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Les fabuleux voyages de Mr Jorkens

Lord Dunsany ( Auteur), Jean-Paul Gratias (Traducteur)
Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : 
Date de parution : 31/03/2004  -  livre
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Les fabuleux voyages de Mr Jorkens

E. J. M. R. D. Plunkett (1878-1957), 18e baron Dunsany, professeur, journaliste, champion d'échecs, voyageur, auteur de pièces de théâtre, est largement salué comme l'un des pères de l'héroïc-fantasy, mais son oeuvre fantastique est en fait bien plus diverse, et souvent méconnue (du moins en France). Ce volume reprend les treize nouvelles du premier des cinq tomes des récits de Joseph Jorkens, The travel tales of Mr. Joseph Jorkens (1931), déjà publié en français en 1985 par les éditions NéO sous le titre Encore un whisky, Mr Jorkens ?. Cette réédition est précédée d'une excellente introduction par Xavier Legrand-Ferronière, et suivi d'une note bibliographique récapitulant les éditions.

Un club pas comme les autres

Un homme se laisse entraîner par un ami dans un petit club londonien qui ne paye pas de mine. Ne possédant même pas de billard, malgré son nom, le Billiard Club a un tout autre atout : un vieil homme un peu porté sur la boisson, somnolant près de la cheminée. Mais lorsqu'il se réveille, et qu'il se sent d'humeur prolixe... Jorkens entraine son auditoire, pour peu que celui ci l'alimente en whiskey-sodas, dans le récit des aventures fantastiques qu'il a vécues étant plus jeune. Et malgré leur contenu extraordinaire, les gens se prennent parfois à le croire...

La vérité est ailleurs...

Affabulateur, voire menteur ? Peut-être. Mais Jorkens est avant tout un formidable conteur, dont les auditeurs continuent à flotter dans l'incertitude quant à la réalité de ses aventures bien après la fin de ses récits, alors même que ceux ci contredisent toutes leurs connaissances, voire leurs convictions... Car il ne faut pas oublier l'époque à laquelle se situent ces histoires, une époque où les gens étaient nombreux à penser que l'on avait tout exploré, tout découvert (comme à pas mal d'autres époques, d'ailleurs, c'est fou le nombre de fois où l'humanité a redécouvert l'étendue des lacunes dans ses connaissances), alors qu'aujourd'hui encore on décrit de nouvelles espèces par centaines chaque année (bon, rarement des primates et des sirènes, je vous l'accorde, mais il n'empêche). Mais Jorkens ne se limite pas à la biologie : géologie, démonologie, talismans et sorcellerie, il a tout fait. Mais on est bien loin d'un Tartarin de Tarascon, et c'est ce qui sème le doute. Il tente de soutenir chacune avec des arguments scientifiques et moraux, et certaines semblent l'avoir marqué, voire transformé. Comment alors ne pas accepter ses récits, même truffés de sorcières et de sirènes ? Et on a envie d'y croire, tant le monde qu'il décrit est emprunt de beauté et d'une certaine forme de justice, et tant lui même semble souvent s'y perdre, avec ses digressions permanentes. D'ailleurs, ce sont rarement ses propres aventures qu'il conte (les exceptions sont L'histoire de l'Abou Lahib, Un gros diamant, Madame Jorkens, et La sorcière des saules) et alors il laisse toujours échapper les opportunités, que ce soit en amour ou en affaires. Il n'est souvent là dans ses propres récits que pour servir d'interlocuteur à des personnages plus autrement plus intéressants. Non qu'il fasse vraiment preuve de modestie : certaines de ses connaissances sont des personnages haut placés, voir difficilement approchables pour le commun des mortels (Comment Jembu joua pour Cambridge, Une île étrange, Le roi de l'électricité, Une fille de Ramsès). Il est rarement acteur, plus souvent le témoin passif de l'absurdité du monde, et mais s'il saisit bien l'humour de la situation, c'est plutôt l'aspect dramatique qu'il privilégie, parfois à outrance.

Lord Dunsany fait ici la démonstration de tout son art de novelliste. Non seulement les histoires sont originales, pleines de retournements de situation inattendus, mais chacune forme un petit univers à elle seule, avec une chute qui ne dépare en rien le récit. On se laisse transporter avec autant de plaisir que les membres du club, et si parfois le doute nous taraude, on n'a pas pour autant envie de rire de Joseph Jorkens et de sa dignité tranquille d'homme toujours fauché et toujours assoiffé. Une perle à découvrir absolument.

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