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Basilisk

Yamada Fûtarô ( Auteur), Segawa Masaki (Dessinateur), Panda Atomic (Traducteur)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Japonais
Aux éditions : 
Date de parution : 12/10/2006  -  bd
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Basilisk

C'est vraiment trop injuste

Paru depuis maintenant deux ans dans nos contrées, Basilisk n'est pas à proprement parler une nouveauté. Malheureusement noyée parmi la vague de mangas dispensables qui ont envahi nos librairies, cette « mini-série » (pour employer un terme d'ordinaire associé aux comics) n'aura pas réussi à se faire vraiment remarquer malgré d'indéniables qualités ; il faut cependant reconnaître que son faible nombre de tomes (cinq au total) ne l'a sûrement pas aidée à s'imposer sur la durée dans un marché où les séries s'étalent parfois sur vingt ou trente volumes... Il est donc temps de réparer cette injustice.

Il était une fois les ninjas

Basilisk est l'adaptation d'un classique de la littérature japonaise écrit par Yamada Futaro entre 1958 et 1959. Baptisé Koja Ninpo Cho, ou Kouga Ninpôchô, ou bien encore The Kôga Ninja Scrolls dans sa version anglaise et Shinobi  dans sa version française (éd. Calmann-Lévy), le roman a largement contribué à populariser la mythologie des « ninjas », ces espions au service des shoguns dans le Japon médiéval.

L'œuvre est si populaire qu'elle s'est vue adaptée plus ou moins librement sur toutes sortes de médias, de la bande-dessinée au cinéma en passant par le dessin animé. Pour citer les plus évidents : Ninja Scroll (1993), le long métrage animé de Yoshiaki Kawjiri, s'inspire largement des personnages de Futaro ; le film Shinobi (2005), quant à lui, suit fidèlement la trame du récit, mais en modifiant ses héros et leurs techniques de combat impossibles à retranscrire sur grand écran. Au jeu des comparaisons, force est de constater que le manga demeure au final le plus proche du livre, qu'il respecte à la phrase près.

Un peu d'Histoire...

Nous sommes en 1614. Les shoguns gouvernent le Japon. La dynastie Tokugawa règne alors sur Edo, devenu aujourd'hui Tokyo. Le général Ieyasu Tokugawa est le premier shogun de la période Edo, autrement dit : l'homme le plus puissant du Japon. Maître du pays depuis quatorze ans, Ieyasu pense à sa succession mais il hésite encore entre ses deux fils et ne parvient pas à prendre une décision tranchée, car la loyauté de ses hommes est partagée entre les deux héritiers, et il craint que les uns prennent parti contre les autres en cas de nomination arbitraire. C'est ici que l'histoire s'écarte légèrement de l'Histoire... La seule option de Tokugawa est de faire affronter les deux camps pour attribuer sa succession au vainqueur, mais il juge absurde de perdre ses meilleurs samouraïs dans un massacre inutile. En dernier recours, il lui faut donc sacrifier des serviteurs dont le sort l'indiffère...

La bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe

Le shogun décide donc de faire appel à deux clans shinobi (réelle appellation des ninjas historiques) retranchés depuis des siècles dans les bois, aux techniques si terribles que les shogunats précédents leur ont interdit de se battre afin d'éviter un bain de sang. Comme tout ninja digne de ce nom, les shinobis répondent immédiatement à la convocation et leurs chefs se rendent au château du seigneur, intrigués, accompagnés du guerrier de leur choix.

Les deux combattants s'affrontent ensuite devant le shogun, dans ce qui est censé être une simple démonstration de leurs techniques totalement hallucinantes : le premier évoque un hybride situé au croisement d'une araignée et d'un crapaud, et l'autre se bat à l'aide de... cheveux tranchants comme des rasoirs. Finalement, Togukawa stoppe le combat et nous expose l'enjeu de l'histoire : il souhaite briser la trêve scellée entre les deux clans pour les autoriser à s'entretuer, chaque groupe représentant l'un de ses deux fils. Les maîtres des shinobis doivent noter le nom de leurs dix meilleurs élèves sur une liste, et le dernier en vie permettra au fils qu'il défend de succéder à son père sur le trône du shogun.

En réalité, cette curieuse façon de procéder cache un second objectif car il veut se débarrasser des deux clans, devenus trop puissants et indépendants pour rester hors de contrôle. Leur art du combat étant si dangereux qu'il ne peut être contré par ses hommes, le seul moyen de les faire disparaître est de les opposer en jouant sur leur haine réciproque. En outre, le seigneur compte ainsi faire entrer le Japon dans une nouvelle ère où de telles aberrations humaines n'ont plus leur place.

La guerre des ninjas

Comme ce postulat de départ le laisse deviner, nous aurons droit par la suite à des affrontements constants (de façon directe ou plus sournoise) entre les vingt ninjas choisis, à commencer par leurs chefs : les techniques incroyables se multiplieront au fil de l'histoire, et je me garderai bien de vous les dévoiler afin de préserver l'effet de surprise. Dès lors, le manga va étendre son cadre historique pour mettre un pied dans le genre fantastique, et nous surprendre en nous exposant ces fascinants shinobis, entraînés au combat depuis la naissance, qui n'ont pas hésité à mutiler leur corps pour développer des techniques improbables.

L'écrivain (crédité comme scénariste, bien que mort depuis 2001) a toutefois l'intelligence de nous les présenter un par un, en repoussant le moment où leur technique secrète nous est dévoilée. Nous assistons ainsi à un chassé-croisé ponctué d'embuscades menées entre les deux clans (l'un n'étant pas informé de la fin de la trêve) pendant que les combattants tombent un à un, inexorablement, sous les coups de l'ennemi. À ce niveau, le manga tient toutes les promesses induites par son intrigue principale (une guerre de ninjas) : cette bataille ouverte fait la part belle aux débordements gores et à une sensualité extrêmement crue, et il n'est pas rare que les pouvoirs des shinobis se retournent contre eux en provoquant des résultats physiquement écœurants. Et pour ce qui est de l'érotisme, les techniques employées par les femmes sont généralement en rapport avec leurs atouts féminins et leur sexualité...

Shakespeare chez les ninjas

Pourtant, Basilisk ne se résume pas à un manga puéril destiné à épater un public adolescent ; son propos est en réalité bien plus profond, et explore plusieurs thèmes (la famille, la disparition d'une époque et la mort de ses acteurs au profit du progrès, etc.). Mais avant tout, le principal sujet de Basilisk réside dans la transposition d'un thème devenu classique depuis Shakespeare : l'amour impossible entre deux êtres que tout oppose. Autrement dit, le manga n'est rien d'autre qu'une adaptation de Roméo & Juliette chez les ninjas...

Les deux chefs des shinobis, un vieillard et une vieille femme, se sont aimés passionnément jadis, avant que la guerre entretenue entre leurs clans ne les divisent. Tous deux ont eu chacun un petit enfant, un garçon et une fille tombés amoureux l'un de l'autre, et qui comptent se marier en réconciliant ainsi les deux clans. La rupture de la trêve par le shogun survient donc au pire moment, puisque les deux amoureux vont se retrouver au cœur d'une guerre que leurs compagnons souhaitent ardemment. À ce titre, nous comprenons vite que, plus que des clans, les deux camps en présence constituent de véritables familles rivales : le rapprochement avec la tragédie romantique de Roméo & Juliette devient alors flagrant.

Des estampes japonaises à Totoshop...

Sur la forme, rien à dire sur cette édition irréprochable de bout en bout (jaquette de couverture amovible, premières pages en couleurs, papier de bonne qualité, bon contraste des planches, une traduction « qui sonne juste »...). Le seul reproche que l'on pourrait faire concerne le dessin en lui-même, car le style de Masaki s'avère assez déstabilisant : la qualité n'est pas en cause, mais le dessinateur s'emploie parfois à composer des corps disproportionnés, semble-t-il volontairement, dans un style qui évoque curieusement celui des estampes japonaises. Le résultat peut troubler le lecteur, mais il ne s'agit sûrement pas d'amateurisme vu le soin apporté aux visages et la maîtrise affichée dans la gestion des mouvements.

Autre inconvénient, plus voyant : le dessinateur s'est mis en tête de composer ses décors à l'aide de photographies, dans un but expérimental ou par paresse, allez savoir... Le résultat donne lieu à un mélange de personnages dessinés sur fond de paysages photoréalistes... Dans le cadre d'un manga « d'époque », la démarche peut laisser songeur.

En conclusion

Basilisk, le manga, présente un intérêt majeur par rapport au livre : les images. Cette affirmation, sous ses airs de lapalissade, traduit en fait les défauts du roman, totalement dénué de style, et parfois difficile à comprendre lorsqu'il s'agit de se représenter les nombreux personnages aux noms analogues pour les pauvres occidentaux que nous sommes.

Dans la mesure où le manga adapte l'intégralité des scènes du livre, dont la lecture n'apporte véritablement rien de plus au niveau de l'intrigue ou des personnages, je ne saurais donc trop vous conseiller de découvrir son histoire dans cette version illustrée où tout devient clair et limpide. Et puis quand même, une baston de ninjas, ça ne se rate pas...
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