Ursula Le Guin est une auteure américaine née en 1929. Après des études en littérature, elle publie son premier roman, Le monde de Rocannon, en 1966. Connue notamment pour les cycles de Terremer et de l’Ekumen, elle reçoit son premier prix Hugo (qui ne sera pas le dernier, sans compter les autres prix) pour La main gauche de la nuit, roman écrit en 1969. Que ce soit dans ses nouvelles ou ses romans, elle se démarque par son regard anthropologique et humaniste, sans doute hérité de son père anthropologue. La main gauche de la nuit est le premier roman du cycle de l’Ekumen, qui fait suite à celui de La ligue de tous les mondes.
Premier Mobile
L’Ekumen est une sorte de société galactique dont le rôle est de réguler l’expansion de l’humanité à travers l’espace, sans être un véritable gouvernement. Genly Aï est Premier Mobile, unique envoyé de l’Ekumen sur Géthen, planète glaciale où les colons d’un lointain passé ont donné naissance à une civilisation technologique de type médiéval ayant oublié ses origines. Depuis un an, son rôle est de nouer un contact étroit avec les autorités des différents pays de Géthen pour les encourager à adhérer à l’Ekumen. Mais dans ce monde où les sexes masculin et féminin ont fusionné en un seul sexe indifférencié, Genly Aï a du mal à convaincre qu’il vient d’ailleurs et devient le prisonnier des manipulations politiques des uns et des autres.
Malgré une intrigue statique, un roman passionnant
Ursula Le Guin commence son roman de manière très habile : Aï est déjà sur Géthen, introduit à la Cour du royaume de Karhaïde, avec un an d’expérience sur cette planète à son actif. On comprend tout de suite ce qui intéresse l’auteure : ce n’est pas la façon dont il est arrivé là, ni la description de l’Ekumen, ni les progrès scientifiques et technologiques d’une telle civilisation. La main gauche de la nuit n’est pas un space opera. Ce qui compte ce n’est pas le macrocosme, même si des indices sur l’Ekumen seront distillés au fil du roman, mais le microcosme, la façon dont cette société exotique s’organise, évolue, vit. Une véritable étude sociologique et politique. Ainsi, l’intrigue est quasiment statique, l’objectif du narrateur clair et simple, l’action réduite au minimum. Mais peu importe : dès les premières pages, La main gauche de la nuit passionne.
Tout d’abord grâce à un style incroyablement fluide et élaboré. Pourtant le récit est d’une densité rare : peu de dialogues, de longues scènes de description, d’introspection ou de réflexion (notamment la traversée du désert de glace, où l’on se surprend à apprécier chaque centimètre de trajet effectué par les personnages). Mais la clarté de l’écriture de Le Guin rend la lecture d’une facilité parfois étonnante. Et l’auteure à la bonne idée d’intercaler quelques intermèdes - contes, légendes, rapports - qui, en plus d’enrichir son monde, permettent de reposer un peu les yeux. Seuls quelques changements de rythme, avec des passages au présent pas toujours opportuns, cassent parfois l’élan de la lecture, mais ces interruptions sont de courte durée.
La richesse du roman ne tient pas que dans son style. Le monde créé par Le Guin est d’une crédibilité et d’une solidité sans faille, qualités qui découlent d’une foule de détails concernant sa géographie, ses habitants, ses coutumes, ses villes, ses lois naturelles, etc. Le tout parfaitement intégré au texte, sans que le lecteur ait le sentiment de suivre un cours magistral. La même impression se dégage au sujet de la réflexion politique que Le Guin développe tout au long du roman, à plusieurs niveaux. Au niveau individuel tout d’abord, lorsque Aï se trouve pris dans un jeu politique qu’il ne maîtrise pas, à la merci des ambitions de pouvoir des différents personnages. La subtilité des interactions et des relations entre les acteurs de ce jeu est peu courante. Au niveau des nations également, avec des références à la gestation de la guerre entre la Karhaïde et l’Orgoreyn, qui a une étrange résonance avec un certain nombre de conflits actuels malgré la date d’écriture du roman (1969 !). Enfin, de manière plus générale et plus universelle, Le Guin dénonce les abus du pouvoir et les dangers qui menacent toute société en crise, faisant une référence claire au nazisme (utilisation de la peur, retour à des valeurs primitives, xénophobie…). Elle en profite pour égratigner au passage quelques travers humains avec un humour sarcastique bienvenu.
L’humanisme de Le Guin
Mais malgré ce regard critique à l’égard de ses congénères, Le Guin fait preuve d’un humanisme touchant. Elle s’attache en permanence à mettre en valeur les qualités humaines de ses héros, insiste sur les sentiments et les émotions, décrit avec une justesse étonnante les relations entre les personnages, et lorsque l’un d’eux nous paraît mauvais, l’auteure nous en montre une autre facette plus nuancée - l’inverse étant également vrai. Ainsi, Aï décrit-il Estraven, premier ministre de Karhaïde, de la façon suivante au début du roman, malgré la méfiance qu’il a à son égard : « Il le sait, et cela lui donne plus de réalité que n’en ont la plupart des gens - quelque chose de solide et de substantiel, une grandeur humaine ». La longue traversée du désert de glace est un autre exemple flagrant : Le Guin en profite pour développer la relation entre Aï et Estraven, progressive, subtile, naturelle, n’hésitant pas à aborder le thème délicat de l’identité sexuelle.
C’est cet humanisme qui est au centre du roman et non pas la question de savoir si Géthen adhérera à l’Ekumen. D’ailleurs, cette idée d’une entité dont le but est d’unifier les peuples de la sphère humaine sans vouloir les régenter est un signe manifeste de la confiance que Le Guin porte à l’humanité, malgré tous ses travers.
Un chef d’oeuvre
Soyons clairs : La main gauche de la nuit est un chef d’œuvre immanquable. La qualité de l’écriture de Le Guin, les sujets abordés approfondis remarquablement bien, son humanisme sincère, rendent le roman passionnant. Ce qui frappe sans doute le plus est qu’il n’a pas perdu un cheveu de crédibilité et d’actualité en presque 40 ans. Il est presque certain que les 40 prochaines années n’y changeront rien. Pour finir, on pourra méditer sur l’une des nombreuses pensées philosophiques parsemées au sein du récit :
« Vous n’avez pas encore compris, Genry, pourquoi nous avons porté à sa perfection l’art de la divination et pourquoi nous le pratiquons.
- Non.
- Pour démontrer la parfaite inutilité de connaître la réponse à la mauvaise question. »
Premier Mobile
L’Ekumen est une sorte de société galactique dont le rôle est de réguler l’expansion de l’humanité à travers l’espace, sans être un véritable gouvernement. Genly Aï est Premier Mobile, unique envoyé de l’Ekumen sur Géthen, planète glaciale où les colons d’un lointain passé ont donné naissance à une civilisation technologique de type médiéval ayant oublié ses origines. Depuis un an, son rôle est de nouer un contact étroit avec les autorités des différents pays de Géthen pour les encourager à adhérer à l’Ekumen. Mais dans ce monde où les sexes masculin et féminin ont fusionné en un seul sexe indifférencié, Genly Aï a du mal à convaincre qu’il vient d’ailleurs et devient le prisonnier des manipulations politiques des uns et des autres.
Malgré une intrigue statique, un roman passionnant
Ursula Le Guin commence son roman de manière très habile : Aï est déjà sur Géthen, introduit à la Cour du royaume de Karhaïde, avec un an d’expérience sur cette planète à son actif. On comprend tout de suite ce qui intéresse l’auteure : ce n’est pas la façon dont il est arrivé là, ni la description de l’Ekumen, ni les progrès scientifiques et technologiques d’une telle civilisation. La main gauche de la nuit n’est pas un space opera. Ce qui compte ce n’est pas le macrocosme, même si des indices sur l’Ekumen seront distillés au fil du roman, mais le microcosme, la façon dont cette société exotique s’organise, évolue, vit. Une véritable étude sociologique et politique. Ainsi, l’intrigue est quasiment statique, l’objectif du narrateur clair et simple, l’action réduite au minimum. Mais peu importe : dès les premières pages, La main gauche de la nuit passionne.
Tout d’abord grâce à un style incroyablement fluide et élaboré. Pourtant le récit est d’une densité rare : peu de dialogues, de longues scènes de description, d’introspection ou de réflexion (notamment la traversée du désert de glace, où l’on se surprend à apprécier chaque centimètre de trajet effectué par les personnages). Mais la clarté de l’écriture de Le Guin rend la lecture d’une facilité parfois étonnante. Et l’auteure à la bonne idée d’intercaler quelques intermèdes - contes, légendes, rapports - qui, en plus d’enrichir son monde, permettent de reposer un peu les yeux. Seuls quelques changements de rythme, avec des passages au présent pas toujours opportuns, cassent parfois l’élan de la lecture, mais ces interruptions sont de courte durée.
La richesse du roman ne tient pas que dans son style. Le monde créé par Le Guin est d’une crédibilité et d’une solidité sans faille, qualités qui découlent d’une foule de détails concernant sa géographie, ses habitants, ses coutumes, ses villes, ses lois naturelles, etc. Le tout parfaitement intégré au texte, sans que le lecteur ait le sentiment de suivre un cours magistral. La même impression se dégage au sujet de la réflexion politique que Le Guin développe tout au long du roman, à plusieurs niveaux. Au niveau individuel tout d’abord, lorsque Aï se trouve pris dans un jeu politique qu’il ne maîtrise pas, à la merci des ambitions de pouvoir des différents personnages. La subtilité des interactions et des relations entre les acteurs de ce jeu est peu courante. Au niveau des nations également, avec des références à la gestation de la guerre entre la Karhaïde et l’Orgoreyn, qui a une étrange résonance avec un certain nombre de conflits actuels malgré la date d’écriture du roman (1969 !). Enfin, de manière plus générale et plus universelle, Le Guin dénonce les abus du pouvoir et les dangers qui menacent toute société en crise, faisant une référence claire au nazisme (utilisation de la peur, retour à des valeurs primitives, xénophobie…). Elle en profite pour égratigner au passage quelques travers humains avec un humour sarcastique bienvenu.
L’humanisme de Le Guin
Mais malgré ce regard critique à l’égard de ses congénères, Le Guin fait preuve d’un humanisme touchant. Elle s’attache en permanence à mettre en valeur les qualités humaines de ses héros, insiste sur les sentiments et les émotions, décrit avec une justesse étonnante les relations entre les personnages, et lorsque l’un d’eux nous paraît mauvais, l’auteure nous en montre une autre facette plus nuancée - l’inverse étant également vrai. Ainsi, Aï décrit-il Estraven, premier ministre de Karhaïde, de la façon suivante au début du roman, malgré la méfiance qu’il a à son égard : « Il le sait, et cela lui donne plus de réalité que n’en ont la plupart des gens - quelque chose de solide et de substantiel, une grandeur humaine ». La longue traversée du désert de glace est un autre exemple flagrant : Le Guin en profite pour développer la relation entre Aï et Estraven, progressive, subtile, naturelle, n’hésitant pas à aborder le thème délicat de l’identité sexuelle.
C’est cet humanisme qui est au centre du roman et non pas la question de savoir si Géthen adhérera à l’Ekumen. D’ailleurs, cette idée d’une entité dont le but est d’unifier les peuples de la sphère humaine sans vouloir les régenter est un signe manifeste de la confiance que Le Guin porte à l’humanité, malgré tous ses travers.
Un chef d’oeuvre
Soyons clairs : La main gauche de la nuit est un chef d’œuvre immanquable. La qualité de l’écriture de Le Guin, les sujets abordés approfondis remarquablement bien, son humanisme sincère, rendent le roman passionnant. Ce qui frappe sans doute le plus est qu’il n’a pas perdu un cheveu de crédibilité et d’actualité en presque 40 ans. Il est presque certain que les 40 prochaines années n’y changeront rien. Pour finir, on pourra méditer sur l’une des nombreuses pensées philosophiques parsemées au sein du récit :
« Vous n’avez pas encore compris, Genry, pourquoi nous avons porté à sa perfection l’art de la divination et pourquoi nous le pratiquons.
- Non.
- Pour démontrer la parfaite inutilité de connaître la réponse à la mauvaise question. »