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par Atv' » mar. déc. 15, 2009 4:39 am
Merci, monsieur Klein, pour cette contribution qui m'a été la plus enrichissante de ces 212 pages (certes parfois lues en diagonales).
Des pages précédentes, j'ai beaucoup appris sur les protagonistes de ce forum, ce qui est une information finalement assez précieuse puisque j'y suis nouveau et qu'il n'est pas d'un accès particulièrement aisé. J'ai aussi, çà et là, pioché quelques connaissances ou apprécié quelques points de vue pour leur contenu propre. Mais je suis un sceptique, aussi quand l'information et la connaissance se mélangent à l'opinion personnelle, dans le doute, je préfère tout ranger dans la case des choses intéressantes mais pas fiables. Quant aux échanges philosophiques, je confesse être un vil scientifique qui n'y pige que dalle et regardait les arbres par la fenêtre en cours de philo. Ce qu'il y a de philosophe en moi, je le tiens donc exclusivement de l'émission d'Enthoven sur Arte, et ça aussi, je le classe dans l'intéressant pas fiable. Le folklore, quoi. Jolie émission, ceci dit.
Bref. Votre contribution, donc, me parle en tant que scientifique car elle contient des faits, une vie d'expériences vécues, relatées. Du tangible. Et je suis de l'avis qu'on ne répond pas à la question du déni de la SF avec une construction théorique, avec des citations, avec des idées qu'on avance sans les étayer tant et si bien qu'elles ne peuvent à la longue que basculer de leur porte-à-faux douteux. On y répond avec l'expérience, expérience qui est bien plus forte que des anecdotes balancées en l'air car elle est la continuité de l'anecdote, filée à l'échelle d'une carrière ou d'une vie.
Si j'avais eu à contribuer réellement au débat (mais il est bien difficile de débuter sur ce forum en participant à ce débat-ci), j'aurais simplement cité ma famille, à savoir la seule expérience fiable à long terme dont je puisse faire part. J'ai lu, ici et sur les fils d'à côté (Werber, fantasy, etc.) un certain nombre d'affirmations qui m'ont fait bondir — mais, encore une fois, fraîchement arrivé, j'aimais mieux observer un peu avant de bondir en public. C'était au sujet des lecteurs de SF ou des non-lecteurs de SF. Des bibliothèques des uns et des autres. Des cloisons imperméables. Au sujets des esprits supposés étriqués de ceux-ci, de ceux-là, de l'impossibilité d'apprécier untel et untel, de passer de la lecture d'untel à celle d'untel à moins de n'avoir rien compris et d'être le plus méprisable des lecteurs. J'entends bien la part d'ironie et de second degré de certaines contributions, mais j'ai aussi perçu une bonne part d'opinion. J'en reviens donc à ma famille. Mes premiers romans, je ne les ai pas lus, c'est ma grand-mère qui me lisait, chaque soir, en vacances, un chapitre de Jules Verne. À part ça, je n'ai jamais vu le moindre livre de SF dans la bibliothèque de ma grand-mère. Ça n'a rien d'un déni et je ne l'ai jamais entendue mépriser ni la SF ni les BD que je lisais gamin et que je lis aujourd'hui adulte. C'est la culture d'une époque, qui n'enlève rien à une curiosité absolue, y compris pour le progrès technologique. Cette culture n'a rien contre la SF mais ne la connaît pas, à part Jules Verne. Plus près de moi et plus près des propos de Gérard Klein, mes parents sont artistes, de formation littéraire avant le bac, et à la maison, on pouvait régulièrement parler d'art, de littérature, de sciences, souvent avec admiration envers les trois, souvent aussi avec ignorance mais curiosité, sans que l'attachement à l'un ne préjuge jamais du mépris des autres domaines. Sans concevoir que la vie doive être une relation exclusive à la littérature ou bien à la science. C'était tellement naturel, ce non-cloisonnement, que ça m'a toujours paru être une évidence absolue et ça me l'est toujours. Ce choix imposé, scientifique ou littéraire, me semble très français et de la bêtise la plus extrême. Il est l'écho tout au long de notre vie de cette aberration du choix imposé au lycée, choix fait concurrence, guéguerre et fierté mal placée, qui dans un système bien trop rigide préside au reste de notre vie et sculpte une société plutôt moche et frustrée. Bref, pour revenir une énième fois à ma famille, seul exemple concret, indiscutable et observé à long terme que j'aie sous la main, j'ai vu ma mère lire avec autant de plaisir Hugo et Dumas que Tolkien, Wul, la trilogie martienne, Werber, Dan Brown, Vargas, Süsskind, etc., et je crois lui avoir prêté du Lovecraft et du Stephen King, sans mentionner un tas d'autres choses… bref, OK, y'a pas Egan, y'a pas Van Vogt (que je ne lui conseillerais pas), mais je cherche désespérément la cloison, je cherche désespérément l'impossibilité de lire ci quand on aime ça, je cherche le mépris d'un genre, je cherche le déni et je n'en vois pas. Le déni qu'il y avait à la maison, et c'était même du mépris, c'était celui des intellectuels auto-proclamés ou proclamés par les médias, le mépris des grandes gueules, le mépris des nombrils hypertrophiés ou magnifiés, le mépris des donneurs de leçons — et je suis plutôt content d'avoir grandi dans ce mépris-là.
Quant au déni de la SF, j'observe autour de moi des gens que la SF intéresse et d'autres que ça n'intéresse pas, comme n'importe quel loisir ou n'importe quelle passion, mais sur tous mes proches, amis, collègues, connaissances, je dois lutter pour en trouver deux ou trois dont j'imagine qu'ils pourraient mépriser la SF (je trouve plus facilement du mépris pour l'automobile, pour l'écologie, etc.). Et je me demande si finalement tout ce débat n'est pas complètement dépassé. Hors d'actualité. Une espèce de grand délire de persécution, alors qu'en fait de déni, la SF est par essence, comme toute chose, un intérêt pour certains et pas pour d'autres. Et la plupart s'en foutent, sont simplement lecteurs, et non lecteurs d'un genre donné, et liront ce qu'on leur mettra de bien entre les mains sans s'occuper une seconde de savoir si ça parle de science, d'histoire, de meurtres ou de métaphysique. En tout cas, c'est très majoritairement le cas autour de moi, et là je ne parle pas que de ma famille.
En tant que scientifique, je n'ai évidemment rien contre les théories. Mais elles doivent se plier au jugement de l'expérience. Gérard Klein a présenté son expérience qui me semble être de grande valeur (évidemment). J'ai présenté la mienne, bien plus anecdotique, bien moins riche en information mais vraie néanmoins, et différente. Et je suis navré pour ces 211 pages précédentes mais je ne vois pas la valeur de vérité de tous ces jeux de l'esprit par rapport au problème posé. J'y vois une grande valeur d'amusement intellectuel.
Et ce n'est jamais que mon avis dont je me rends bien compte que par moments il a tendance à entrer lui-même dans le détachement abstrait qu'il dénonce.