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Serpentine

Jean-Marc Rulier (Illustrateur de couverture), Mélanie Fazi ( Auteur)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 31/01/2004  -  livre
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Serpentine

Si vous avez allumé la télé, ce lundi, vous avez entendu la nouvelle suivante : " on a retrouvé un SDF, mort de froid, dans un local vide. ". Un SDF : Sans Domicile Fixe. Ou, si vous préférez, pour ceux qui s'attendent à un laïus sur l'indifférence et la survie, un S.I.F : Sans Identité Fixe.

Le fait de mourir de froid, " à notre époque " est déjà en soi assez choquant. Mais mourir sans nom, sans même la dignité d'une identité qu'on a reconnue comme un droit élémentaire de l'être humain, mourir gelé et seul pour n'être aux yeux d'une France larmoyante qu'un " SDF ", sans nom, ni visage, un symbole factice et facile censé dénoncer l'indifférence, c'est, à mon sens, le comble de l'indécence…

Notre époque a quelques soucis identitaires. On résume tout, y compris les gens. Portrait chinois. Curriculum Vitae. Il faut qu'on définisse vite. On perd déjà un temps fou à se mettre d'accord sur le lexique d'une pensée soi-disant pure. Définissons, définissons. Finalement, le bourgeois a le même problème que le marginal. Ca doit être rassurant.

Même en littérature, on aplanit et on définit, en permanence. Le littéraire type est un mélange de petit mec ultra cool (" la littérature, c'est la vie, mec… ") et d'encyclopédiste pompant. On attend des réponses, pas des souffles, certainement pas des voix.

Spécialement en fantastique, où tout est tellement formaté sur le mode " le bien, le mal, la survie et l'au-delà de tout ". Crise d'une époque ou problème redondant : désormais, la marginalité se traduit par un manque de nuances et une définition caricaturale et hâtive. L'écriture de Mélanie Fazi n'a aucun problème identitaire. C'est là, sans aucun doute, ce qui marque sa différence.

La définir touche au bonheur. Il y a d'abord une vibration, très claire et à peine audible…Même pas une fêlure. Juste une conscience qui ressemble étrangement à la fée Clochette. La conscience que ses héros sont en pleine transformation, que rien n'existe véritablement ni n'est immuable, que les apparences sont trompeuses. Bref, l'essence de la littérature fantastique.

Mais il n'y a pas que ça : l'ensemble est soutenu par un souffle d'une puissance peu commune. Mélanie Fazi a cette force des grands. Lorsque son récit commence à perdre en rythme, ce n'est que pour mieux annoncer une fin en bris de verre, cinglante.

On aimerait bêtement creuser plus loin, savoir pourquoi les héros de Mélanie Fazi sont marginalisés, élucider leur malaise. Mais effectivement, ce serait bête et inutile.
Car tous ses personnages, de celui qui visite une étrange boutique de tatouages dans Serpentine, à la jeune fan de Matilda, répondent à une voix de notre temps, un état des lieux de notre génération. Le fantastique de Fazi prend racine dans l'homme et c'est la crédibilité psychologique de ses marginaux qui rend l'ensemble savoureux.
Mélanie Fazi a compris, à l'instar des grands auteurs fantastiques, que le merveilleux, l'horreur et la peur ne pouvaient se reposer que sur le réel. Et que la frontière était mince.

Des personnages réels, des dieux grecs - c'est là son point faible, s'il fallait vraiment établir une échelle de valeur - ou des arbres dévoreurs trouvent dans ses pages une ampleur qu'on a pas jaugée depuis longtemps en fantastique français. Parmi les dix nouvelles compilées, Elégie et Nous reprendre à la route pourraient à elles seules attester de la maîtrise de ce jeune auteur. Qu'elles soient courtes ou longues, ses nouvelles trouveront chez le lecteur un accueil attentif, presque douloureux ; le genre d'accueil que l'empathie rend parfois électrique et délicieux.

Mélanie Fazi excelle sans aucun doute dans la nouvelle. Si rien ne vient polluer ce talent confirmé - il serait idiot, mesquin et inutile de parler de " talent prometteur " - à priori, nous assistons là à la naissance éditoriale d'une grande œuvre. Tout ce qu'on peut lui souhaiter est de continuer à nous offrir son véritable souffle et ne pas se laisser aller à une facilité tentante.

Vous avez à votre tour plusieurs choix : attendre que la critique et les lecteurs vous prouvent qu'il faut se jeter sur Serpentine ou constater par vous-même que le temps lui donnera obligatoirement raison. Foi de lectrice et de chroniqueuse souvent à la limite du péremptoire, ouvrez et savourez!

Un recueil comme celui-là, vous n'en aurez pas avant un bon bout de temps !

A noter également que, traductrice, novelliste, Mélanie Fazi a signé par ailleurs un roman Trois pépins du fruit des morts et reçu le prix Merlin pour sa nouvelle Matilda.

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