Du sense of wonder à la SF métaphysique

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Lensman
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Message par Lensman » ven. nov. 20, 2009 3:08 pm

marypop a écrit : D'où forcément l'inadéquation du test de Turing à déterminer ce qui est ou non intelligent.
Mais quelle est la décision qu'il faut prendre par défaut (c'est-à-dire, sans être sûr)? Parce qu'il faut prendre une décision.
Si un personne te dit: "J'ai trouvé ce truc. Il répond au test de Turing? Je m'en fous : il est à moi, je vais le découper en morceau, malgré ses protestations", que faut-il faire? Par défaut, "fais comme tu veux", ou par défaut, "fous lui la paix."?
Oncle Joe

Lem

Message par Lem » ven. nov. 20, 2009 3:18 pm

Une expérience frappante en relisant les pages récentes de ce fil : on est régulièrement mis en demeure de préciser le vocabulaire pour vérifier qu'on parle bien de la même chose. "Métaphysique", "matière", "fait", "intelligence", etc. C'est fatiguant mais sans doute inévitable.

Oncle, le réalisme physique est en effet ce qui ressemble le plus à ta position mais il faut garder en tête une chose : il s'agit d'un choix, d'une interprétation de ce sur quoi porte la physique et pas du tout d'une position d'autorité qui serait plus rationnelle ou assurée de son objet que les autres. J'accorde le plus grand respect à la méthode scientifique et aux données de l'expérience, comme tout le monde ici. Quant à savoir ce que disent ces données sur la nature profonde du réel, c'est une autre affaire.

Est-ce qu'on essaye d'avancer sur la question des dieux ? Ou bien le sujet provoque des réactions tellement épidermiques qu'il vaut mieux passer à autre chose ? Roland ayant finement essayé de me faire dire que je considérais Dieu et les ovnis comme un fait, je reprécise que mon point de départ n'est pas un subtext hétéroclite que je serais en train d'essayer de fourguer sous couvert de critique, mais une observation : il y a là quelque chose d'apparemment spécifique à la scienc-fiction. Oncle objecte que cette observation est, en quelque sorte, erronnée. Que l'objet que je crois voir n'est pas là. Ou encore : que la naturalisation de cet objet par la sf modifie tellement sa position dans l'échelle des êtres que continuer d'en parler comme d'un dieu n'a plus de sens :
Lensman a écrit :Pour moi, ce ne sont pas des "dieux plausibles scientifiquement", mais des hommes ou des extraterrestres, ou tout autre créature naturelle ou artificielle, auxquels on prête des attributs
Et il ajoute :
Lensman a écrit :Puisque on veut être précis, appelons un dieu, un dieu. quand on dit "les dieux du stades", en parlant de sportifs, ce ne sont pas des dieux, le "dieu du bricolage", pour Leroy-Merlin, ce n'est pas une entreprise divine, et "les hommes-dieux" de Farmer, ce ne sont pas des dieux. Ce sont des métaphores. Elles sont employées partout, massivement, dans tous les domaines.
Mais justement : les métaphores font l'objet d'un traitement très particulier dans la science-fiction (d'où une part du malentendu littéraire sur la sf comme texte). Elles sont réifiées. Elles cessent d'être des images poétiques insubstantielles pour devenir des réalités concrètes et le changement de régime cognitif qui se produit à ce moment-là est une des sources du sense of wonder. Quand je dis, au sortir d'une mauvaise passe quelconque de mon existence, que je suis "démoli", c'est une métaphore. Quand Bester écrit L'homme démoli, il met en scène une réalité concrète. Ben Reich est réellement démoli, pièce par pièce ; son psychisme est démantelé jusqu'au noyau central et c'est typiquement un de ces grands spectacles cognitifs à effets spéciaux qui n'appartiennent qu'à la sf.

Autre exemple classique : la machine à explorer le temps. On peut employer cette expression pour désigner métaphoriquement la propriété qu'ont certains objets/lieux/circonstances/ce que vous voudrez de nous arracher au présent, de nous plonger dans une méditation sur le passé ou l'avenir, notre mémoire personnelle, que sais-je encore. Une madeleine renvoie à l'enfance ; un château nous ramène en plein moyen-âge ; le pas de tir de Cap Canaveral nous fait rêver à la future conquête du système solaire, peu importe. Dans un roman de sf, on explore réellement le temps, on fait le voyage concret et c'est bien ce qui nous émerveille : qu'une rêverie soit traitée, le temps d'un texte, comme une possibilité réelle, non métaphorique.

Si "les dieux" sont dans notre monde une métaphore, il n'y a aucune raison qu'ils échappent à ce processus de réification. Leur pouvoir d'émerveillement n'est pas annulé par la naturalisation mais rétabli (c'est du moins mon hypothèse). Leur soumission aux lois de la physique n'est pas un abaissement mais, au contraire, une sorte de sauvetage in extremis, une manière de dire : dans telle et telle circonstance, le monde tel que nous le connaissons pourrait effectivement produire des êtres dotés des attributs classiques de la divinité. Qu'est-ce qui est valorisé dans cette opération ? L'autorité de la physique ou la permanence du désir humain de voisiner avec des êtres qui l'excèdent ? J'aurais tendance à dire : les deux.

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Lensman
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Message par Lensman » ven. nov. 20, 2009 3:36 pm

Lem a écrit : Leur pouvoir d'émerveillement n'est pas annulé par la naturalisation mais rétabli (c'est du moins mon hypothèse). Leur soumission aux lois de la physique n'est pas un abaissement mais, au contraire, une sorte de sauvetage in extremis, une manière de dire : dans telle et telle circonstance, le monde tel que nous le connaissons pourrait effectivement produire des êtres dotés des attributs classiques de la divinité. Qu'est-ce qui est valorisé dans cette opération ? L'autorité de la physique ou la permanence du désir humain de voisiner avec des êtres qui l'excèdent ? J'aurais tendance à dire : les deux.
C'est là où nous nous différencions sur l'appréciation et l'interprétation : pour moi, justement, ça "abaisse" (je n'aime pas trop le mot), plutôt, ça montre la vanité de l'idée d'une divinité. Et je suis persuadé que pas mal d'écrivains de SF (notamment américains, et c'est peut-être lié à leur culture religieuse, différente de la nôtre) utilisent la SF pour régler leur compte avec le Dieu de leur enfance (le cas de Farmer). Il serait intéressant de regarder de plus près d'autres exemples que Farmer. Je pense que pour pas mal d'auteurs américains, la notion de Dieu est beaucoup plus présente, je dirais presque plus "concrète" que pour nous, avec un Dieu qui intervient directement dans les affaires des hommes, notion dont nous nous sommes très fortement éloignés, dans le vieux Monde.
Oncle Joe

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Erion
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Message par Erion » ven. nov. 20, 2009 3:56 pm

Critiques de Félix Chantrel dans les "Annales Catholiques" du 20 janvier 1877 :
"Quelle est la morale et la religion des personnages que met en scène M. Jules Verne ? Lisez et vous verrez que leurs principes sont ceux d'un rationaliste, leur morale et leur religion purement naturelles. Les uns sont vertueux, mais d'une vertu d'honnête homme, et ils reçoivent en récompense, un bonheur naturel plus ou moins grand. D'autres sont vicieux ou pervers ; mais leurs crimes ne sont jamais flêtris qu'au nom de la raison, et leur châtiment consiste dans l'insuccès de leurs entreprises, ou dans quelque malheur temporel. Jamais il n'est question des récompenses et des châtiments de l'autre vie"

"Les héros de Jules Verne, se trouvent sans cesse dans les périls les plus imminents, sans songer un instant à invoquer le secours de Dieu. Ils n'attendent leur salut que des ressources de leur génie. C'est à peine si dans un volume entier, on rencontre deux ou trois fois le nom de la providence. L'homme, par son énergie personnelle, y supplée dans la plupart des cas."

"Nous croyons pouvoir conclure de tout ce qui précède, que les livres de Jules Verne ne sont pas de ceux que l'on peut mettre sans défiance entre les mains des jeunes gens, et, pour notre part, nous leur préférerions même des romans, pourvu qu'ils soient honnêtes et religieux !"

"Nous avons des ouvrages bien autrement utiles et tout aussi instructifs à faire lire à nos élèves."
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
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Lem

Message par Lem » ven. nov. 20, 2009 4:01 pm

Lensman a écrit :C'est là où nous nous différencions sur l'appréciation et l'interprétation
Aucun problème, Oncle. On apprécie, on interprète, exactement comme on le souhaite du moment qu'on respecte les données de l'observation.
La question est : sommes-nous d'accord sur le fait qu'il y a des données ? Le monopole de la sf sur la métaphysique et les dieux est-il une observation fiable ? On peut répondre oui sans souscrire à une interprétation particulière du phénomène.
On peut répondre non, aussi. Mais alors, il faut reprendre la liste de faits que j'ai donnée plus haut et la réfuter point par point.

Lem

Message par Lem » ven. nov. 20, 2009 4:18 pm

Erion >
Eh bien quoi ? En 1877, Dieu n'était pas encore mort. Victor Hugo écrivait La légende des siècles. La littérature s'occupait encore de métaphysique. Et la science-fiction n'existait pas.

(Edité : par ailleurs "la métaphysique, Dieu ou les dieux" n'est pas le sujet de ton Félix Chantrel mais les intérêts de l'église catholique, ce qui est très différent.)
Modifié en dernier par Lem le ven. nov. 20, 2009 5:32 pm, modifié 1 fois.

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Sand
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Message par Sand » ven. nov. 20, 2009 4:38 pm

Lem a écrit : Le monopole de la sf sur la métaphysique et les dieux est-il une observation fiable ? On peut répondre oui sans souscrire à une interprétation particulière du phénomène.
On peut répondre non, aussi. Mais alors, il faut reprendre la liste de faits que j'ai donnée plus haut et la réfuter point par point.
et la fantasy ?

pour le coup, voilà bien quelque chose qui abonde en dieux divers et variés, et n'est pas du tout rejeté.

Et les mangas ?

ok, les mangas c'est particulier, il y a à boire et à manger pour absolument tout le monde, tous les styles existent, y compris la SF, mais c'est aussi truffé de dieux, d'esprits, et extrêmement populaires, sous plein de formes différentes.

Que penser du célébrissime Princesse Mononoke ? On n'est pas du tout du tout dans la SF, là.

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MF
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Message par MF » ven. nov. 20, 2009 4:51 pm

Sand a écrit :et la fantasy ?
C'est pas la partie métaphysique de la SF ?

Docteur SFet Mister Fantasy
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » ven. nov. 20, 2009 4:57 pm

Quand j'ai écrit la vie, je n'ai pas écrit le vivant.
Mettons que j'ai écrit l'existence.
Si un ou des robots se démerdent pour exister/subsister pendant un million d'années tout en évoluant comme font les cultures humaines, ils manifesteront peut-être une forme d'intelligence. Peut-être aussi de l'ordre de celle de la fourmilière qui existe depuis au moins cent millions d'années. Mais elle ne change pas beaucoup.
Ce n'est pas demain la veille.

Sur ce thème de l'intelligence et de l'IA, j'ai toute une bibliothèque de philosophes qui ont très bien déblayé le terrain et en profondeur. Peut-être faudrait-il commencer par lire Searle, Fodor, Penrose et quelques autres, ce que je fis.
La célèbre métaphore de la chambre qui répondait en chinois, de Searle je crois, est de la pure science-fiction.
À défaut, vous me fatiguez en réinventant l'eau tiède.

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marypop
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Message par marypop » ven. nov. 20, 2009 5:00 pm

Lensman a écrit :
marypop a écrit : D'où forcément l'inadéquation du test de Turing à déterminer ce qui est ou non intelligent.
Mais quelle est la décision qu'il faut prendre par défaut (c'est-à-dire, sans être sûr)? Parce qu'il faut prendre une décision.
Si un personne te dit: "J'ai trouvé ce truc. Il répond au test de Turing? Je m'en fous : il est à moi, je vais le découper en morceau, malgré ses protestations", que faut-il faire? Par défaut, "fais comme tu veux", ou par défaut, "fous lui la paix."?
Oncle Joe
D'un point de vue personnel et science fictif, j'ai tendance à choisir la réponse D "on lui fout la paix".
D'un point de vue humain historique ethnologique, je dirais que par défaut on considère qu'il n'a pas d'âme et on le tue d'abord on vole ses trésors ensuite, en se faisant passer pour les civilisés. Mais ça c'est parce que nous sommes de cette chouette espèce humaine

Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » ven. nov. 20, 2009 5:04 pm

marypop a écrit :
Lensman a écrit :
marypop a écrit : D'où forcément l'inadéquation du test de Turing à déterminer ce qui est ou non intelligent.
Mais quelle est la décision qu'il faut prendre par défaut (c'est-à-dire, sans être sûr)? Parce qu'il faut prendre une décision.
Si un personne te dit: "J'ai trouvé ce truc. Il répond au test de Turing? Je m'en fous : il est à moi, je vais le découper en morceau, malgré ses protestations", que faut-il faire? Par défaut, "fais comme tu veux", ou par défaut, "fous lui la paix."?
Oncle Joe
D'un point de vue personnel et science fictif, j'ai tendance à choisir la réponse D "on lui fout la paix".
D'un point de vue humain historique ethnologique, je dirais que par défaut on considère qu'il n'a pas d'âme et on le tue d'abord on vole ses trésors ensuite, en se faisant passer pour les civilisés. Mais ça c'est parce que nous sommes de cette chouette espèce humaine
La question de Lensman est proprement métaphysique. Y a pas de doute. Oncle Joe apprend et progresse. On va peut-être bientôt pouvoir le créditer d'une intelligence.
J'en parle à ceux qui règnent sur le SEVAGRAMME.

Lem

Message par Lem » ven. nov. 20, 2009 5:09 pm

Sand a écrit :et la fantasy ?
Je t'avoue que je n'y ai pas vraiment réfléchi. Je n'ai lu que les über-classiques, pratiquement rien de la production actuelle. Je dirais sans doute des choses erronnées.
Dans la mesure où les mondes de fantasy partent du principe que la surnature (= magie) existe et qu'elle surplombe ou englobe le monde physique, il me semble qu'on n'est pas dans le même registre que la sf. Les dieux de la fantasy n'essaient pas d'être compatibles avec le monde tel qu'on le connaît ; ils poursuivent leur existence dans le même monde que celui qui leur a donné naissance. J'imagine qu'il y a de multiples passerelles raffinées et graduées entre les deux univers et des cas indécidables, comme toujours – mais mon propos n'est pas d'étudier des subdivisions hyperfines ; plutôt d'établir une caractéristique de fond dans un domaine relativement précis.
Quand tu écris par ailleurs que la fantasy n'est
pas du tout rejetée
il faudrait s'entendre sur ce que ça veut dire. Le marché est plus grand mais du point de vue de la réception littéraire et culture, la situation est-elle meilleure que celle de la sf ?

Quant aux mangas, je ne suis pas sûr de comprendre la question. Je n'y connais pas grand-chose mais il me semblait que c'était un support de l'expression, comme la bande-dessinée, pas un genre. N'y a-t-il pas des mangas sf, polars, fantastiques romance et autres ?

JDB
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Message par JDB » ven. nov. 20, 2009 5:11 pm

Erion a écrit :Critiques de Félix Chantrel dans les "Annales Catholiques" du 20 janvier 1877 :
"Quelle est la morale et la religion des personnages que met en scène M. Jules Verne ? Lisez et vous verrez que leurs principes sont ceux d'un rationaliste, leur morale et leur religion purement naturelles. Les uns sont vertueux, mais d'une vertu d'honnête homme, et ils reçoivent en récompense, un bonheur naturel plus ou moins grand. D'autres sont vicieux ou pervers ; mais leurs crimes ne sont jamais flêtris qu'au nom de la raison, et leur châtiment consiste dans l'insuccès de leurs entreprises, ou dans quelque malheur temporel. Jamais il n'est question des récompenses et des châtiments de l'autre vie"

"Les héros de Jules Verne, se trouvent sans cesse dans les périls les plus imminents, sans songer un instant à invoquer le secours de Dieu. Ils n'attendent leur salut que des ressources de leur génie. C'est à peine si dans un volume entier, on rencontre deux ou trois fois le nom de la providence. L'homme, par son énergie personnelle, y supplée dans la plupart des cas."

"Nous croyons pouvoir conclure de tout ce qui précède, que les livres de Jules Verne ne sont pas de ceux que l'on peut mettre sans défiance entre les mains des jeunes gens, et, pour notre part, nous leur préférerions même des romans, pourvu qu'ils soient honnêtes et religieux !"

"Nous avons des ouvrages bien autrement utiles et tout aussi instructifs à faire lire à nos élèves."
Permettez-moi d'opérer un rapprochement avec ceci, que j'ai découvert ce matin via un bloc américain sur la BD.
Dieu n'est pas mort pour tout le monde.
Je vous laisse à votre débat, tout en regrettant qu'il n'existe pas de traducteur pouvant servir de relais entre le lemien et l'onclejoeais -- car vous ne parlez vraiment pas le même langage.
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Message par systar » ven. nov. 20, 2009 5:15 pm

Gérard Klein a écrit : Sur la question des réponses universelles que la science apporterait demain ou après, je me trouve, exceptionnellement, en désaccord avec Bull. La science, ou les sciences, peut répondre à une petite partie, au demeurant intéressante, des questions que se posent les humains. Mais pas au reste.
Comme le savent les philosophes, ou comme ils le prétendent, elle ne peut et ne pourra jamais, parce que ce n'est pas son objet, répondre à la question simple: que dois-je faire? Ou encore, j'aime cette femme. Ai-je raison? Ou encore, je vote pour ce candidat à une élection. Est-ce le bon choix?
Curieusement, sur ce dernier point, la science mathématique peut apporter un éclairage sérieux depuis Condorcet sur les meilleures façons de faire prédominer un choix collectif mais elle ne dira rien sur l'orientation de ce choix sauf à se prétendre capable, ce qui fut le cas du "socialisme scientifique", d'en calculer les conséquences jusqu'à la fin des temps.
Michel Bitbol, en accord avec Dieu a écrit : Les individus et les groupes sociaux n'ont dès lors plus d'échappatoire face à l'extension constante de leurs responsabilités. Longtemps affermis par la mise en regard d'un cosmos intangible, c'est à eux dorénavant d'affermir en retour, par leurs choix cohérents, l'univers des foyers régulateurs de leur activité.
Il y a là comme une ironie de l'histoire. Car après tout, les sciences ont d'abord dû "(...) conquérir l'objectivité de (leurs) énoncés contre la pression et la séduction des intérêts particuliers" (Habermas); elles se sont construites dans une lutte constante pour faire reconnaître à leurs jugements une autonomie absolue vis-à-vis des jugements de valeur; elles ont adossé leur progression sur un bannissement des valeurs au risque, souvent dénoncé par Schrödinger, de promouvoir un tableau du monde d'où le sens de notre vie, notre but et notre destin se sont absentés. En contrepartie, les sciences promettaient l'accès à un sol ferme de réalité légalement pré-structurée qui constituerait d'abord un îlot d'absolu face au soupçon de la relativité des valeurs, avant de pouvoir peut-être prétendre fonder jusqu'aux jugements éthiques et esthétiques. Et voilà que ce sol ferme, après avoir vacillé dans un changement de paradigme, se découvre soumis aux mêmes équilibres précaires de transcendance fonctionnelle et d'immanence effective, d'univocité de principe et d'historicité de fait, de normativité et de créativité, que les valeurs écartées.
Les sciences ne sont en fin de compte ni un simple moyen pour la satisfaction de valeurs et de fins sociales qui leur échappent, comme le laisse entendre l'instrumentalisme, ni un refuge contre l'instabilité des valeurs, comme l'a rêvé un certain réalisme, ni un révélateur du fondement des jugements subjectifs et collectifs, comme voudraient le faire croire de récents courants réductionnistes. Elles participent, avec le reste des activités normatives humaines, et avec les mêmes enjeux et les mêmes risques qu'elles, à la formation de nos valeurs et de nos fins. Elles sont partie prenante de cette grande oeuvre d' "orientation radicale" (J. Ortega y Gasset) de l'homme sommé d'être et de faire, au creux d'un monde où rien ne va de soi

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Message par Atv' » ven. nov. 20, 2009 5:20 pm

Lensman a écrit :Si un personne te dit: "J'ai trouvé ce truc. Il répond au test de Turing? Je m'en fous : il est à moi, je vais le découper en morceau, malgré ses protestations", que faut-il faire? Par défaut, "fais comme tu veux", ou par défaut, "fous lui la paix."?
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