Lem a écrit :Je ne procède pas ainsi. Dans la mesure où il n'existe rien de tel qu'une machine à voyager dans le temps (et ne parlons pas de l'époque où Wells écrivait), je pense que sa nature "d'abord scientifique, ensuite éventuellement autre chose" ne tient pas.
Oncle a écrit :Tu vois une perspective de réalisation, à cette machine? (heureusement que je t'ai dit qu'il y avait des théories modernes sur le voyage dans le temps...). Dans ton système, la machine à explorer le temps, est, je te re-site, "un prodige sans perspective de réalisation (de réification), ce n'est pas de la SF mais autre chose, un conte, une fable, peu importe."
Peu importe... voilà ce que devient le texte de Wells, si on pousse au bout ta théorie, qui est restrictrice. Pour ma part, je suis plus large dans ma perception de la SF, même si je suis maniaque sur son histoire éditoriale.
Tu interprètes ma position sur
Time machine exactement à l'inverse de ce qu'elle est, alors même que j'ai écrit je ne sais combien de fois ici que pour moi, la SF moderne commençait avec Rosny et Wells (et non Gernsback).
On parle de fiction, non de science. Ce qui est "une fable, un conte", c'est un voyage lunaire grâce à la rosée du matin ou une exploration du futur après un sommeil inexplicablement prolongé. Même au XVIIIème siècle, on savait qu'on ne pouvait pas atteindre la lune ou le futur par ces moyens ; c'était donc une façon très claire de "déréaliser" le récit, d'indiquer au lecteur que la lune et le futur n'étaient que prétexte pour parler de la terre et du présent.
Mais à partir du moment où l'auteur s'appuie (au moins rhétoriquement) sur une théorie scientifique pour imaginer une machine temporelle dont il prend la peine de décrire le fonctionnement, il crée un autre horizon d'attente, il promet implicitement que la logique va gouverner les développements du scénario, que le voyage temporel n'est pas un prétexte à leçon de morale ou discours utopique mais l'objet même du récit.
Ultimement, c'est la consistance logique qui sert d'étalon. Et à l'intérieur de ce système, rien ne me semble plus fort, plus spécifique à la SF que le moment où la logique conduit logiquement à son propre retournement, à l'inversion de la causalité, au merveilleux. La fleur ramenée par le voyageur de Wells, présente dans le monde des siècles avant d'avoir poussé, est le clou du récit – l'impossible "preuve" de sa véracité – tout comme, quarante ans plus tard, le paradoxe du grand-père chez Barjavel. Cela ne fait pas de la machine temporelle un concept intrinsèquement scientifique pour autant. Cela en fait une chose hybride, tendue dès sa naissance entre science et fiction, logique et merveilleux, physique et métaphysique.