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Interview Joëlle Wintrebert
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Interview Joëlle Wintrebert

Actusf : Comment est née l'idée du livre ?
Joëlle Wintrebert : J’ai souvent mis en scène des ados affrontant des adultes qui « s’arrangent ». Pour ce roman, j’avais envie depuis longtemps d’explorer les rapports qui peuvent se nouer entre adulte et enfant, et qui sont de l’ordre de la séduction. Je pense que l’enfant, quand il n’est pas brimé, est naturellement séducteur. Il recherche l’attention de l’adulte. Quand il obtient d’un adulte extérieur à la famille un regard qui le place au premier plan, des rapports exceptionnels se tissent. La perturbation de ces rapports met en danger le monde que s’était bâti l’enfant.
 
Actusf : Comment vois-tu Marie ? Une jeune préado un peu rebelle ?
Joëlle Wintrebert : Une préado tout à fait rebelle, on peut le dire ! Les lecteurs qui connaissent mes livres ne se trouveront pas en terra incognita. :-)
Elle a onze ans, elle est entière et idéaliste comme on peut l’être à son âge, mais elle est aussi assez particulière. Plus attirée par les adultes que par les jeunes de sa classe d’âge, dont la banalité l’ennuie. D’où sa solitude, et le lien privilégié qu’elle a noué avec l’amie de sa mère, une artiste extravertie, brillante, libérée.
 
Actusf : Qu'est-ce qui t'intéressait dans le récit ? Une préado entre le monde rose
de l'enfance et la dure réalité de la vie ?

Joëlle Wintrebert : Le « monde rose de l’enfance », je te laisse assumer ces mots ! Tu dois faire partie des chanceux qui ont débuté dans la vie sans conflits et autres difficultés bien saignantes ! ;-)) Sérieusement, on ne peut pas dire que Marie ait été épargnée : enfant sans père, arrivée d’un beau-père détestable, mère sombrant dans la dépression après avoir donné naissance à un enfant mort-né, ce n’est pas un tapis de lys et de roses. On pourrait penser que Marie s’est blindée, qu’elle a déjà dû affronter « la dure réalité de la vie », comme tu dis, mais en fait elle a trouvé refuge dans ses rêves éveillés. C’est un refuge fragile, menacé par l’irruption des éléments perturbateurs.
 
Actusf : Qu'a-t-elle de toi cette jeune fille ?
Joëlle Wintrebert : C’est marrant, dès qu’on écrit un roman contemporain, hors cadre, les lecteurs s’imaginent que le récit est autobiographique, ou sinon tel, qu’il emprunte au moins de larges pans à l’histoire personnelle de l’auteur. En l’occurrence, ce n’est absolument pas le cas. Ceux qui ont lu l’entretien que m’a consacré la revue Bifrost savent que j’étais l’aînée d’une fratrie de quatre, que je n’étais pas orpheline de père, que je n’étais pas davantage une enfant solitaire (j’ai toujours communiqué facilement), etc. Cela me fait penser aux lecteurs de mes romans calédoniens, qui ont du mal à croire que je ne suis jamais allée en Nouvelle-Calédonie. (Là, je suis flattée d’avoir créé un si chouette « effet de réel » !) Bref, La Chambre de sable est une pure construction intellectuelle. Même si, à l’instar de tous mes romans (y compris de SF), se greffe ici ou là une scène que j’ai vécue (dans ce roman, celle où l’amie d’enfance joue du « french kiss » avec le petit garçon dont elle a la garde, par exemple).
 
Actusf : Comme beaucoup de jeunes gens, on sent que Marie a un caractère assez affirmé mais en même temps plein de doute sur le monde qui l'entoure et notamment le monde des adultes. Ce qui est toutefois assez étonnant, c'est l'espèce de haine qu'elle a contre sa mère. Le rejet semble presque total. Pourquoi as-tu choisi cette situation très forte ?
Joëlle Wintrebert : Je ne sais pas si on peut vraiment parler de haine. C’est très puissant comme sentiment, la haine. Marie est en plein conflit avec Sylvana, c’est sûr. On sait dès le début de l’histoire qu’après une enfance fusionnelle, quelque chose s’est cassé entre les deux au moment de l’arrivée du beau-père. Marie a cessé alors d’être l’objet unique de l’affection de sa mère. Ensuite, les rôles se sont inversés. Pendant la dépression, c’est elle qui veillait sur l’adulte alcoolique. La relation n’a jamais été rétablie. L’artiste Nana est venue s’interposer en adulte désirable, flamboyante, fantasque, tout ce que n’est pas la mère, enfermée dans son pathos de victime. Marie souffre d’un conflit classique d’adolescente avec la mère, mais exacerbé par le pouvoir de son imagination.
 
Actusf : Tu y abordes plein de sujets de manière délicate comme la découverte de la sexualité. Tu as voulu explorer les tourments ou les préoccupations de cet âge-là ? (même si on ne voit pas beaucoup de garçons de l'âge de Marie ou sa vie au collège. D'ailleurs à la réflexion, elle est quand même assez seule dans ce monde d'adulte).
Joëlle Wintrebert : La Chambre de sable est la chronique d’un été. Qui débute aux tout premiers jours des vacances. Pas d’école, donc. Quant aux garçons, il en est question, pour l’intérêt qu’ils portent à Marie, mais qui n’est pas payé de retour. C’est vrai que pour son âge, elle est très pudique, très peu curieuse en matière de sexe. Plutôt dégoûtée par ce qu’elle peut en découvrir, d’ailleurs. L’une des scènes décisives montre les appétits sensuels de l’amie d’enfance et la rupture qu’ils provoquent.
 
Actusf : Ce qui est assez drôle, c'est que finalement tous les personnages secondaires montrent plusieurs faces. La mère de Marie est dure mais peut aussi se montrer tendre et se "lâcher", Nana semble libre mais reste également une voleuse qui n'assume pas vraiment ses forfaits, le vieux voisin n'est pas que photographe... Tu n'as rien pardonné à tes personnages :-) En même temps j'imagine que c'était voulu et indispensable pour que Marie évolue ?
Joëlle Wintrebert : Non, non, ce n’était pas voulu !!! Les romanciers écrivent d’instinct, c’est bien connu ! ;-)))  Pouf, pouf, j’arrête, promis ! Bien sûr, c’était voulu **et** indispensable. Rien de plus ennuyeux que des personnages archétypes ou caricaturaux. Pour Sylvana, plus que dure, je dirais qu’elle est décalée, déglinguée. Elle côtoie sa fille sans la comprendre. Quant à Nana, elle se fait passer à la moulinette du jugement de Marie. Pas tendre, l’ado. Ne pas oublier que ce roman, c’est le point de vue de Marie sur le monde des adultes. Demande aux ados, autour de toi, ce qu’ils pensent de notre monde...
 
Actusf : Un petit mot sur l'éditeur. Comment as-tu rencontré Lucie et comment est née votre collaboration ?
Joëlle Wintrebert : Lucie avait déjà sélectionné une de mes nouvelles pour son antho (Pro)Créations, chez le même éditeur. Quand elle a appris que La Chambre de sable était en lecture aux éd. Au diable vauvert, que mes petits camarades tardaient à me répondre, et que je me doutais bien pourquoi (ce n’était pas franchement un roman dans la lignée éditoriale du Diable), elle a souhaité lire le manuscrit. Ensuite, tout est allé très vite. Lucie est quelqu’un de très enthousiaste !!! :-D Elle m’a demandé si je l’autorisais à faire lire le texte à Eric Martini (Glyphe), et celui-ci ayant très vite fait part du même enthousiasme, que demander de plus ? J’ai trop souvent été confrontée à des parutions dans de grosses maisons d’édition certes prestigieuses mais où mes livres noyés dans la masse n’étaient pas défendus. Là, je suis sûre que tous les moyens possibles pour une petite structure seront mis à contribution pour la sortie de mon roman.
 
Actusf : Quels sont tes projets ?
Joëlle Wintrebert : J’ai signé justement au Diable vauvert pour un projet de roman qui s’inscrit bien plus dans leur lignée éditoriale. Contemporain aussi, mais thriller, érotique, et je n’en dirai pas plus... En principe je devrais le terminer pour la fin de l’été. Sinon, deux autres projets en chantier : un thriller fantastique et une trilogie charnière fantasy/SF.

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