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L’autre Grande Guerre
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L’autre Grande Guerre

Dès 1921, un Français, Gaston Homsy, imagine l’impensable dans Si les Allemands avaient gagné la guerre... (Les Editions Indépendantes, jamais réédité). Funeste réécriture qui nous paraîtrait bien désuète de nos jours et qui semble bien pathétique et ridicule : la Seconde Guerre mondiale va oblitérer littéralement la Première dans l’imaginaire et l’inconscient collectif au point que lorsqu’on songe à une victoire de l’Allemagne, on pense forcément aux Nazis.
Pourtant certains écrivains vont essayer d’imaginer une autre Première Guerre, après tout, n’est-elle pas la matrice de la Seconde mais également de toutes celles qui viennent après ?

Michel Pagel s’en servira comme pivot de son histoire dans L’équilibre des paradoxes (préférez l’intégrale parue chez Denoël collection Lunes d’Encre en 2004 à l’édition originale sortie chez Fleuve Noir au sein de la défunte collection Anticipation en 1999).

 

Et si elle survenait plus tôt ? Nicolas Le Breton, dans son diptyque Pax Germanica (2 tomes, Les âmes envolées et Les cœurs enchaînés, Les moutons électriques 2014, 2016) imagine en toile de fond de son deuxième tome une Première Guerre mondiale avec une issue victorieuse pour les puissances centrales, dans un monde où l’automobile n’a jamais été créée et où les plus lourds que l’air sont devenus le principal moyen de locomotion.

 

Sorti il y a peu l’essai  L’Autre siècle, dirigé par Xavier Delacroix (Fayard, 2018), permet à des historiens d’imaginer les conséquences d’une victoire allemande en 1914 (avant eux Jean-Pierre Pécau et Fred Duval l’imagineront dans la série Jour J avec le dyptique Septembre noir, Octobre rouge) pas forcément terrifiante et apocalyptique pour notre pays.

 

D’autres auteurs de différente nationalité imagineront également un sort différent suivant leur pays : Ainsi, Lucas Masali, auteur italien dans Les biplans de d’Annunzio (Fleuve Noir, 1999) nous raconte une poursuite de la guerre… Nous sommes en 1921 et la guerre s’éternise.  Guido Morselli imagina avant lui une issue différente (Surprise ! La Triple Alliance l’emporte !) avec Le passé à venir (L’âge d’homme, 1991).

 

Jacqueline Dauxois et Vladimir Volkoff mettent en scène une Russie tsariste éternelle à travers Alexandra (Editions du Rocher, 2003), où ils racontent (un peu trop longuement) comment celle-ci ne s’effondre pas (suite à l’assassinat d’un obscur révolutionnaire russe en Suisse) et perdure encore à la fin du XXe siècle. 

Michel-Antoine Burnier et  Léon Mercadet mettent également en scène un destin cruel et impitoyable pour Lénine en 1917 dans Il est midi dans le siècle (Robert Laffont, 2013)  ce qui redéfinira l’histoire du continent européen jusqu’à ce que…      

     

Bon nombre d’auteurs referont la guerre avec d’autres références : Kim Newman lui inoculera le vampirisme avec son Anno Dracula 1918 : Le Baron rouge sang (Bragelonne, 2013), suite apocalyptique à son Anno Dracula ; Scott Westerfeld développe, dans sa trilogie uchronique très Vernienne, Leviathan, une autre guerre menée d’un côté avec des créatures gigantesques génétiquement modifiées tandis que de l’autre les Empires centraux ont développé de fantastiques machines de guerre mécaniques ! Vous n’êtes pas prêts d’oublier votre expérience de vol à bord d’une baleine volante ! (3 tomes disponibles chez Pocket Jeunesse, 2010, 2011 et 2012) ;  Johan Heliot, pour sa part,  la réinvente avec la créature du célèbre docteur Frankenstein utilisé en lieu et place des Tanks et menant à une guerre encore plus horrible (Frankenstein 1918, L’Atalante, 2018).

La bande-dessinée Les sentinelles imaginera la création de héros cocardiers et avant-garde d’une révolution technologique qui ne s’imposera pas dans l’esprit des militaires. Point d’uchronie mais une réflexion sur la mort de masse qu’implique la Première Guerre mondiale, et la mort définitive des héros au champ d’horreur (série abandonnée avec Xavier Dorisson au scénario et Enrique Breccia au dessin, Intégrale des 4 tomes, Delcourt, 2016).

 

Comme on le constate il est facile d’imaginer le pire, de le démultiplier. Mais si rien de tout cela n’avait eu lieu ? Si la Première Guerre mondiale avait pu être évitée ? C’est le point de départ de la série Métropolis de Serge Lehman  (Scénario) et Stéphane de Caneva (Dessins), série complète en 4 tomes chez Delcourt  (2014-2017). Destiné à l’origine à être un roman, Serge Lehman adapte ici une méta-histoire, pleine de références, de clins d’œil, de perspectives et de réflexions (un peu comme dans sa Brigade Chimérique), commençant comme une uchronie pure, la série basculera dans la réflexion SF sur sa fin, ce qui n’enlève rien à son charme, bien au contraire !

 

Robert Charles Wilson s’interrogera également sur cette perspective à travers deux romans : Darwinia (Folios SF, 2000) où le continent européen disparaît en 1912 pour être remplacé par une terre inconnue  et Les Derniers Jours du Paradis (Folio SF, 2016) où la Première Guerre mondiale n’a jamais eu lieu suite à une intervention, mais chut, vous risquez gros si vous vous penchez sur cet aspect de l’Histoire . Ne vaut-il pas mieux vivre en paix ?

Alain Grousset, dans un fort plaisant roman (La guerre de 14 n’a pas eu lieu, Flammarion, 2014) met en scène une jeune femme espionne pour le compte de la France, dans un conflit immobile où la France et l’Allemagne s’observent toujours à l’abri derrière leurs gigantesques murs de défense automatisés. Dans des pays où la condition sociale n’a jamais évolué suite à ce conflit qui ne dit pas son nom, Constance parviendra-t-elle à faire évoluer les mentalités?

Dernières perspectives, terrifiantes, car pavoisant le chemin vers un second conflit mondial, celui d’une défaite de nos pays respectifs et de leur cheminement vers le fascisme : Pierre Léauté avec son grinçant cycle dédié à Augustin Petit imagine sous couvert d’humour noir une dictature fasciste française (oui ça fait beaucoup) où son glorieux (et minuscule) chef rêve de lendemains qui chantent. Mort aux Grands ! et Guerre aux Grands ! (Le peuple de Mû, 2015-2016) ou comment expliquer la crétinerie du racisme aux jeunes lecteurs.

 

De l’autre côté de la Manche, Ian R. MacLeod nous dépeindra une Angleterre fasciste, la Très Grande Bretagne, avec son leader éclairé, John Arthur, qui va lui redonner la place qu’elle mérite, la première (Les îles du soleil, Folio SF, 2005).
Comme on le constate, malgré sa place de Première, la Grande Guerre reste engluée dans la boue des tranchées, dans l’horreur d’une industrialisation globale et brutale d’un conflit qui devient mondial. Et se rejouera vingt ans plus tard. Imaginer que la Seconde Guerre mondiale n’ait pas lieu voici une gageure qu’on a peu vu (même si Eric-Emmanuel Schmitt effleure le sujet dans son roman La part de l’autre, Livre de Poche, 2003, à travers un Hitler artiste qui voit son pays mener une guerre rapide pour la réunification et ne pas succomber aux sirènes du nationalisme) et qui reste à imaginer afin que la Der des Der le devienne…

Et pour finir, on vous recommande pour vos enfants, Le Dernier Bleuet de Danielle Martinigol et Isabelle Fournié, paru en mai 2018 aux éditions Actusf.

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