Du sense of wonder à la SF métaphysique

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Le_navire
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Message par Le_navire » mar. nov. 24, 2009 1:17 am

Lem a écrit :Pour faire suite au post de Fabien, j'aimerais bien que Navire revienne plus en détails sur son expérience de l'Oulipo et les réactions réfractaires au jeu comme programme littéraire. Sur ce dernier point, en particulier, j'ai sans doute beaucoup à apprendre car, c'est vrai, j'ai plutôt une perception non-problématique du groupe. Or, il y a un lien bien réel entre l'Oulipo et la sf dans l'histoire littéraire française. Je serais curieux d'en savoir plus.
Je ne peux pas te faire une analyse factuelle, d'abord parce que j'étais encore gamine, et que ce que j'en sais tient autant à des débats auxquels j'ai assisté adolescente qu'a mes conversations de jeune adulte avec Strenberg quand on a eu l'occasion d'en parler.

Ce à quoi j'ai assisté, je le dois simplement au fait que mon histoire perso est liée à celle du Moulin d'Andé, un lieu qui fut un peu mythique (on y a tourné de grands films comme Jules et Jim ou le Démon dans l'Ile) et qui dans les années 60 et 70 fut une sorte de résidence secondaire pour intellectuels. Georges y venait parfois et donc on parlait beaucoup, dans ce microcosme de la rive gauche transposé à la campagne pour le week-end, de son boulot et de l'Oulipo. Des conversations récurrentes dont je ne peux, trente ans après que me souvenir de la moelle, j'en ai perdu la chair depuis des lustres. En gros, ce dont je me souviens, c'est surtout de l'idée répandue que l'Oulipo, c'était plus un truc pour adeptes des mots croisés et des contrepétries, que c'était rigolo mais pas de la littérature, que c'était vain parce que, contrairement au surréalisme, l'Oulipo n'interrogeait pas la société et se contentait d'être un jeu pour intellos destiné à reposer les neurones avant de passer aux choses sérieuses, à savoir la littérature (de préférence d'ailleurs, la littérature politique, l'époque le voulait encore) et je me souviens aussi que par contre on finissait invariablement sur des mots gentils pour Georges et sur le fait qu'on l'avait vu (ou pas vu) récemment. Après sa mort, bizarrement, les conversations ont cessé sur l'Oulipo, mais mon impression de l'époque (elle vaut ce qu'elle vaut) c'est que c'était surtout par respect pour la mémoire de Georges.

Quand j'en ai parlé plus tard avec Jacques, j'avais 19 ans, on parlait déjà d'une littérature qui s'enfonçait dans l'égotisme, et l'Oulipo avait gagné ses galons. Quand Jacques est revenu sur les débuts, il m'a surtout parlé des engueulades, du mépris affiché de toute une partie du milieu, dont en gros l'argument principal était "L'Oulipo, c'est des mecs qui veulent péter aussi haut que les surréalistes mais qui n'ont rien à dire, ils se contentent de faire mumuse " (comme quoi, ça recoupait mes souvenir d'ado...) Sur la situation de l'époque, il disait surtout que toute la reconnaissance du mouvement tournait autour du succès de Georges, mais que le reste était finalement mal connu et peu apprécié.

Voilà. Des souvenirs qui se recoupent (mais ce ne sont que des souvenirs...)

D'où mon réflexe de rapprocher ça avec le discours de ce même milieu sur la SF (mais Gérard aura sûrement plus à dire là-dessus, à moins qu'on ait été poli avec lui aussi à l'époque, on était beaucoup au fleuret plutôt qu'à pointe franche) à savoir que le fait de devoir inventer un autre monde (associé au mythes et aux contes pour enfants) pour traiter des problèmes de l'humanité était à la fois une preuve d'immaturité et un exercice sans intérêt...

(Après, on se demande pourquoi j'ai plongé dans la SF des deux pieds...^^)
"Ils ne sont grands que parce que vous êtes à genoux"

Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » mar. nov. 24, 2009 2:59 am

J'aime
systar a écrit :les filles aux cheveux d'argent immortelles aux yeux verts qui se trempent les cheveux dans le fleuve où coule l'âme de leur bien-aimé mort
mais hélas, je ne suis pas assez mort pour leur plaire.
Mon immortalité est provisoire.

Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » mar. nov. 24, 2009 3:18 am

Le_navire a écrit :
Lem a écrit :Pour faire suite au post de Fabien, j'aimerais bien que Navire revienne plus en détails sur son expérience de l'Oulipo et les réactions réfractaires au jeu comme programme littéraire. Sur ce dernier point, en particulier, j'ai sans doute beaucoup à apprendre car, c'est vrai, j'ai plutôt une perception non-problématique du groupe. Or, il y a un lien bien réel entre l'Oulipo et la sf dans l'histoire littéraire française. Je serais curieux d'en savoir plus.
Je ne peux pas te faire une analyse factuelle, d'abord parce que j'étais encore gamine, et que ce que j'en sais tient autant à des débats auxquels j'ai assisté adolescente qu'a mes conversations de jeune adulte avec Strenberg quand on a eu l'occasion d'en parler.

Ce à quoi j'ai assisté, je le dois simplement au fait que mon histoire perso est liée à celle du Moulin d'Andé, un lieu qui fut un peu mythique (on y a tourné de grands films comme Jules et Jim ou le Démon dans l'Ile) et qui dans les années 60 et 70 fut une sorte de résidence secondaire pour intellectuels. Georges y venait parfois et donc on parlait beaucoup, dans ce microcosme de la rive gauche transposé à la campagne pour le week-end, de son boulot et de l'Oulipo. Des conversations récurrentes dont je ne peux, trente ans après que me souvenir de la moelle, j'en ai perdu la chair depuis des lustres. En gros, ce dont je me souviens, c'est surtout de l'idée répandue que l'Oulipo, c'était plus un truc pour adeptes des mots croisés et des contrepétries, que c'était rigolo mais pas de la littérature, que c'était vain parce que, contrairement au surréalisme, l'Oulipo n'interrogeait pas la société et se contentait d'être un jeu pour intellos destiné à reposer les neurones avant de passer aux choses sérieuses, à savoir la littérature (de préférence d'ailleurs, la littérature politique, l'époque le voulait encore) et je me souviens aussi que par contre on finissait invariablement sur des mots gentils pour Georges et sur le fait qu'on l'avait vu (ou pas vu) récemment. Après sa mort, bizarrement, les conversations ont cessé sur l'Oulipo, mais mon impression de l'époque (elle vaut ce qu'elle vaut) c'est que c'était surtout par respect pour la mémoire de Georges.

Quand j'en ai parlé plus tard avec Jacques, j'avais 19 ans, on parlait déjà d'une littérature qui s'enfonçait dans l'égotisme, et l'Oulipo avait gagné ses galons. Quand Jacques est revenu sur les débuts, il m'a surtout parlé des engueulades, du mépris affiché de toute une partie du milieu, dont en gros l'argument principal était "L'Oulipo, c'est des mecs qui veulent péter aussi haut que les surréalistes mais qui n'ont rien à dire, ils se contentent de faire mumuse " (comme quoi, ça recoupait mes souvenir d'ado...) Sur la situation de l'époque, il disait surtout que toute la reconnaissance du mouvement tournait autour du succès de Georges, mais que le reste était finalement mal connu et peu apprécié.

Voilà. Des souvenirs qui se recoupent (mais ce ne sont que des souvenirs...)

D'où mon réflexe de rapprocher ça avec le discours de ce même milieu sur la SF (mais Gérard aura sûrement plus à dire là-dessus, à moins qu'on ait été poli avec lui aussi à l'époque, on était beaucoup au fleuret plutôt qu'à pointe franche) à savoir que le fait de devoir inventer un autre monde (associé au mythes et aux contes pour enfants) pour traiter des problèmes de l'humanité était à la fois une preuve d'immaturité et un exercice sans intérêt...

(Après, on se demande pourquoi j'ai plongé dans la SF des deux pieds...^^)
Je me souviens…

Bon. C'est compliqué. J'ai bien connu et fréquenté le Moulin d'Andé, mais plutôt pour des colloques économiques avec mes collègues de la SEDES.
J'y ai connu ou rencontré aussi un écrivain notable, qui y vivait, réputé surtout pour ses textes érotiques, dont le nom m'échappe, mais il a sa place dans ma bibliothèque (Michel Bernard?).
J'ai bien connu François Le Lionnais, un des fondateurs de l'Oulipo, accessoirement mathématicien, et je suis allé souvent dans son incroyable demeure de Boulogne. Il m'a donné ce conseil inoubliable: pour écrire, il faut se trouver une sinécure; vous avez du talent mais je ne peux pas vous en procurer une.
Il aimait beaucoup la science-fiction.
J'ai encore mieux connu Jacques Sternberg, pendant au moins quarante ans ou plutôt cinquante. Entre l'Oulipo et lui, rien ne passait.
Il n'aimait pas trop la science-fiction mais il connaissait et il en a écrit de la bonne.
J'ai un tout petit peu connu Pérec, ne serait-ce que parce qu'il venait assez souvent dîner au Buisson Ardent, en bas de chez moi.
Je crois que la science-fiction ne l'intéressait pas du tout.
Je n'ai personnellement jamais été convaincu, sauf intellectuellement, par les travaux de l'Oulipo même si j'en ai connu, plus ou moins bien, plusieurs membres actifs. C'est un peu comme la Pataphysique dont le seul intérêt à mes yeux est de précéder largement et de dominer les réflexions vaseuses de Derrida.

Accessoirement, je pense que personne n'a jamais survécu à l'imprudence de me présenter une pointe franche. Mais s'il y en a, je peux encore leur faire leur affaire.
Proprement et avec aussi peu de douleur qu'il me sera possible.
Non mais…
Mon immortalité est provisoire.

Matthieu
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Message par Matthieu » mar. nov. 24, 2009 3:58 am

Lem a écrit : Ne prends qu'un seul exemple : Egan.
L'auteur apparemment le plus athée, le plus rationaliste, le moins "sentimental".
De quoi parlent la plupart de ses textes ? Du fait que la technoscience, telle que nous la concevons aujourd'hui et pouvons l'entrevoir dans ses développements futurs nous permettra peut-être d'accéder à l'immortalité, de choisir librement les déterminations de notre moi, de nous affranchir du caractère temporellement limité du monde physique et même de savourer l'extase mystique sans aucun recours à la transcendance. Et que cette entreprise prométhéenne, si elle a lieu, ne constituera pas un sacrilège ni un blasphème – aucun Divin Retour de Bâton à redouter – mais une conquête de la rationalité.
Très bien.
Mais comment Egan a-t-il formulé ses "buts" ? D'où les tire-t-il ? Pourquoi les juge-t-il désirables au point de vouloir délivrer par anticipation l'être humain de la culpabilité qu'il éprouvera au moment de les mettre en œuvre ? Les a-t-il tirés de son chapeau comme ça, par une analyse froide du potentiel de la technoscience ? Tiens, c'est marrant… Si on prolonge tel et tel truc, on pourrait être immortel…
Ou bien sait-il que ces besoins/désirs nous gouvernent toujours ?
Le désir d'immortalité ne me semble pas être un objectif si important pour Egan. Même le milliardaire abject du "Réserviste" est motivé plus par le désir de se montrer que par la seule immortalité. Si Paul Durham, dans "La cité des permutants" promet à ses clients la vie éternelle, lui-même cherche surtout à mener à bien une expérience de plus dans sa quête de compréhension de la conscience.

Le principal moteur du héros éganien, c'est son identité. Yatima, dans Diapora, consacre son existence à l'étude des mathématiques afin de découvrir un "invariant" capable de le définir. Il ne se laisse distraire dans cette tâche que par de fâcheuses contingences matérielles, il est bien obligé de sauver le monde pour pouvoir continuer son étude.

Comprendre son identité ne suffit pas, le héros doit la maîtriser, la plier à sa volonté. Les modifications corporelles sont les plus faciles. Toucher à son esprit est plus délicat, mais reste indispensable pour atteindre l'idéal d'Egan. Pour cela, le plus simple est de disposer d'une molette permettant de régler à l'envie ses goûts. Sinon, vous trouverez le mod qu'il vous faut dans toute bonne boutique.

Cette importance de l'identité est dictée par la métaphysique qui sous-tend l'œuvre de Greg Egan : le réalisme modal de David Lewis et sa forme moderne exprimée par Max Tegmark. Pour Lewis, tous les mondes possibles existent, la seule chose qui donne à l'univers sa réalité est le fait que c'est notre monde. La version de Tegmark est d'affirmer que ces mondes possibles sont les objets mathématiques.

Dans ce cadre, l'importance de l'individu qui s'interroge sur lui-même et sur son environnement est primordiale. C'est lui qui donne au monde son aspect tangible, même si cette propriété n'est que subjective. C'est le rôle de l'observateur en physique quantique, qui n'a ici, avec l'interprétation d'Everett, plus rien de mystérieux.

Tout cela n'empêche pas les personnages d'Egan d'être profondément humains, d'être dirigés par leur sentiments, par les besoins et impératifs de leur espèce, par le filtre que rajoute leur culture. Leur volonté d'échapper à ces contraintes est vaine : "Orbites instables dans la sphère des illusions”.

Greg Egan lui-même ne peut pas échapper complètement à un système de valeur façonné par la religion. Cependant considérer (comme je l'ai lu ici) son œuvre comme avant tout religieuse est un non-sens. Son humanisme est bien plus proche de la philosophie de l'absurde d'Albert Camus.

Lem

Message par Lem » mar. nov. 24, 2009 5:35 am

A propos de ce que…
Fabien a écrit :On pourrait citer en exemple la phrase de Christopher Priest "il avait atteint l'âge de 10000 km" tout à fait au centre de ce dont je parle dans ce post.
… une remarque, un signalement, un étonnement qui n'ont pas grand chose à voir avec ce dont on parle ici mais sait-on jamais ? L'incipit de Priest est, à juste titre, l'un des plus fameux de l'histoire de la sf. Or, on en trouve une claire préfiguration dans une nouvelle de E. M. Forster datant de 1911, je crois, intitulée The other side of the hedge :
MY PEDOMETER TOLD me that I was twenty-five; and, though it is a shocking thing to stop walking, I was so tired that I sat down on a milestone to rest. People outstripped me, jeering as they did so, but I was too apathetic to feel resentful, and even when Miss Eliza Dimbleby, the great educationist, swept past, exhorting me to persevere, I only smiled and raised my hat.
At first I thought I was going to be like my brother, whom I had had to leave by the roadside a year or two round the corner. He had wasted his breath on singing, and his strength on helping others. But I had travelled more wisely, and now it was only the monotony of the highway that oppressed me—dust under foot and brown crackling hedges on either side, ever since I could remember.
J'ai lu ce texte il y a une dizaine d'années, dans un recueil intitulé La machine s'arrête (The machine stops). Très étrange expérience de lecture. Une sorte de mélange entre Retour à Howards End et Funnyway de Brussolo. Dans la traduction française (sur laquelle je n'arrive pas à remettre la main), il me semble que ça commençait comme ça : "Mon podomètre m'informa que j'avais atteint l'âge de vingt-cinq ans" mais je me trompe peut-être. Bref. Je signale la coïncidence pour les curieux, et aussi parce que je ne l'ai jamais vu rapprochée du début du Monde inverti.

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Transhumain
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Message par Transhumain » mar. nov. 24, 2009 10:12 am

Gérard Klein a écrit : Je n'ai personnellement jamais été convaincu, sauf intellectuellement, par les travaux de l'Oulipo même si j'en ai connu, plus ou moins bien, plusieurs membres actifs. C'est un peu comme la Pataphysique dont le seul intérêt à mes yeux est de précéder largement et de dominer les réflexions vaseuses de Derrida.
Ah. Queneau, c'est pourtant presque aussi génial que Roussel.
Et Derrida, vaseux ? Hum. Ca, ça ressemble à un beau petit troll.

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Message par Eons » mar. nov. 24, 2009 10:30 am

Lem a écrit :A propos de ce que…
Fabien a écrit :On pourrait citer en exemple la phrase de Christopher Priest "il avait atteint l'âge de 10000 km" tout à fait au centre de ce dont je parle dans ce post.
… une remarque, un signalement, un étonnement qui n'ont pas grand chose à voir avec ce dont on parle ici mais sait-on jamais ? L'incipit de Priest est, à juste titre, l'un des plus fameux de l'histoire de la sf.
Et qui est en fait « ... l'âge de mille kilomètres. » et pas dix fois plus. :wink:
Les beaux livres, c’est aussi par ici : www.eons.fr

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Message par jlavadou » mar. nov. 24, 2009 12:24 pm

Fabien Lyraud a écrit :On demande au lecteur de gober des éléments qui n'ont pas de référents dans la réalité consensuelle, et pire des éléments qu'il ne pourra comprendre que s'il poursuit plus loin sa lecture. On pourrait citer en exemple la phrase de Christopher Priest "il avait atteint l'âge de 10000 km" tout à fait au centre de ce dont je parle dans ce post.
Pas d'accord. On pourrait très bien trouver cette phrase n'importe où ailleurs. Sauf qu'en SF, on va finir par expliquer d'où vient cette phrase, car on veut que le lecteur comprenne, ou ait une chance de comprendre, en ordonnançant les éléments fictionnels de façon rationnelle. Ailleurs qu'en SF, cette phrase pourrait être de l'ordre de la pure métaphore (l'idée que la vie est un chemin qu'on parcourt à pied), par exemple. Mais pour moi, elle procure un vertige similaire quel que soit le contexte dans lequel elle est utilisée, une sensation d'émerveillement, quelque chose de profond et que j'aurais bien du mal à définir aujourd'hui...

(Je voulais caser les mots "métaphysique" et "sense of wonder", mais je crois que ça aurait ajouté plus de confusion à mon propos - qui n'est pas très clair pour moi-même - et je ne voudrais pas réveiller une discussion qui a l'air de vouloir se reposer un peu. Je file donc sur le fil consacré à la fantasy !)

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Le_navire
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Message par Le_navire » mar. nov. 24, 2009 1:37 pm

Gérard Klein a écrit : J'y ai connu ou rencontré aussi un écrivain notable, qui y vivait, réputé surtout pour ses textes érotiques, dont le nom m'échappe, mais il a sa place dans ma bibliothèque (Michel Bernard?).
L'adorable Maurice Pons. Aux dernières nouvelles, il y vit toujours (mais je n'y suis guère retournée depuis mon mariage).

Gérard a écrit :Accessoirement, je pense que personne n'a jamais survécu à l'imprudence de me présenter une pointe franche. Mais s'il y en a, je peux encore leur faire leur affaire.
Proprement et avec aussi peu de douleur qu'il me sera possible.
Non mais…
:P Garde moi une place, je me ferai souris...^^
Modifié en dernier par Le_navire le mar. nov. 24, 2009 1:40 pm, modifié 1 fois.
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Atv'
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Message par Atv' » mar. nov. 24, 2009 1:39 pm

jlavadou a écrit :Mais pour moi, elle procure un vertige similaire quel que soit le contexte dans lequel elle est utilisée, une sensation d'émerveillement, quelque chose de profond et que j'aurais bien du mal à définir aujourd'hui...
Ne revient-on pas à la poésie ?

J'y ai repensé depuis hier et je me suis dit que c'était le genre de phrase qu'on pouvait trouver chez Vian. Qui par ailleurs a souvent introduit dans son œuvre des éléments à la limite du fantastique (L'écume des jours) voire carrément SF (L'herbe rouge), sans toutefois aller jusqu'à la phase explicative. Pour le coup, c'est de la croyance de bout en bout. Dans L'herbe rouge, Vian justifie si peu l'existence de la machine, l'explique si peu qu'elle acquiert une présence et une solidité à toute épreuve. Effet de réalité qui, selon mes goûts de lecteur, manque parfois en SF. Ça nous ramène à la croyance : le besoin de croyance disparaît au moment de l'explication, à partir du moment où l'on sait. L'émerveillement, pour moi, c'est l'absence d'explication, c'est la persistance de la croyance. C'est Gibson qui fait plonger ses personnages dans des univers virtuels avec l'évidence et la facilité du branchement d'un petit boîtier en plastique à deux balles, sans jamais chercher à justifier une possibilité. À quoi bon justifier ce qui est supposé exister, à part à révéler que cela pourrait être factice ? À part à faire entendre la voix de l'écrivain penché sur son feuillet ? Je ne suis pas sûr que l'effet de distanciation soit souhaitable en SF.

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Message par jlavadou » mar. nov. 24, 2009 2:09 pm

Atv' a écrit :Ne revient-on pas à la poésie ?
En tant que forme possible de cette émotion, oui, bien sûr.
Effet de réalité qui, selon mes goûts de lecteur, manque parfois en SF.
Je crois que certains (la plupart ?) lecteurs de SF ont besoin de ces explications, de cette mise en scène de la science, pour ressentir cet émerveillement, ce vertige. C'est tout aussi valable, dans le cadre de la SF, que ton approche (et qui est aujourd'hui celle vers laquelle je me tourne également) qui préfère conserver une part de mystère (je n'irai pas personnellement jusqu'à parler de croyance, mais pourquoi pas), ou qui cherche à entr'apercevoir des horizons plus... métaphysiques ! (histoire de raccrocher au sujet)

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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » mar. nov. 24, 2009 2:21 pm

Atv' a écrit :L'émerveillement, pour moi, c'est l'absence d'explication, c'est la persistance de la croyance.
Je pourrais dire exactement le contraire.
Atv' a écrit :C'est Gibson qui fait plonger ses personnages dans des univers virtuels avec l'évidence et la facilité du branchement d'un petit boîtier en plastique à deux balles, sans jamais chercher à justifier une possibilité.
Là, tu confonds croyance et suspension de l'incrédulité.
Atv' a écrit :À quoi bon justifier ce qui est supposé exister, à part à révéler que cela pourrait être factice ?
Parce que la science-fiction ne pose pas des univers arbitraires, mais réalise des constructions d'univers.

C'est l'univers de Neuromancien — univers qui je le rappelle, est quand même un brin "justifié" — qui rend crédible le boîtier à deux balles.
Atv' a écrit :À part à faire entendre la voix de l'écrivain penché sur son feuillet ?
L'écrivain penché sur son feuillet qui veut faire entendre sa voix, il a intérêt à faire dans le style plutôt que dans la justification des gadgets.
Atv' a écrit :Je ne suis pas sûr que l'effet de distanciation soit souhaitable en SF.
Euh, la science-fiction, c'est quand même un genre, peut-être le seul, dont l'une des bases consiste précisément à prendre du recul.
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Message par Lem » mar. nov. 24, 2009 3:02 pm

Matthieu a écrit :Le désir d'immortalité ne me semble pas être un objectif si important pour Egan. (…) Le principal moteur du héros éganien, c'est son identité. (…) Cette importance de l'identité est dictée par la métaphysique qui sous-tend l'œuvre de Greg Egan : le réalisme modal de David Lewis et sa forme moderne exprimée par Max Tegmark. (…) Dans ce cadre, l'importance de l'individu qui s'interroge sur lui-même et sur son environnement est primordiale. C'est lui qui donne au monde son aspect tangible, même si cette propriété n'est que subjective. C'est le rôle de l'observateur en physique quantique, qui n'a ici, avec l'interprétation d'Everett, plus rien de mystérieux.
La redéfinition du problème de l'identité est effectivement un thème central chez Egan. Tu n'as pas tort de citer David Lewis, qui est l'un des auteurs-sources du traité de Nef, Qu'est-ce que la métaphysique ? Par ailleurs, Gérard a rappelé plus haut qu'en l'absence de toute procédure de vérification, une bonne partie des spéculations de la physique actuelle relèvent en fait du mot en M. Dans cette optique, je trouve qu'Egan joue souvent une partie assez biaisée. Dans Singleton, par exemple, le narrateur est presque empêché de vivre à l'idée que chaque succès enregistré par lui dans son existence implique l'échec de ses moi alternatifs dans les autres branches du multivers ; suis-je le seul à avoir trouvé que c'était pousser l'exigence éthique – comment dire ? – un peu loin, dans la mesure où rien, jamais (dans cette nouvelle en tout cas) ne permet d'envisager une interaction vécue avec ces autres branches. Egan consacre bien une partie importante de son œuvre à élucider la nouvelle donne morale du monde tel que la physique la plus actuelle le laisse entrevoir mais dans certain cas, l'impossibilité intrinsèque de réifier le contenu des alternatives fait de cette nouvelle donne une métaphysique pure et simple. Etrange cas-limite.
Cependant considérer (comme je l'ai lu ici) son œuvre comme avant tout religieuse est un non-sens. Son humanisme est bien plus proche de la philosophie de l'absurde d'Albert Camus.
J'ai failli commencer ma réponse par la formule traditionnelle ("tu m'as mal lu") immédiatement suivie de son atténuation tout aussi rituelle ("ou sans doute me suis-je mal exprimé") avant d'admettre que l'ambiguité est sans doute consubstantielle à mon propos. Je ne dis nulle part que l'œuvre d'Egan est "avant tout religieuse" mais que l'insistance avec laquelle elle met en scène, sous forme de possibilités techniques, des situations classiquement métaphysiques et religieuses (accéder à l'immortalité, séparer moi de non-moi, formuler une théorie performative de la réalité etc.) est un trait de fonctionnement caractéristique qui la distingue, et au-delà d'elle toute la sf, du reste de la littérature où ces situations n'apparaissent pas.
Un patient qui, à chaque séance, répèterait à son psychanalyste "Vous savez, ma mère, elle n'est pour rien dans mes problèmes. Je ne parle pas de ma mère. Je suis grand, maintenant, ma mère, ce n'est pas la question. Je sais que quand je dis quelque chose, vous pensez que je parle de ma mère mais ce n'est pas vrai. Ma mère n'a aucune importance"… aurait intérêt à examiner ses rapports avec sa mère.
(Ici, quelques plaisanteries faciles mais agréables sur mes propres rapports avec ma mère sont permises.)
De la même manière, une forme culturelle qui irait répétant : "C'est vrai, nous nous intéressons beaucoup à l'origine et à la fin du monde, à la nature du réel, à l'être qui succèdera à l'homme, aux pouvoirs de l'esprit, à l'immortalité, nous utilisons souvent le vocabulaire du divin mais ne vous y trompez pas : nous n'avons rien à voir avec la métaphysique et la religion"… aurait peut-être un léger problème critique.

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Message par Roland C. Wagner » mar. nov. 24, 2009 3:15 pm

Lem a écrit :De la même manière, une forme culturelle qui irait répétant : "C'est vrai, nous nous intéressons beaucoup à l'origine et à la fin du monde, à la nature du réel, à l'être qui succèdera à l'homme, aux pouvoirs de l'esprit, à l'immortalité, nous utilisons souvent le vocabulaire du divin mais ne vous y trompez pas : nous n'avons rien à voir avec la métaphysique et la religion"… aurait peut-être un léger problème critique.
En suivant cette même logique, les punks anglais, et certains de leurs cousins new wave ou indus auraient pu dire : "C'est vrai, nous portons des croix gammées et des croix de fer, nos noms de groupes ou nos titres de chansons font allusion à des trucs comme le zyklon B ou la Joy Division, mais nous n'avons rien à voir avec des nazis."

Ce qui était en gros exact.

L'un des trucs qui m'a frappé, à l'époque, c'était cette volonté de s'emparer de symboles pour les vider de leur sens.

Tu me suis ?…
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Message par Atv' » mar. nov. 24, 2009 3:33 pm

jlavadou a écrit :
Effet de réalité qui, selon mes goûts de lecteur, manque parfois en SF.
Je crois que certains (la plupart ?) lecteurs de SF ont besoin de ces explications, de cette mise en scène de la science, pour ressentir cet émerveillement, ce vertige.
Ça a longtemps été mon cas puis je pense que s'est opérée une rupture à partir de laquelle j'ai été chercher l'émerveillement scientifique dans la science elle-même en lisant (ou en essayant de lire) Une brève histoire du temps, en parcourant La Recherche ou Sciences et Avenir... Et d'un autre côté, j'ai continué à trouver dans un sous-ensemble de la SF l'émerveillement non de la science mais de ses possibles applications et implications. Quelque chose de plus social et humain et qui se contente très bien d'un fond scientifique diffus.

C'est sans doute lié aussi à ma formation scientifique et mon métier d'ingénieur : j'ai besoin de la littérature comme d'un contrepoids au côté mécanique et exact de ce que je fais (quoique je travaille beaucoup avec les propriétés du hasard...). J'ai besoin que ça entretienne ma foi en mon métier en me laissant entrevoir l'importance de tout cela au-delà de mes objectifs immédiats qui pourraient paraître un peu vains. J'ai besoin que ça me révèle mon activité en des termes qui me sont inaccessibles au quotidien. Or, une activité professionnelle laisse peu de place à l'évasion... métaphysique (et hop, le thème !). Elle laisse aussi peu de place à la poésie technologique (hop, Gibson).

Ceci dit, l'absence de justification scientifique explicite n'est pas l'absence de science. Côté cinéma, il n'y a qu'à voir le réalisme scientifique de 2001. Ce film déborde de science et pourtant, nulle explication, nulle justification, juste une exposition du spectateur.
jlavadou a écrit :(je n'irai pas personnellement jusqu'à parler de croyance, mais pourquoi pas)
Je reprenais le terme utilisé plus tôt par Fabien, afin d'éviter de multiplier les concepts.

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