulé par la naturalisation mais rétabli (c'est du moins mon hypothèse). Leur soumission aux lois de la physique n'est pas un abaissement mais, au contraire, une sorte de sauvetage in extremis, une manière de dire : dans telle et telle circonstance, le monde tel que nous le connaissons pourrait effectivement produire des êtres dotés des attributs classiques de la divinité. Qu'est-ce qui est valorisé dans cette opération ? L'autorité de la physique ou la permanence du désir humain de voisiner avec des êtres qui l'excèdent ? J'aurais tendance à dire : les deux.