Né en 1972, Mathieu Gaborit est apparu sur la scène des littératures de l'imaginaire avec la première génération d'auteurs révélée par les éditions Mnémos au milieu des années 90. Son premier cycle, Les Chroniques des Crépusculaires, a connu un joli succès dès ses débuts en 1995. Fer de lance de la fantasy française, on retiendra outre cette première série ses cycles comme Bohème ou Abyme avec à chaque fois des univers bariolés et riches, et des personnages hauts en couleurs. Autre roman qui a marqué son époque, le très steampunk Confessions d'un automate mangeur d'opium, écrit avec Fabrice Colin à un moment où ce genre semblait appelé à prendre son envol (ce qui finalement n'a jamais été vraiment le cas).

 

Après plusieurs années pendant lesquelles les romans de Mathieu Gaborit se sont enchainés extrêmement rapidement, il s'est fait plus rare, jusqu'à disparaître des tables des nouveautés en librairie ces dernières années. Après un long silence durant lequel il a travaillé dans le jeux de rôle et le jeux vidéo, on a appris la sortie d'un nouveau livre : Chronique du soupir. Repoussé plusieurs fois, le voici désormais dans les mains des lecteurs...

 

Le soir où les ennuis arrivent...

Depuis qu'elle a quitté la garde du palais de la Haute Fée, la naine Lilas tient une auberge près du corps statufié de son mari. Un soir, la fée qui se tient à la place de son coeur (comme tous les habitants de ce monde) la prévient d'un danger imminent. Celui-ci se matérialise en la personne de son fils qui amène avec lui une jeune femme qui s'est échappée du palais de la Haute Fée provoquant la colère de cette dernière. Pire, le jeune homme a décidé de donner son souffle à la demoiselle qui est malade, se condamnant irrémédiablement... Lilas parviendra-t-elle à le sauver et à mettre à l'abri toute sa famille ?

 

Force et tristesse

Première constatation dès les premières pages de ce roman, Mathieu Gaborit n'a pas perdu son goût pour les univers hauts en couleurs et les idées qui offrent de véritables vertiges poétiques. L'exemple le plus frappant est cette fée qui remplace le coeur de tous les habitants et leur permet de respirer. Une symbiose magnifique dans les potentialités qu'elle offre en terme de scénario et de constitution des êtres de ce monde. Autre idée, celle de l'ancrage, une envie qui prend les nains à certains moments de leur vie et les transforme en statue de pierre...

 

Outre ce background assez épatant, le roman de Mathieu Gaborit tient sur son personnage principal, Lilas, prise dans un problème insoluble. Non seulement toute sa famille est menacée par un être surpuissant qui a promis de se venger, mais en plus son fils a décidé de se condamner par amour. Quelle que soit l'issue de ce récit, on sent au fur et à mesure des pages que la fin ne peut être que malheureuse.  

 

Et de fait il règne une certaine tristesse sur Chronique du soupir, l'odeur d'un drame prenant et permanent. Lilas par exemple semble marquée par le destin. Elle-même se sent "endormie". Après des années dans de très hautes fonctions, elle a perdu son mari qui a choisi de se transformer en statue, la poussant à s'oublier dans son travail d'aubergiste. Même la présence de son amant elfe ne dissipe la nostalgie qui imprègne son quotidien...

 

La richesse de ce roman et sa dramaturgie sont servis par une jolie plume qui sait être poétique sans en faire trop ni se perdre dans d'imposantes longueurs. C'est assez rare en fantasy pour être salué. Tout cela concourt à faire de ce roman une vraie réussite malgré une intrigue peut-être presque trop courte. On sent qu'il y avait matière à faire un récit plus "vaste". Cela n'empêche pas Chronique du soupir d'être un excellent livre que l'on conseillera, avec en prime des images qui nous poursuivront. On a retrouvé Mathieu Gaborit ! Quel plaisir !