Je ne peux pas te faire une analyse factuelle, d'abord parce que j'étais encore gamine, et que ce que j'en sais tient autant à des débats auxquels j'ai assisté adolescente qu'a mes conversations de jeune adulte avec Strenberg quand on a eu l'occasion d'en parler.Lem a écrit :Pour faire suite au post de Fabien, j'aimerais bien que Navire revienne plus en détails sur son expérience de l'Oulipo et les réactions réfractaires au jeu comme programme littéraire. Sur ce dernier point, en particulier, j'ai sans doute beaucoup à apprendre car, c'est vrai, j'ai plutôt une perception non-problématique du groupe. Or, il y a un lien bien réel entre l'Oulipo et la sf dans l'histoire littéraire française. Je serais curieux d'en savoir plus.
Ce à quoi j'ai assisté, je le dois simplement au fait que mon histoire perso est liée à celle du Moulin d'Andé, un lieu qui fut un peu mythique (on y a tourné de grands films comme Jules et Jim ou le Démon dans l'Ile) et qui dans les années 60 et 70 fut une sorte de résidence secondaire pour intellectuels. Georges y venait parfois et donc on parlait beaucoup, dans ce microcosme de la rive gauche transposé à la campagne pour le week-end, de son boulot et de l'Oulipo. Des conversations récurrentes dont je ne peux, trente ans après que me souvenir de la moelle, j'en ai perdu la chair depuis des lustres. En gros, ce dont je me souviens, c'est surtout de l'idée répandue que l'Oulipo, c'était plus un truc pour adeptes des mots croisés et des contrepétries, que c'était rigolo mais pas de la littérature, que c'était vain parce que, contrairement au surréalisme, l'Oulipo n'interrogeait pas la société et se contentait d'être un jeu pour intellos destiné à reposer les neurones avant de passer aux choses sérieuses, à savoir la littérature (de préférence d'ailleurs, la littérature politique, l'époque le voulait encore) et je me souviens aussi que par contre on finissait invariablement sur des mots gentils pour Georges et sur le fait qu'on l'avait vu (ou pas vu) récemment. Après sa mort, bizarrement, les conversations ont cessé sur l'Oulipo, mais mon impression de l'époque (elle vaut ce qu'elle vaut) c'est que c'était surtout par respect pour la mémoire de Georges.
Quand j'en ai parlé plus tard avec Jacques, j'avais 19 ans, on parlait déjà d'une littérature qui s'enfonçait dans l'égotisme, et l'Oulipo avait gagné ses galons. Quand Jacques est revenu sur les débuts, il m'a surtout parlé des engueulades, du mépris affiché de toute une partie du milieu, dont en gros l'argument principal était "L'Oulipo, c'est des mecs qui veulent péter aussi haut que les surréalistes mais qui n'ont rien à dire, ils se contentent de faire mumuse " (comme quoi, ça recoupait mes souvenir d'ado...) Sur la situation de l'époque, il disait surtout que toute la reconnaissance du mouvement tournait autour du succès de Georges, mais que le reste était finalement mal connu et peu apprécié.
Voilà. Des souvenirs qui se recoupent (mais ce ne sont que des souvenirs...)
D'où mon réflexe de rapprocher ça avec le discours de ce même milieu sur la SF (mais Gérard aura sûrement plus à dire là-dessus, à moins qu'on ait été poli avec lui aussi à l'époque, on était beaucoup au fleuret plutôt qu'à pointe franche) à savoir que le fait de devoir inventer un autre monde (associé au mythes et aux contes pour enfants) pour traiter des problèmes de l'humanité était à la fois une preuve d'immaturité et un exercice sans intérêt...
(Après, on se demande pourquoi j'ai plongé dans la SF des deux pieds...^^)