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Chroniques d'Iblard - Le pays des laputas

Naomiki Sato (Traducteur), Naohisa Inoue ( Auteur), Marie-Saskia Raynal (Traducteur)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 03/01/2008  -  bd
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Chroniques d'Iblard - Le pays des laputas

Né en 1948 à Osaka, Naohisa Inoue est un illustrateur japonais. Tout d’abord employé d’une agence publicitaire, il enseigne l’art dans sa ville natale avant de devenir artiste free-lance en 1993. Il travaille notamment sur le film d’animation des studios Ghibli, Whisper of the Heart (inédit en France). Mais c’est surtout pour la création d’Iblard qu’il est connu. A travers de nombreuses peintures (exposées au Japon, à Paris ou à New York) et mangas, Inoue développe depuis plus de vingt ans ce monde utopique et merveilleux, dont Chroniques d’Iblard - Le pays des laputas est la première publication que l’on peut lire chez nous.

Bienvenue en Iblard

Iblard est un pays où il fait bon vivre. Son architecture fantaisiste, son environnement harmonieux, ses habitants sympathiques, ses sorciers : tout confère à ce territoire des allures d’utopie, si ce n’étaient les deux pays voisins, Suitéria et Takatswng, jaloux de sa réussite. Mais leur convoitise ne parvient pas à troubler la quiétude d’Iblard, dont Inoue nous propose quelques tranches de vie où les légendes côtoient la réalité.

Une utopie merveilleuse

La création d’un monde n’est pas une tâche aisée. Il faut lui donner une histoire, un contexte social, une géographie, des personnages emblématiques… Bref, une cohérence. Naohisa Inoue y parvient avec talent. À travers de courtes chroniques et des suppléments explicatifs, il dessine petit à petit un pays qui prend véritablement corps. Et ceci sans s’imposer d’entrave : Iblard est, à nos yeux, un monde en perpétuelle évolution, il peut s’y produire de nombreuses choses surprenantes sans que cela ne vienne rompre la cohésion de l’ensemble. L’auteur emploie en effet une magie discrète, proche de la nature, qui ouvre d’immenses perspectives, dont la pierre angulaire est la syntholite : un minerai précieux qui réagit à la pensée, et qui permet de générer des solma, sorte d’images virtuelles entre réel et imaginaire. Son utilisation s’inscrit dans une technologie intégrée à la vie de tous les jours, en harmonie avec l’environnement.

Vous l’aurez compris : Iblard est une utopie. Une utopie où la joie de vivre est omniprésente, où l’on peut se perdre dans les marchés à cause d’escaliers qui disparaissent, construire des véhicules à l’aide de vieux tramways abandonnés dans la forêt, où les laputas (îles vivantes et volantes) naissent, où l’on peut faire tomber les satellites en montant sur les plus hauts plateaux, où les cigares-azur vous ouvrent l’esprit à une autre réalité… Il y a dans ces Chroniques d’Iblard une atmosphère ludique profondément séduisante. Le ton employé par Inoue est léger, espiègle, insouciant, bourré d’humour rieur. Les personnages, loufoques, font parfois penser à ceux d’Alice au Pays des Merveilles, comme cette grenouille illuminée accompagnée de son acolyte de taupe ou ces éléphants dépressifs. L’absurde tient aussi une place importante et prouve que le bonheur ne se prend pas au sérieux : « En fin de compte, il est rare d’avoir à utiliser l’aéroplane… à condition de ne pas oublie de s’en munir au préalable », aéroplane décrit comme étant du modèle « soupe de haricot rouge sucrée portative » ! Si l’on ajoute à cela des légendes qui se confondent avec la réalité, on obtient un univers onirique, fantaisiste dans lequel on se plonge avec délice.

Cela n’empêche pas Inoue de faire preuve de sensibilité mélancolique, comme avec l’épisode quatre sur la nostalgie des souvenirs d’enfance. Ou bien de placer quelques petites réflexions ironiques sur la folie des hommes : « C’est n’importe quoi, cette guerre / Comme d’habitude, quoi ». Mais l’imagination de l’auteur reprend le pas immédiatement, comme si Inoue ne souhaitait pas perturber la quiétude de son récit trop longtemps.

Des dessins magnifiques

Ce manga ne serait pas aussi enchanteur si les dessins n’étaient pas d’une qualité remarquable. Le trait arrondi, doux, matérialise parfaitement l’ambiance onirique qu’Inoue a voulu instaurer. Le remplissage à l’aide de points ou de petits traits, outre d’être d’une précision impressionnante, donnent une véritable contenance aux décors d’Iblard. Le seul reproche que l’on puisse faire à cet album au niveau visuel, c’est la taille trop petite des textes, les rendant parfois illisibles.

Globalement, le graphisme n’est pas sans rappeler Moebius, notamment dans les paysages. L’architecture, quant à elle, fait fortement penser aux Cités Obscures de François Schuiten, voire aux habitations utopiques de son frère Luc, exposées l’année dernière aux Utopiales de Nantes. Mais le jeu des références ne s’arrête pas là. Vous aurez sans doute reconnu quelques thèmes chers à un autre artiste japonais mieux connus en France : Hayao Miyazaki (lui aussi proche de Moebius, d’ailleurs). Le monde d’Iblard, dans son esprit, est très proche de ceux mis en œuvre par le réalisateur phare des studios Ghibli (pour lesquels Inoue a travaillé) : même tendresse, même joie de vivre, même communion avec la nature, Iblard rappelle par bon nombre de côtés Mon voisin Totoro, par exemple. La référence est d’ailleurs clairement assumée : les laputas sont un hommage direct à Miyazaki, ainsi qu’aux Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, comme l’indique Inoue à la fin de l’ouvrage.

D’autres références explicites parsèment cet album, comme cette scène du Seigneur des Anneaux à la sauce asiatique : un régal ! On se prend même à deviner des rapprochements avec Michel Jeury – même s’il est peu probable qu’ils soient volontaires – dans ces cigares-azur donnant accès à une autre réalité, ou bien dans ces dragons qui « maîtrisent le passage subjectif du temps ». Plutôt troublant…

Une invitation au rêve

Chroniques d’Iblard - Le pays des laputas est un manga particulièrement original, emprunt d’un bonheur qui se transmet tout naturellement au lecteur. Une véritable invitation au rêve qu’il serait dommage de refuser. Espérons que les travaux d’Inoue continueront à être diffusés en France, car cet artiste a tout le talent qu’il faut pour prétendre à la reconnaissance dont jouit un Miyazaki dans nos contrées.

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