Du sense of wonder à la SF métaphysique

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MF
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Message par MF » dim. nov. 22, 2009 2:13 pm

Lem a écrit :Je suis assez déconcerté par l'impasse dans laquelle on est arrivé. D'un côté, Roland trouve que la présence des dieux dans la sf est un truisme (sans préjuger de leur interprétation). De l'autre, Oncle réfute que ce mot ait la moindre signification particulière. Ah bon. Quand des gens dont le métier est de manipuler le langage – des écrivains – emploient un terme aussi lourd, on peut vraiment douter que ça n'ait eu à leurs yeux aucune importance (mais je ne refais pas le débat).
Prenons un exemple simple : The three stigmata of Palmer Eldritch.

Pourquoi et comment passer, en France, d'un tel titre à Le dieu venu du Centaure ?
Alors que les stigmates en question ne sont pas des attributs divins.
La réponse, amha est : parce qu'on peut le faire.

En janvier 1973, nous avons (fait culturel) éliminé le droit divin et, partant, le droit du divin. Le divin devenait accessible, individuellement attaquable.
En prairial an II, nous instituions l'être suprême comme élément de religion naturelle et individuelle. Le divin devenait personnalisable.
En décembre 1905, nous séparions l'église et l'état, donnant à chacun le droit de refuser l'intrusion du divin dans son quotidien. Le divin devenait repoussable.

Nous avons donc la possibilité d'utiliser le divin et ses attributs comme éléments d'étude, de recherche, de questionnement... indépendamment du caractère "métaphysique" de ce sujet.

Ce que les anglo-saxons ne peuvent pas faire.

Les américains ne risquent pas d'imaginer un dieu venu du Centaure.
Dieu, ils l'ont dans leur portefeuille, sur les billets verts et les coins, au fronton des édifices publics, dans l'hymne national, dans la constitution.
Le pire que puisse faire un président des USA est de mentir, car c'est un parjure à son serment fait devant dieu.
Dieu ne peu pas être ou venir d'ailleurs. Il est là, au quotidien.
Et quand les auteurs imaginent des êtres dotés d'attributs divins, ils n'utilisent pas ce vocabulaire simple issu de l'histoire religieuse, mais créent des créatures dotés de pouvoir surhumains, les super-héros.
Superman serait-il né en France que ce serait sans doute le dieu venu de Krypton plutôt que Superman.

Quant à l'Angleterre (et plus généralement le Commonwealth) comment imaginer détourner pour un usage personnel les attributs du divin alors que le gouverneur suprême de l'église d'angleterre est aussi chef de l'état et que remettre en cause son governorat est, implicitement, remettre en cause son statut de souverain.

Gaiman donne une forme de lecture de ce qui est, ou pas, possible dans la littérature américaine dans American gods.
Et il me semble évident que ce qu'un auteur français de SF peut se permettre (ou un traducteur ou un éditeur), un auteur américain ne le peut pas.

Alors la fréquence de l'usage du mot "dieu" dans les titres français de SF relève pour moi de la simple différence culturelle. Rien de métaphysique là dedans.
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

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Message par MF » dim. nov. 22, 2009 2:26 pm

Lem a écrit :– tournant linguistique (le monde est une question mal posée et, du coup, il ne reste que les mathématiques, seul langage rigoureux)
– physique quantique (le monde n'est pas une question scientifique ; tout ce qu'on peut faire, c'est des prédictions sur le comportement des instruments => réhabilitation paradoxale de la métaphysique dont on commence à peine à percevoir les effets aujourd'hui)

La SF est née entre le tournant linguistique et la physique quantique. Questions visant à informer un débat futur : qu'a-t-elle embarqué des formes de pensée antérieures, qu'a-t-elle pressenti des formes de pensée futures ?
1°) je ne sais pas si tu imagines une datation de ces deux "tournants" ?
Sont-ils universels ? En particulier, le "tournant linguistique" me semble être un fait culturel très français (la rigueur du langage mathématique via bourbaki)

2°) il me semble que ton affirmation relative à la physique quantique est extrêmement réductrice.
Je l'aurai inversée : le monde est une question scientifique, puisque composé d'observateurs agissant sur le monde en question.
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » dim. nov. 22, 2009 3:04 pm

Y a pas un bouquin d'Asimov intitulé The Gods Themselves ?
« Regarde vers Lorient / Là tu trouveras la sagesse. » (Les Cravates à Pois)

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Message par systar » dim. nov. 22, 2009 3:56 pm

MF a écrit : En particulier, le "tournant linguistique" me semble être un fait culturel très français (la rigueur du langage mathématique via bourbaki)
Très anglo-saxon, plutôt.
L'héritage intellectuel du tournant linguistique, c'est la philo analytique, opposée souvent à la "continentale".
La philo analytique a quelques très puissants représentants en France (Collège de France, notamment, Bouveresse, Descombes...), mais elle ne s'est pas imposée dans les facs (ça viendra), et les étudiants de philo, souvent, n'apprécient pas ce mode de pensée.
Par contre, aux USA, ça fonctionne bien, je crois.
(en même temps, aux USA: tout semble bien fonctionner: Derrida y est un quasi best-seller... comme toute la French Theory, beaucoup plus appréciée là-bas que chez nous)
L'essentiel des oeuvres de philo analytiques sont écrites par des Anglais et des Américains, même si le geste de pensée est né avec Wittgenstein, et un peu avec le Cercle de Vienne.

Rigueur du langage mathématique, ou plutôt: rigueur de la logique des propositions soutenues.
Le modèle est plus les lois formelles de la pensée (= la logique) que les maths, lesquelles utilisent déjà les lois de la logique pour se déployer.

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Lensman
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Message par Lensman » dim. nov. 22, 2009 4:13 pm

systar a écrit :
Rigueur du langage mathématique, ou plutôt: rigueur de la logique des propositions soutenues.
Le modèle est plus les lois formelles de la pensée (= la logique) que les maths, lesquelles utilisent déjà les lois de la logique pour se déployer.
Tiens, ça me fait penser que dans les tartes à la crème de l'angoisse pseudo-métaphysique (un nouveau concept que je lance, à tout hasard...), en plus de la mécanique quantique, on n'a pas assez parlé du théorème de Gödel…
Oncle Joe

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Message par systar » dim. nov. 22, 2009 4:50 pm

Lensman a écrit : l'angoisse pseudo-métaphysique (un nouveau concept que je lance, à tout hasard...)
Quel que soit le degré de sérieux, de clarté, de l'objet sur lequel porte une telle angoisse, elle n'en sera pas moins réelle...
Si c'est de perdre pied qu'il s'agit, de l'impression qu'un sol se dérobe sous nos pieds (sensation de "vertige"), même Gödel ça peut fonctionner sans problème!
(et les dieux, et l'immense, et les ovnis...)

tiens, page 140 d'Encre : une ville universelle, avec un million d'arrondissements...
En voilà, un autre vertige!

Lem

Message par Lem » dim. nov. 22, 2009 4:56 pm

Roland >
Plutôt qu'une cause du déni de la science-fiction, j'y verrais plutôt une raison de son succès : Planète a sans doute fait autant pour faire connaître la SF au grand public que Fiction et Galaxie réunis.
Tu opposes le déni (intellectuel et culturel) au succès (éditorial et commercial) alors qu'ils sont liés. Comme tu l'écris, "Planète a sans doute fait autant pour faire connaître la SF au grand public que Fiction et Galaxie réunis" et c'est bien l'une des raisons du déni.

Et "non" ne suffit pas comme réponse. L'idée ci-dessus s'oppose frontalement à celle, exprimée dans Bifrost, selon laquelle la sf a été rejetée parce qu'elle n'apportait pas de réponses métaphysiques.

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Message par MF » dim. nov. 22, 2009 5:03 pm

Roland C. Wagner a écrit :Y a pas un bouquin d'Asimov intitulé The Gods Themselves ?
C'est pas une impossibilité (surtout chez un auteur aussi prolifique qu'Asimov), simplement une différence de fréquence.
Lem s'étonne de proportion importante d'usage du mot dieu dans les titres SF Français. Pour moi, ça n'a rien de surprenant.
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

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Message par Eons » dim. nov. 22, 2009 5:08 pm

Roland C. Wagner a écrit :Y a pas un bouquin d'Asimov intitulé The Gods Themselves ?
Oui, mais ce titre n'est qu'un extrait d'une citation de Goethe : « Contre la stupidité, les dieux eux-mêmes ne peuvent rien. »
Les beaux livres, c’est aussi par ici : www.eons.fr

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Message par Eons » dim. nov. 22, 2009 5:10 pm

MF a écrit :En janvier 1793, nous avons (fait culturel) éliminé le droit divin et, partant, le droit du divin. Le divin devenait accessible, individuellement attaquable.
En prairial an II, nous instituions l'être suprême comme élément de religion naturelle et individuelle. Le divin devenait personnalisable.
En décembre 1905, nous séparions l'église et l'état, donnant à chacun le droit de refuser l'intrusion du divin dans son quotidien. Le divin devenait repoussable.
Et depuis, le ver divin est dans le fruit (de la vigne). :lol:
Les beaux livres, c’est aussi par ici : www.eons.fr

Lem

Message par Lem » dim. nov. 22, 2009 5:21 pm

MF a écrit :
Lem a écrit :La SF est née entre le tournant linguistique et la physique quantique. Questions visant à informer un débat futur : qu'a-t-elle embarqué des formes de pensée antérieures, qu'a-t-elle pressenti des formes de pensée futures ?
1°) je ne sais pas si tu imagines une datation de ces deux "tournants" ?
Wittgenstein : 1921 / interprétation de Copenhague circa 1930.
Sont-ils universels ? En particulier, le "tournant linguistique" me semble être un fait culturel très français (la rigueur du langage mathématique via bourbaki)
Systar a répondu : ce n'est pas spécifiquement français et même plutôt anglosaxon.
Et – oui, ces tournants sont universels si tu entends par là : universellement reconnus comme des faits structurants de l'histoire des sciences et des idées au XXème siècle.
2°) il me semble que ton affirmation relative à la physique quantique est extrêmement réductrice.
Je n'en suis pas l'auteur : c'est la substance de l'interprétation de Copenhague, la plus prudente de toutes. Et c'est délibérément que je l'utilise – pour me servir de garde-fou et éviter d'embarquer tout arrière-plan métaphysique. Quand tu écris :
Je l'aurais inversée : le monde est une question scientifique, puisque composé d'observateurs agissant sur le monde en question.
tu prends déjà parti. Comme le dit l'article Wikipédia : "Il existe de nombreuses interprétations des effets de la mécanique quantique, certaines étant en contradiction totale avec d'autres. Faute de conséquences observables de ces interprétations, il n'est pas possible de trancher en faveur de l'une ou de l'autre de ces interprétations. Seule exception, l'école de Copenhague dont le principe est justement de refuser toute interprétation des phénomènes."

Lem

Message par Lem » dim. nov. 22, 2009 5:23 pm

MF a écrit :Lem s'étonne de proportion importante d'usage du mot dieu dans les titres SF Français. Pour moi, ça n'a rien de surprenant.
Heu, non, pas du tout, Roland a raison. Les titres cités n'étaient en rien spécifiquement français (j'ai d'ailleurs évité de citer le Dick justement parce que je connaissais son titre anglais). La liste est indifférenciée et la remarque dans Clute et Nicholls s'applique à toute la sf.

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Message par Fabien Lyraud » dim. nov. 22, 2009 5:26 pm

L'héritage intellectuel du tournant linguistique, c'est la philo analytique, opposée souvent à la "continentale".
Hin ! C'est pas la plutôt la sémiotique (Greimas, Courtés, Fontanille) qui est l'héritière du "tournant linguistique". Et bien sûr le structuralisme qui est passé de la linguistique à l'anthropologie, à l'histoire, à la sociologie. Je connais pas la philosophie analytique. C'est une philosophie structuraliste ?
Bienvenu chez Pulp Factory :
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Message par systar » dim. nov. 22, 2009 5:29 pm

Petit intermède esthétique dans nos discussions: un peu de vertige, de réification d'idée, de démesure, et de métaphysique:
Qui sait si le temps n'est pas comme le monde, avec une peau de terre composée du sang et des cendres de nos personnalités plus anciennes, un monde d'Adam façonnés dans l'argile et qui s'y décomposent de nouveau? Les briques dont nous sommes faits finissent par se craqueler et tomber en poussière; au bout d'un moment, c'est tout le mur qui s'écroule, puis la poussière ensevelit les décombres, prête à recevoir la prochaine strate de constructions. Beaucoup plus bas, il y a la roche mère, qui donne sa stabilité apparente à l'ensemble, mais encore plus bas, loin, très loin sous la croûte d'un million d'éons, d'un million d'univers, subsiste encore ce noyau de chaos en fusion au coeur de toute chose.
Ne sommes-nous pas typiquement en présence de métaphysique, susceptible d'être rejetée en bloc par nos prétendus esprit sérieux?
(j'ai un autre exemple en tête, que je citerai quand l'entretien en question aura paru...)

(la citation: Hal Duncan, Encre, p. 253)

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Message par Lensman » dim. nov. 22, 2009 5:36 pm

systar a écrit :
Lensman a écrit : l'angoisse pseudo-métaphysique (un nouveau concept que je lance, à tout hasard...)
Quel que soit le degré de sérieux, de clarté, de l'objet sur lequel porte une telle angoisse, elle n'en sera pas moins réelle...
Si c'est de perdre pied qu'il s'agit, de l'impression qu'un sol se dérobe sous nos pieds (sensation de "vertige"), même Gödel ça peut fonctionner sans problème!
(et les dieux, et l'immense, et les ovnis...)

tiens, page 140 d'Encre : une ville universelle, avec un million d'arrondissements...
En voilà, un autre vertige!
Ai-je dis que l'angoisse n'est pas ressentie?
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