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Interview 2016 : Eric Holstein pour la monographie Lovecraft
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Interview 2016 : Eric Holstein pour la monographie Lovecraft

ActuSF : Vous êtes le directeur artistique des éditions ActuSF. Comment avez-vous abordé une thématique aussi forte que celle de Howard Phillips Lovecraft et que celle de son mythe de Cthulhu ? Quelle orientation vouliez-vous donner avec la couverture de la monographie ?

Eric Holstein : Il y a tellement d'iconographie sur H. P. Lovecraft ! La base de la réflexion a été la même que pour notre monographie sur Philip K. Dick, à savoir tenter de donner corps aux visions de l'auteur et le replacer au coeur de ses créations. Pour Philip K. Dick, nous avions opté pour une approche plus psychédélique qui allait bien avec l'auteur. Pour H. P. Lovecraft, je voulais quelque chose de plus torturé, de moins pop, mais je voulais aussi éviter les ambiances glauques et très sombres habituellement associées à l'imagerie lovecraftienne. Je ne voulais pas d'une couverture pleine de tentacules dans une brume monochrome, avec au milieu un Lovecraft ressemblant à un vicaire anglican hépatique. Au contraire. Je voulais quelque chose de lumineux et coloré. Et encore, Ryohei a été moins radical que moi, mais je lui ai fait rajouter de la couleur flash.
 


ActuSF : Comment avez-vous vous choisit l'illustrateur Ryohei Hase ? Comment avez-vous travailler avec lui ?

Eric Holstein : Je n'ai pas peur de confier des couvertures à des artistes que je ne connais pas, mais pour ce genre de gros projet, il faut que je puisse bosser en confiance. Du coup, je vais généralement puiser dans le vivier d'illustrateurs avec qui nous travaillons régulièrement. Habituellement, je ne suis pas très fan des artistes inspirés par le manga, mais Ryohei Hase a une approche tellement originale. La première couverture qu'il nous a faite est celle de l'anthologie Lancelot, avec ce drapé incroyable. C'est aussi lui qui nous a fait la couverture de la Voie du Feu, en Hélios. Là, je suis allé le chercher sur un autre type d'illustration qu'il maîtrise à la perfection, avec ces effets de masse complètement distordu. Sauf que je lui ai demandé de rajouter du Cthulhu dans ladite masse. Par ailleurs, c'était intéressant d'avoir la perception artistique d'un dessinateur qui n'avait pas sur Lovecraft les préconçus qu'aurait eu un de ses confrères occidentaux. Ça lui permettait d'oser plus de choses sans se poser de questions.
 
 
Avec lui, comme avec tous mes illustrateurs, je travaille beaucoup en amont. Je pars généralement d'une de leurs oeuvres et de là, je lui fais un brief assez précis de ce que j'ai en tête, et ensuite je lui envoie pas mal d'images de références puis on échange sur les croquis. En l'occurrence, la composition a été très vite validée. Après, c'est du réglage : le Lovecraft est trop carré des épaules, il me faut plus de ceci, moins de cela, etc. Et quand on a quelque chose qui se rapproche de la version finale, les discussions portent sur le contraste de tel ou tel détail, la mise en couleurs, leur saturation, etc. Mais l'important c'est d'être toujours ouvert et d'être prêt à se laisser surprendre. Ce qui m'intéresse quand je choisis un illustrateur, c'est sa sensibilité, son approche et sa vision. C'est ce que je sens qu'il va amener à l'idée que j'ai en tête. Je ne veux pas un simple crayon à louer.
 
Du coup, cette couverture ne correspond pas tout à fait à ce que j'avais en tête. Mais c'est mon idée, passée à la moulinette du talent de Ryohei. Et c'est sa liberté dans le cadre que je lui ai fixé au départ qui fait que ça fonctionne.
 
 
ActuSF : Vous réalisez également un gros travail sur les choix des lettrines, de l'habillage du texte... Des aspects que les graphistes oublient parfois quand il s'agit d'une couverture de livre et pas seulement d'un dessin "brut".

Eric Holstein : Non, tous les graphistes connaissent l'enjeu d'une typographie. La typo, c'est la discipline graphique la plus ardue et la plus ingrate. Les créateurs de typos sont les princes du graphisme. Mais c'est vrai que la titraille, ça, c'est ma responsabilité et j'en assume les réussites, comme les ratés (et il y en a eu). Ça peut tout à fait ruiner une couverture. En fait, plus je vieillis et plus j'apprends et plus je vais vers la simplicité. C'est ce que te diront tous les directeurs artistiques. Je pense que plus tu prends de l'expérience et plus ton oeil s'aiguise. Tu finis par voir ce qui fait la force d'une grande police et la différencie d'un gadget de titraille. Maintenant, ce qui guide ton choix... ça fait partie des mystères de ce boulot. Je fais aussi beaucoup d'illustrations musicales et c'est exactement la même chose. À la base tu as une idée de la direction dans laquelle tu veux aller, mais tu testes plein de choses et à un moment, tu as ce petit picotement derrière la nuque qui vient te dire "C'est ça !" et même mis à la torture, tu serais bien infoutu d'expliquer pourquoi. Ça ne veut pas dire que c'est LA bonne solution, mais en tout cas c'est TA bonne solution. Celle qui fait la différence entre toi et un autre directeur artistique. C'est ton choix, guidé par ta sensibilité, ton background culturel et tes goûts que tu as appris à assumer. Ils valent ce qu'ils valent, mais c'est pour eux qu'on t'a confié le job.

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