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Anergique de Célia Flaux - Le mot des éditions Actusf
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Anergique de Célia Flaux - Le mot des éditions Actusf

Anergique de Célia Flaux est un roman de la collection Naos qui paraîtra le 22 janvier prochain aux éditions ActuSF.
Aujourd’hui, on vous donne de bonnes raisons de le découvrir.

On vous rappelle également que si vous précommander (via le site des éditions) le nouveau roman de Célia Flaux d'ici ce soir, vous recevrez celui-ci dédicacé.

Denas et lynes - ou La place de la magie dans la société d’Anergique

Anergique de Célia Flaux nous plonge en pleine époque victorienne, où la séparation des classes sociales organise toute la société anglaise. La classe supérieure regroupe les membres de l’aristocratie ; la classe moyenne, les notables, les bourgeois et les bourgeoises. Enfin, celle des travailleurs et travailleuses regroupe les autres. À cela s’ajoutent les discriminations sexuelles et raciales.
Le roman met en scène les lynes et les denas, deux natures magiques qui complexifient encore davantage l’organisation artificielle, figée et parfois absurde de cette société.

Le pouvoir à la création ; le devoir à la production

Les lynes sont les personnes dites « créatrices », qui peuvent utiliser la magie qui leur est transmise. Incapables de générer elles-mêmes de l’énergie, ces personnes sont dépendantes des denas. Pourtant, malgré cette dépendance, les lynes sont au sommet de l’échelle sociale.
Les denas sont les personnes dites « productrices » d’énergie magique. Incapables de l’utiliser elles-mêmes, elles sont « appariées » avec des lynes, qui sauront s’en servir.
Le message est clair : la classe magique qui est maîtresse n’est pas celle qui produit l’énergie, mais bien celle qui l’utilise. Cette hiérarchisation, arbitraire, va bien dans le sens du reste de la société victorienne : il y a celles et ceux qui ont le don et la naissance pour diriger, et il y a les autres qui leur obéissent.
Un parallèle avec la classe ouvrière et les nobles / le patronat est évident. Mais avec les lynes et les denas, cette séparation va plus loin. D’abord parce que ces conditions magiques sont génétiques, contrairement aux classes, qui sont des constructions sociétales. Ensuite, parce que lynes et denas sont deux conditions qui sont transverses à toutes les classes de l’univers victorien.

Une magie qui divise

On peut être lyne et notable ; on peut être dena et noble. Ces conditions magiques innées créent de nouvelles sous-classes au sein de celles existantes. On voit alors apparaître un nouveau « sommet » à l’échelle sociale dans le roman – l’homme blanc aristocrate et lyne – et un nouveau « bas » – la femme racisée, travailleuse et dena.
Nous sommes loin de la magie qui unit parfois sous une même bannière les peuples féeriques de certains mondes de fantasy. Ici, la magie divise. Si un bon mariage permet de s’élever dans la hiérarchie, vous resterez à jamais lyne ou dena. La condition magique s’apparente alors davantage au sexe des personnes ou à leur couleur de peau, avec les obligations et les restrictions sociales qui leur sont associées.

Règles et préjugés

Les personnes denas doivent obéir à de nombreuses règles qui leur sont imposées par la société : ne pas avoir accès aux mêmes postes que les lynes, rester en retrait de ces derniers… La vie de ces personnes est régie et codifiée par des contraintes qu’elles n’ont pas choisies. Encore une fois, nous observons que les denas font clairement partie des groupes sociaux dominés, et s’apparentent en de nombreux points à celui des femmes.
À ces règles s’ajoute un lot de préjugés et de tabous qui s’attachent cette fois aussi bien aux lynes qu’aux denas. Les personnes lynes sont volontaires et rationnels ; les denas s’appuient sur leurs émotions.
Et si les premiers peuvent utiliser leur énergie selon leur bon vouloir, gare aux personnes denas qui la gardent pour elles-seules… ou pire, qui la transmettent à une plante ! Donner de l’énergie à la nature plutôt qu’aux lynes est une déviance honteuse. Et pour cause : ce serait laisser aux denas un libre arbitre dont on veut absolument les priver. Là encore, on peut faire un parallèle avec la condition des femmes dans la société victorienne, « propriété » de leur époux, soumises et privées de toute liberté personnelle.

La magie dans Anergique : une case de plus pour des libertés de moins

En définitive, si Anergique incorpore de la magie dans notre univers victorien, ce n’est pas pour faire apparaître une société féerique. Célia Flaux se sert de la nature magique des lynes et des denas pour aborder la séparation des genres, les rôles qui leur sont attribués et les préjugés associés dans cette société rigide.
Il y a donc une autre magie dans Anergique : celle qui nous propose de prendre du recul, le temps d’un roman, pour nous interroger sur ces « cases » – souvent artificielles et arbitraires, parfois absurdes – que nos sociétés ont construites pour mieux nous y ranger.

Jean-Laurent Del Socorro

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