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Bara Yogoï

Léo Henry ( Auteur), Jacques Mucchielli ( Auteur), Stéphane Perger (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 31/05/2010  -  livre
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Bara Yogoï

Couverture cartonnée à rabats, petit format confortable, maquette agréable, illustrations intérieures, Bara Yogoï est un joli ouvrage. Avec ce premier livre, les trois hommes derrière Dystopia Workshop – émanation de l'association Dystopia créée pour financer des tournées de dédicaces d'auteurs étrangers en France – montrent leur amour des livres, ainsi que le peu de cas qu'ils font de l'aspect commercial du métier d'éditeur. Car Bara Yogoï dispose d'une couverture certes jolies, mais dans laquelle est presque dissimulé le titre, le sous-titre peu visible et les noms des auteurs à déchiffrer. L'absence de quatrième de couverture impose de s'intéresser vraiment à l'ouvrage, de se renseigner ou de se risquer à sa lecture, pour en connaître le contenu. Quant au prix et au traditionnel mais disgracieux code barre accompagné de l'ISBN, il sont relégués sur les rabats.

Bara Yogoï est un objet littéraire singulier.


Mais derrière Bara Yogoï se trouvent avant tout trois artistes. D'abord, Léo Henry, dont la réputation croissante s'est renforcée avec son Grand Prix de l'Imaginaire pour la nouvelle Les Trois livres qu'Absalon Nathan n'écrira jamais parue dans l'anthologie Retour sur l'horizon. Son acolyte Jacques Mucchielli, second auteur des nouvelles du recueil, est un écrivain moins connu, mais dont un texte a été sélectionné pour l'anthologie Les Derniers jours d'Edgar Poe(« And the tattling of many tongues »). Stéphane Perger, enfin, s'illustre dans la bande dessinée, avec la réalisation des dessins des séries Sequana ou Sir Arthur Benton. Il réalise ici la couverture, qui s'étale sur le quatrième et les rabats, ainsi qu'une illustration intérieure pour chaque texte, chaque fois un cliché réussi d'un passage ou évocation brillante de l'ambiance de la nouvelle.

Les trois garçons s'étaient déjà fait (un peu) remarquer avec Yama Loka Terminus, recueil de nouvelles paru à L'Altiplano en 2008. Ils y décrivaient une ville d'une Europe de l'Est fantastique. Bara Yogoï

permet de replonger dans l'univers dont Yirminadingrad est le centre.


Sept autres lieux... qu'Yirminadingrad


Avec Bara Yogoï, Jacques Mucchielli et Léo Henry explorent sept autres lieux de l'univers qu'ils avaient dépeint dans Yama Loka Terminus. Toutefois, si Yirminadingrad était le théâtre de la plupart des vingt et une nouvelles du recueil précédent, les auteurs quittent ici plus aisément la cité pour visiter d'autres décors, même si on n'a aucune indication sur leur localisation.


Ainsi, on ne sait rien d'autre du territoire que se disputent les nations mycronienne et motherlandienne dans À propos d'un épisode méconnu des guerres coloniales motherlando-mycroniennes, sinon qu'il est désertique et habité par un peuple qui fait penser à celui des Touaregs. Un de ces Tegetchis a dans son collimateur un Blanc, qu'il traque, guidé par un enfant à la langue bien pendue. Cette nouvelle met en scène des personnages atypiques, décalés, développés richement en peu de pages, dans une langue riche et imagée.

Mais ce n'est rien en comparaison de L'atmosphère asphyxiante dans laquelle nous vivons sans échappée possible. Léo Henry et Jacques Mucchielli y donnent la parole à de biens étranges hommes, victimes d'une logorrhée et d'un comportement dont le lecteur ne demèlera les fils que dans la deuxième partie de la nouvelle. Là encore, les auteurs s'amusent à nous perdre dans des rencontres singulières, avec des personnages victimes d'un univers où les guerres se mènent sans règles et font des victimes innocentes, même longtemps après leurs fins ; un univers peu différent du nôtre, simplement, mais dont les absurdités les plus énormes sont mises en évidence par un style sophistiqué qui scrute la réalité sous un angle insolite.

Dans Délivrances, plutôt que de nous transporter autre part, c'est autre temps que les auteurs nous mènent. On y découvre les fondateurs probables de Yirminadingrad, dans une nouvelle que d'aucun qualifieront de fantasyste, avec son décor de passé lointain, son personnage de chef de village au destin tracé au fil d'une épée et dirigé vers la destruction d'un monstre mythique. De là à dire que ce texte est sans intérêt, il n'y a qu'un pas qu'il est aisé de franchir...


Sept autres lieux, sept autres humains


Déjà avec les nouvelles de Yama Loka Terminus, Léo Henry et Jacques Mucchielli s'attachaient à parler des hommes et des femmes de Yirminadingrad, de leurs folies, des transformations physiques ou mentales dont ils étaient l'objet face à des situations improbables ou dramatiques. Ils persistent et signent avec les textes de Bara Yogoï.


Ainsi trouve-t-on des nouvelles comme Playlist\shuffle, des histoires sur les hommes, avec dans ce texte un personnage de chauffeur de taxi dont l'amour fraternel est poignant dans l'extrémité avec laquelle il s'exprime.

L'amour, et son expression dépassant parfois toutes limites, est également le thème de Tom+Jess=cœur, où deux jeunes gens sont attirés ardemment l'un par l'autre. Une attraction presque illogique qui peut paradoxalement expliquer la conclusion brutale de la nouvelle. Mais si cette dernière est digne d'intérêt, le lecteur a surtout encore une fois l'occasion d'assister à une démonstration stylistique de la part des auteurs, qui emploient le langage familier d'un narrateur qui ne semble pas avoir tout compris à l'histoire qu'il raconte.

On peut plus particulièrement parler de manque de clarté de l'histoire avec En mauvaise compagnie, nouvelle mettant en scène un homme errant dans une prison abandonnée suite à un cataclysme. Il en est le dernier occupant, voire le dernier homme sur Terre. Récit du cheminement vers la mort et/ou du gain de la liberté, En mauvaise compagnie est encore une magnifique démonstration d'écriture d'un couple d'auteurs talentueux.

Enfer périphérique numéro 21 est également l'expression des compétences d'écrivains de Henry et Mucchielli. Ils y décrivent le chef militaire d'une nation engagée dans une guerre totale. Mais n'ayant pas pu se résoudre à donner l'ordre final, il a disparu, ou pensait l'avoir fait... On trouve dans ce texte la thématique du changement, de la progression vers des situations monstrueuses qu'on retrouve, comme dans d'autres textes, magnifiquement exploité.


Un livre superbe au contenu splendide


Bara Yogoï, première parution de Dystopia Workshop, est un livre qui impressionne par sa qualité, digne de celle d'ouvrages de grandes maisons d'édition. Mais c'est surtout pour son contenu, signé Stéphane Perger pour les illustrations, Jacques Mucchielli et Léo Henry pour les textes, que le lecteur restera scotché. Confirmant une maîtrise du style et une imagination débordante, les deux auteurs impressionnent, plaçant leur dernier recueil de nouvelles parmi ce qui a été fait de mieux depuis le début de l'année 2010.

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